Rongés, animés par un esprit de haine et de revanche sur la vie, dans le désarroi, dans un état dépressif et parce qu’ils étaient « bourrés avec les potes », sont autant de raisons évoquées par cinq hommes, accusés d’avoir volé, blessé, séquestré, ligoté et abandonné un enseignant de 58 ans autour d’un arbre, en pleine nuit, seul, dans la forêt, dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre en 2020.
« Pourquoi moi ? »
Alors que la victime « espérait des réponses » pour reprendre les mots de son avocate, Me. Panefieu, ce procès a été le théâtre d’un renvoi de balles permanent entre les accusés qui ont nié leur responsabilité dans les faits et se reportaient la faute à tour de rôle. Ce procès a été le théâtre de longues heures d’indécence, où les accusés n’ont eu de cesse de répéter : « C’est pas moi, c’est l’autre », propos réitéré par Me. Panefieu.
La victime, entendue quelques jours plus tôt par visioconférence depuis la métropole, espérait des réponses à la suite de son agression « Pourquoi moi ? Pourquoi ma maison ? Pourquoi m’avoir abandonné dans la forêt ? », ce procès a été laborieux, tant les accusés ont fait preuve d’irresponsabilité. A ce titre, l’avocate de la victime a déclaré : « Vous n’avez aucun droit de demander pardon car vous n’assumez pas votre responsabilité ».
« Une entreprise crapuleuse », révélatrice d’une torture psychologique
Quelques semaines après sa prise de fonction au lycée agricole de Coconi de Mayotte, Monsieur E, marié et père de deux enfants, se réveille à son domicile, avec une main sur sa bouche pour l’empêcher de crier et un chombo au-dessus de la tête, où cinq hommes, masqués et armés, le blessent, le volent, le séquestrent, le menaceront de mort et le ligoteront à un arbre, bâillonné, pieds et mains liés dans le dos autour d’un arbre, de nuit, seul, dans la forêt.
Pour l’avocat général, cette agression est le fruit d’une « entreprise crapuleuse » où « on a jeté au néant la vie d’un homme (…) au sang-froid exemplaire » dont « la vie normale s’est arrêtée avec cette agression » et où « les souvenirs lui mordent la chaire » puisque près de quatre ans après les faits, la victime a gardé des cicatrices au poignet des cordes avec lesquelles ses agresseurs l’avaient attaché. Dans ce dossier, le parquet a déclaré que les photographies prises par les gendarmes sur les faits sont « essentielles » tant elles sont « révélatrices de l’acharnement des agresseurs au regard des liens qui ont été serrés ».
Des notes difficiles à entendre
Alors que les agresseurs auraient pu « s’en arrêter-là » après avoir forcé la victime à retirer plusieurs sommes d’argent et à réaliser des pleins d’essence, l’avocate de Monsieur E a déclaré que les cinq accusés ont « pris l’humanité » de son client. Par ailleurs, lorsque la victime était attachée à cet arbre, blessée, sidérée et épuisée, un des accusés a pris le temps de lui faire écouter une musique « sur la misère des jeunes », comme pour lui faire « payer » leurs vies ou leurs « destins » pour reprendre les termes de l’accusé qui a eu l’idée de se divertissement.
« Si personne n’avait détaché ce monsieur, il serait mort. »
Dans cette agression, comme lors d’un match sportif, chaque protagoniste tient une place particulière. Parmi eux, un jeune homme, au poste de guetteur, qui a déclaré « moi j’ai suivi mais je n’ai rien fait », alors qu’en garde à vue il déclarait que « si personne n’avait détaché ce monsieur, il serait mort. » Un autre accusé, qui apparait systématiquement « souriant » à l’audience, n’aura de cesse de répéter que lui aussi a été agressé et que son agression est « plus grave que celle de la victime » mais son histoire laisse insensible le public, las d’assister à une réaction « égoïste » pour reprendre les mots de l’avocate de la partie civile.
« À aucun moment, vous avez cherché à aller voir le cadavre dans la forêt »
Un des accusés, qui s’exprime dans « un discours élaboré de façon laborieuse », apparait comme « le meneur de la bande » pour reprendre l’expression de l’avocat général. Majeur au moment des faits, cet homme a répété tout au long du procès « j’ai conscience que c’est grave, mais ce n’est pas moi ». Après les faits, le « leader » de cette agression, a vécu librement sa vie jusqu’à ce qu’il soit intercepté par les forces de l’ordre lors d’un simple contrôle routier. Lors de sa cavale, l’avocat général a interpellé la cour et l’accusé sur le fait que le « cerveau » de la bande se serait soucié de savoir dans quel état était la voiture de la victime, trois mois après les faits, mais pas de la victime : « À aucun moment, vous avez cherché à aller voir le cadavre dans la forêt (…) Vous êtes l’artisan principal de cette opération funeste quel que soit votre beau discours » a déclaré le ministère public.
Des profils dangereux
Enfin, chez deux autres accusés, l’expert psychiatre a dressé les tableaux de personnalités psychotiques et a affirmé l’existence « d’une dangerosité criminologique », où l’un d’eux a continué de commettre des vols et agressions après les faits, et où l’autre a été incarcéré pour avoir poignardé sa compagne.
Alors que la victime est restée près de dix-huit heures dans la forêt, bâillonnée, ligotée, pieds et poings liés, où ses plaies ont été grignotées par des insectes, « aucune tendance au théâtralisme ou à la dramatisation » n’a été relevée par l’expert psychiatre. La victime a même demandé à la cour si elle l’autorisait à qualifier ses agresseurs de « voyous ».
Un acte de torture et de barbarie ?
Près de quatre années après son agression, la victime, Monsieur E, a essayé de poursuivre une activité professionnelle mais en vain : « Je pleure à chaque fois que je travaille » avait-il déclaré en sanglots. D’après l’expert psychiatre, « les séquelles psychologiques sur la victime pourraient être irréversibles ».
L’avocat général a plaidé l’acte de torture, en ce qu’elle suppose un ou plusieurs actes d’une gravité matérielle, dépassant de simples violences et occasionnant à la victime une souffrance et une douleur aiguës. A ce titre, la Cour d’appel de Rennes avait reconnu l’acte de torture dans le fait de ligoter une personne, les mains dans le dos, sur un pied.
Alors que la victime est restée attachée à un arbre pendant près de dix-huit heures, ses plaies ont été grignotées par des insectes. A ce sujet le parquet a déclaré : « Il n’y a que les morts qui se font attaquer par des insectes. »
Ce procès d’assises en dit ainsi long sur le contexte de Mayotte et les agissements de certains jeunes, de niveaux sociaux différents et aux trajectoires de vie hétérogènes, qui finissent malgré tout par se trouver pour commettre l’irréparable.
L’avocat général Albert Cantinol a ainsi requis 20 ans contre le meneur de la bande et 10 à 15 ans pour les autres prévenus. La cour rendra son verdict aujourd’hui, vendredi 29 mars, 2024 après quatre jours de procès.