Compliqué de voler un peu de temps au président de la Commission des lois qui nous explique avoir voulu embrasser en 5 jours la majorité des problématiques de Mayotte. Sanitaires, migratoires, scolaires, aménagements, eau potable, ses visites accompagnées d’Elodie Jacquier-Laforge, vice-présidente de l’Assemblée nationale, et guidées par Estelle Youssouffa (LIOT) et Mansour Kamardine (LR) s’enchainent « pour ne plus s’entendre répondre à Paris, ‘tu ne peux pas savoir, tu n’es pas allé sur place’ ». Il a un discours direct, qui n’élude aucun sujet, notamment diplomatique.
Tout d’abord monsieur le député, à la suite du travail d’un premier projet de loi Mayotte, on entend parler de Loi urgence Mayotte, s’agit-il du même document ? Va-t-il suivre le même chemin parlementaire entre les deux assemblées que les autres projets de loi ?
Sacha Houlié : Il s’agit en effet de la même chose. Ce projet de loi urgence Mayotte doit être présenté en Conseil des ministres le 22 mai, mais il n’est pas inscrit au calendrier parlementaire que nous avons reçu et qui court jusqu’au 30 juin 2024.
Il doit théoriquement contenir la suppression du titre de séjour territorialisé, or vous avez parlé d’extraterritorialité des visas… Quant à la levée du droit du sol, vous avez émis des doutes sur son efficacité.
Sacha Houlié : Je voulais en effet parler de l’extraterritorialité des titres de séjour. Quant au droit du sol, c’est plus compliqué, car c’est un texte constitutionnel. Il faut que sa suppression soit votée à l’identique par les deux assemblées et qu’il passe le Congrès de Versailles.
Ou par référendum…
Sacha Houlié : Cela semble impossible car il faudrait organiser un référendum national. D’autre part, nous connaissons la gourmandise de certains parlementaires qui voudraient voir appliquer la suppression du droit du sol sur l’ensemble du territoire national, ce qui pourrait faire capoter la réforme. D’autre part, je suis précisément à Mayotte pour en étudier son utilité. Nous sommes là avec ma collègue de l’Assemblée nationale car le Gouvernement nous répond toujours, « vous ne connaissez pas Mayotte ». Nous travaillons donc avec les députés Mansour Kamardine, Estelle Youssouffa et le sénateur Thani Mohamed Soilihi pendant notre déplacement de cinq jours ici.
Qui avez-vous rencontré, avec qui avez-vous travaillé sur place ?
Sacha Houlié : Tous les services de l’Etat, les directions de l’ARS, de l’eau, du foncier, de l’hôpital, de l’Education nationale avec notamment une visite du lycée de Kahani qui accueille 2.600 élèves, c’est beaucoup, les transporteurs scolaires, les acteurs de la Lutte contre l’immigration clandestine, terrestre, maritimes et aériens, les élus du Conseil départemental, les collectifs de citoyens, etc. Sur la fin du séjour, nous devons rencontrer la Brigade anti-criminalité de Mamoudzou, nous déplacer sur le bidonville de Kawéni, et visiter le Centre de rétention administrative et la prison, notamment. Acquérir une vision globale va nous permettre de se donner des pistes dans un objectif : tout ce qui peut relever d’une loi ordinaire, nous pouvons déjà le mettre en place. Par exemple, sur les agressions contre les transports scolaires, nous pouvons mettre en place des dérogations pour filmer sur la voie publique. Idem sur les plans de vol des avions de la LIC.
Cette Lutte contre l’Immigration Clandestine (LIC) en mer semble inefficace, si bien que son durcissement a été annoncé par le ministre de l’Intérieur.
Sacha Houlié : J’avais rédigé un rapport pour la Délégation parlementaire aux renseignements sur l’ingérence russe. Je peux vous dire que la pression migratoire des Comores est utilisée par la Russie pour déstabiliser la France. Des preuves de bonnes relations entre les deux pays sont d’ailleurs nombreuses, avec les visites régulières des autorités russes dont Sergueï Lavrov (ministre russe des Affaires étrangères, ndlr). Nous avons aussi constaté des relations entretenues avec l’Iran, hostile à la France. Tout cela porte atteinte à la sécurité de la France, ça doit nous inciter à être plus fermes. En réponse, nous pouvons par exemple imaginer une rétorsion sur les flux financiers à destination de ce pays.
Mayotte est au cœur d’un environnement instable
Parlons finances justement. En 2019, une mission de l’Assemblée nationale menée par la députée Lætitia Saint-Paul, avait conclu à l’inefficacité de l’octroi des financements aux Comores sans contrôle. Cette même année 2019, Moroni recevait à Paris 3,9 milliards d’euros du Maroc, des Emirats-Arabes Unis, de la Banque mondiale, etc. ainsi que 150 millions d’euros sur 3 ans de la part de la France. Pour quel résultats ? Nous n’avons pas tiré de conclusions du constat de la précédente mission de vos collègues…
Sacha Houlié : Les connaissances sur le Canal du Mozambique sont faibles en métropole, on fait donc face à une certaine forme de naïveté, en jugeant notamment que le président Azali jouissait d’une certaine influence, et sa présidence de l’Union Africaine jusqu’en février 2024, en fait partie. Or, Mayotte est au cœur d’un environnement instable, je veux parler des actes djihadistes à Cabo Del Gado ou des récentes élections à Madagascar, sans parler des pays des Grands Lacs. Et la pauvreté incite les populations à migrer vers Mayotte au PIB six fois plus élevé qu’aux Comores, huit fois plus élevé qu’en Tanzanie, seize fois plus élevé qu’à Madagascar. C’est pourquoi je suis sceptique sur l’efficacité de la suppression du droit du sol. Mayotte reste un pôle d’attractivité, la maternité de l’île reste un phare dans le canal du Mozambique pour les comoriennes qui veulent accoucher.
En parlant de circulation entre les îles, je voulais dire que j’ai été scandalisé par la prise de parole des élus LFI à La Réunion, si un parlementaire de la majorité avait dit ça, qu’est-ce qu’on aurait entendu ! A Mayotte, une minorité issue de l’immigration génère de l’insécurité car elle n’est pas encadrée. C’est là-dessus qu’il faut travailler.
En conclusion, Sacha Houlié dit tirer bénéfice de son déplacement, « essentiellement sur les mesures à mettre en place rapidement », parce qu’elles n’ont pas besoin de grands textes de loi. « Cela concerne les transports scolaires comme je l’ai dit, les pilotes d’avion de la LIC, le CHM, mais aussi les signalements en cas de reconnaissances frauduleuses de paternité qui ne permettent pas de suspendre le dossier de nationalité, nous allons étudier cela pour le modifier. »
Recueillis par Anne Perzo-Lafond