Lors de l’application de la fiscalité de droit commun en 2014 dans une Mayotte fraîchement devenue département, l’ardoise avait été douloureuse pour les contribuables. Les taxes foncière et d’habitation avaient flambé pour assurer aux communes les recettes destinées à leur développement. Car pour payer, encore fallait être identifié. Or, peu l’étaient. Une petite assiette de propriétaires et locataires qui portait la commune en entier. Cette partie des citoyens avait crié à l’injustice fiscale, une inégalité devant l’impôt qui les avaient incité à monter au créneau lors d’un conseil municipal à Koungou.
Il faut dire aussi que les valeurs locatives qui servent de base aux calculs étaient du niveau de Bordeaux centre. L’affaire semblait mal engagée. Heureusement, les élus s’en sont saisis, et un amendement du sénateur Thani Mohamed Soilihi permettait en 2018 leur révision à la baisse de 60%, induisant des montants d’imposition plus raisonnables. Mais reste encore maintenant le problème d’un nombre conséquent de propriétaires immobiliers non identifiés.
Ce qui pose plusieurs problèmes. Elle empêche tout d’abord toute régulation foncière et par conséquent, de porter des aménagements qui font pourtant cruellement défaut aux communes. Le plus emblématique fut l’indivision du terrain de la zone d’implantation de la 3ème retenue collinaire, qui, si elle avait vu le jour, aurait permis de compter sur une ressource supplémentaire lors de la sécheresse de l’année dernière.
Autre conséquence non négligeable pour les communes, le manque à gagner, et pas qu’un peu : « la marge d’amélioration est de 70% », écrit le sénateur Thani Mohamed Soilihi dans un courrier adressé aux présidents de collectivités les incitant à identifier les occupants des parcelles.
Frilosité des maires
Dénonçant pendant des années une fiscalité mise en place dans la précipitation alors que les bases n’existaient pas, ce dont nous nous sommes fait constamment le relais, l’économiste Philippe Nikonoff avait été appelé au chevet des maires pour les épauler dans leur combat contre Bercy d’abord, pour obtenir une compensation sur les montants dus par les nombreux contribuables non imposables à Mayotte. C’est une obligation. Il évaluait en 2021 le manque à gagner pour les collectivités de l’île à 20 millions d’euros par an. Puis pour dénoncer un écart d’identification des habitations entre le cadastre de la Direction Régionale des Finances Publiques (DRFIP) et celui de l’INSEE, beaucoup plus complet.
Pour exemple, à Dzaoudzi Labattoir en 2012, entre les 3.700 habitations enregistrées par l’INSEE et les 2.360 du fichier de la taxe d’habitation, la perte était de 48% de bâti, « c’est inédit en France ! », avait lâché Philippe Nikonoff. En réponse, l’Etat avait débloqué 5 cadres supérieurs à la Direction des impôts pour accompagner les communes.
Mais on peut dire sans trop forcer l’euphémisme qu’en retour, la volonté politique n’a pas toujours été au rendez-vous. Certains maires semblaient frileux à l’idée d’identifier certains propriétaires fonciers qui avaient le bon goût d’être dans la cohorte de leurs électeurs. Et pourtant, c’est de finances publiques qu’il s’agit, et il ne sert à rien de demander des accompagnements à l’État quand tout n’est pas fait pour faire entrer les recettes. Alors le courrier du sénateur Thani va-t-il booster les énergies ?
Des centaines de milliers d’euros encore enterrés
Selon nos informations, plusieurs maires se sont réellement retroussés les manches et ont entamé un travail d’identification des propriétaires. Il en va de leur budget et de l’aménagement de leurs communes. Le sénateur salue d’ailleurs « les efforts entrepris par certaines communes en matière de régularisation foncière et de recensement des bâtis non répertoriés au cadastre ». Il invite également les autres collectivités à s’engager dans cette voie avec l’aide des services compétents (INSEE, DRFIP, GIP-CUF…), « afin d’améliorer les finances locales et restaurer enfin la justice fiscale. »
Le travail doit également porter sur les recettes de la cotisation foncière des entreprises (CFE) puisque là aussi, de nombreux locaux professionnels ne sont pas identifiés.
Un décret récent facilite ces régularisations. Pris le 14 février 2023, il permet la reconnaissance d’un droit de propriété immobilière qui n’aurait pas été inscrit au livre foncier de Mayotte avant le 1er janvier 2008, et sans passer par un avocat.
« Chaque année, ce sont des dizaines voire des centaines de milliers d’euros qui échappent aux collectivités, faisant, en outre, injustement reposer l’effort fiscal sur 30% des propriétaires fonciers seulement », résume le sénateur Thani. Les communes ne doivent pas oublier de présenter l’addition à l’Etat pour les non imposables, des recettes qui vont permettre de baisser les taux d’imposition pour un meilleure partage de l’effort entre les citoyens. Et voir éclore enfin les aménagements dont doit bénéficier la population en retour.
Anne Perzo-Lafond