Comores – Tribune Abdourahamane Cheikh Ali : « Endettement public. Attention danger ! »

C’est une tribune sur un sujet sensible actuellement en France, mais qui prend une autre ampleur dans le pays d’origine de son auteur, l’Union des Comores : la dette publique. Si son taux par rapport au PIB est loin d’atteindre le niveau record français, il inquiète Abdourahamane Cheikh Ali, qui était aux affaires en 1996, pour ce qu’il risque de compromettre le développement d’une économie plus que fragile.

Diplômé de l’ENES en gestion et de l’université Lumière Lyon 2 en droit constitutionnel comparé, ancien directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale des Comores en 1996, Abdourahamane Cheikh Ali dresse un comparatif avec la Côte-d’Ivoire pour le leadership de développement du continent africain de cette ancienne colonie française « solidement liée à Paris ».

Tribune : « Endettement public. Attention danger ! »

Le 16 avril 2024, j’ai eu accès à un article du site internet « alcomorya.net intitulé « Comores : 100 milliards de dettes en plus de 2017 à 2022 » après avoir pris connaissance d’un texte publié par Jeune Afrique le même jour et consacré à l’endettement de la Côte d’Ivoire dont le titre est « En Côte d’Ivoire, une croissance en crédit ? ». Je fais mienne la citation du célèbre physicien Einstein « Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito ». Je ne crois pas au hasard. L’accès à ces 2 documents à quelques heures d’intervalle indique que je dois examiner la situation de la dette des Comores à la lumière de ce qui se passe ailleurs, en l’occurrence en Côte d’Ivoire.

Selon alcomorya.net, la dette des Comores est passée de 90 milliards de francs comoriens à 189,3 milliards francs comoriens de 2017 à 2022.

Une explosion de la dette due à un recours à des prêts non-concessionnels (c’est-à-dire des prêts avec des taux d’intérêts au prix du marché) contrairement aux recommandations du FMI, et qui est passée de 33,7 % du PIB en 2022 à 40,7 % du PIB en 2023. Le ratio dette publique/PIB atteindra 45,2 % en 2025 selon la Banque mondiale. Ce qui a conduit le FMI à rehausser le risque de surendettement externe de « modéré » à « élevé » dès février 2022.

Examinons maintenant la situation de la dette en Côte d’Ivoire.

L’endettement de ce pays s’élève actuellement à 58 % du PIB, contre 38 % en 2019, un niveau dont la soutenabilité fait débat chez les économistes ivoiriens. « Le ratio d’endettement par rapport au PIB recommandé se situe entre 60 et 70 %. On n’a pas dépassé les 60 %, il n’y a pas le feu en la demeure », estime Blaise Makaye, docteur en économie et chercheur à l’université de Bouaké (centre) qui précise que ce ratio est « bien inférieur à ceux des pays développés », comme la France où elle frôle les 100 %*.

« Le FMI dit que pour les petites économies comme la Côte d’Ivoire, dépasser 49 % d’endettement peut être dangereux », répond Séraphin Prao, qui met en garde contre des « taux d’intérêt élevés » et les « bases fragiles » de l’économie ivoirienne. La Côte d’Ivoire est le 1er exportateur mondial de cacao. Elle est l’un des grands producteurs mondiaux de café, d’huile de palme, de caoutchouc naturel. Son sous-sol recèle de l’or, du diamant, du fer et d’autres minerais. Elle s’apprête à mettre en exploitation ses gisements de pétrole d’ici 2026. Elle possède une industrie agro-alimentaire. Son PIB (70,02 milliards USD en 2022 selon la Banque mondiale) est 56 fois plus important que celui des Comores (1,24 milliards USD selon la même source en 2022). Si un tel pays est considéré comme une « petite économie » aux « bases fragiles » dont le taux d’endettement ne doit pas dépasser 49% du PIB, qu’en est-il alors des Comores qui est un nain économique par rapport à ce pays et dont le taux d’endettement pourrait atteindre 45,2 % du PIB en 2025 ?

Des autoroutes vertueuses

Le Parlement des Comores à Moroni

Le niveau de soutenabilité de la dette ivoirienne fait certes débat auprès des économistes mais tout le monde s’accorde à dire que le pays se transforme. L’industrie se développe. De nouvelles routes et autoroutes sont construites pendant que chez nous, Azali et les siens bombent le torse pour avoir, en 8 ans de règne sans partage, réparé quelques nids de poule et recouvert les quelques routes héritées des décennies antérieures à son avènement au pouvoir d’une très fine couche de goudron aussitôt emportée par 2 jours de faibles averses. Le taux de pauvreté a diminué de 55% en 2011 à 35% en 2020 en Côte d’Ivoire, alors qu’il explose aux Comores, passant de 42 % en 2014 à 44,8 % en 2020 selon les enquêtes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (journal Al Watwan du 3/12/2021).

Les dirigeants ivoiriens engagent leur Etat pour contracter des emprunts afin d’assurer la richesse à terme de leur pays. Pendant que les nôtres y trouvent un moyen de garnir leurs comptes bancaires. L’endettement de la Côte d’Ivoire a contribué au doublement de son PIB entre 2011 (date de l’accession au pouvoir du président Ouattara) et aujourd’hui, pendant que celui des Comores a peu d’effet, et c’est un euphémisme, sur son développement.

Les Ivoiriens connaissent un endettement vertueux qui a généré une croissance du PIB réel de 8,2 % en moyenne sur la période 2012-2019 pendant que le taux de croissance de notre économie est de 2,6 % en moyenne depuis 1980. La Côte d’Ivoire escompte un taux de croissance de 6,5 % en 2024 pendant que la Banque africaine de développement prévoit un taux de croissance de 4% pour les Comores, trop faible pour enclencher cette « émergence » tant chantée par Azali et les siens.

Je suis estomaqué par la légèreté du texte publié ce 18 avril par la Gazette des Comores sous la signature de Imtiyaz. « Les Comores se trouvent dans le bon train de la croissance économique en Afrique. Le pays va en effet bénéficier de l’effet de groupe en se situant dans la région économique des 6 que comptent le continent qui aura la plus forte croissance en 2024, du mois selon les projections », écrit-il. Notre pays ne peut bénéficier d’un quelconque effet de groupe car notre économie est peu intégrée à cette zone. Le boom attendu des économies des 6 pays de cette zone ne stimulera pas nos exportations car nous n’avons rien à leur vendre. Ni ressources énergétiques, ni matières premières, ni produits semi-finis pour leurs industries. Ni produits agricoles pour leur consommation. Nous ne bénéficierons pas non plus de l’excédent de capacité d’investissement généré par la forte croissance de leur économie. En effet les investisseurs étrangers évitent comme la peste un pays gangrené par la corruption, au système de santé déliquescent, aux infrastructures énergétiques, routières, portuaires et aéroportuaires défaillantes, qui ne possède pas la main d’œuvre qualifiée requise dans bien de secteurs et qui n’offre pas un horizon politique clair.  J’ai envie de rappeler à Imtiyaz un adage comorien « Na walo Maka, watso wu hedji. Na walo Hindi, watsona wupvamba**». Azali président, la forte croissance attendue en Afrique de l’Est nous passera sous le nez.

Abdourahamane Cheikh Ali, diplômé de l’ENES en gestion et de l’université Lumière Lyon 2 en droit constitutionnel comparé

*Il a désormais dépassé les 110% (ndlr)

** « Il y a des gens qui sont à la Mecque et qui n’accomplissent pas le pèlerinage. Il y a des gens qui sont en Inde et qui n’ont pas de coton ». Ce proverbe évoque les gens qui n’arrivent pas à tirer profit des opportunités

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