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samedi 27 avril 2024
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Acquisition du français en passant par les langues locales, un vieux débat à actualiser

La chute du niveau scolaire à Mayotte s’accompagne d’un fait, près de 80% des élèves ne manient pas correctement le français. Pour le linguiste Rastami Spelo, le raisonnement ne doit pas s’arrêter là, il impute la situation à la fois à la faillite des méthodes employées par le système éducatif national, mais aussi par l’insuffisante utilisation des langues régionales.

Dans une tribune que nous avons publiée récemment, intitulée « L’insécurité linguistique de l’acteur public mahorais », l’écrivain Madi Abdou N’tro mettait l’accent sur les embûches que rencontrent les orateurs peu à l’aise dans la langue de Molière, et qui notait « une autocensure chez le locuteur, où bien souvent la parole fidèle est prononcée en shimaore ou en kibushi », et proposait une solution, « l’introduction progressive et massive des mots de nos langues locales dans la sémantique administrative pourrait être l’ultime moyen de sortir d’un fâcheux malentendu ».

Les problèmes liés à la langue sont multiples à Mayotte. Face à un niveau scolaire de plus en plus problématique, le recteur Jacques Mikulowic pointait, « 70 à 80% des élèves sont en difficulté sur ce sujet de la langue française ». Sa préférence va à l’utilisation des langues locales dans les petites classes comme pont vers le français de manière dégressive, pour ne plus utiliser en fin d’année que le français. La position de Rastami Spelo, spécialiste local des langues vernaculaires, elle, est connue, qui prêche l’introduction de leur enseignement dans les programmes scolaires. Nous avions brossé son portrait en 2015, les thématiques étaient les mêmes. Rebelotte 9 ans après, mais dans un contexte de perte vertigineuse du niveau scolaire. Avec une question : Est-ce la faute à la non maitrise du français ?

« Ce n’est pas parce qu’on est Mahorais qu’on connait le shimahore ou le kibushi »

C’est aussi un problème de méthode d’apprentissage selon Rastami Spelo

« Tout d’abord, je veux dire que je suis favorable à une langue pure. L’introduction des langues maternelles dans le français, ou l’inverse ne me parait pas être une bonne idée. Il faut seulement que les enfants aient accès à une langue correctement enseignée. » Il rappelle qu’un grand pas a été franchi avec l’adoption de la loi Molac du 21 mai 2021, qui préconise des mesures de protection et de promotion des langues régionales dans trois domaines : le patrimoine, l’enseignement et les services. « Elle érige le shimaore et le kibushi en langue régionale ». Mais depuis la loi, constat est fait dans l’ensemble de régions de métropole que la généralisation de l’enseignement des langues régionales se heurte au manque de moyens. Ce n’est pas différent à Mayotte où la situation est plus complexe.

« Ici, quand le recteur accorde de passer par le shimaore ou le kibushi dans les petites classes pour aller vers le français, c’est avec quelle qualité d’enseignement ?, interroge Rastami Spelo, les langues régionales sont parlées dans les petites classes par des gens qui n’ont jamais été formés, et qui n’ont pas de connaissance métalinguistique de leur langue. Ce n’est pas parce qu’on est Français et qu’on parle français, que l’on est professeur de français. C’est pareil pour les langues locales, les enseignants mahorais ne connaissent pas leur langue. »

Pour rappel, Jacques Mikulovic préconise l’utilisation des langues vernaculaires, comme passerelle en cas de difficulté de compréhension au cycle 1 (maternelle), et pour le cycle 2 (CP au CE2), en utilisant ce relais quelques mois, puis de manière dégressive pour ne plus utiliser que le français. En conséquence de quoi, Rastami Spelo réclame de pouvoir former  ces enseignants de maternelle et primaire au sein de l’association Shime.

« Jeunes, nous ne parlions pas français à la maison »

Une BD sur l’Histoire de Mayotte dans une des deux langues locales

Mais enseigner les langues locales implique un corpus pédagogique solide, ce qui a été souvent reproché par les représentants de l’Éducation nationale pour les langues locales ici. Une déficience qui a été partiellement comblée par l’adoption de l’alphabet officiel en shimaore par le Conseil départemental en mars 2020. Mais certains mots s’écrivent encore de plusieurs manières. On voit indifféremment écrit « tsumu N’djema », ou « tsoumou Ndjema » en cette fête de Ramadan. Et faut-il écrire Majicavo ou Majikavo ou Majikavu ? étant donné que « l’absence de » se traduit par « kavu ». Une adaptation et une marge d’erreur qui n’est pas propre à Mayotte, souligne le linguiste : « Tout d’abord, je voudrais rappeler que notre association Shime a publié un livre de grammaire, qu’il est épuisé, et n’a jamais été réédité. Il a été écrit par les fondateurs de Shime, dont la plupart n’étaient pas Mahorais, et qui avaient des compétences. Didier Cormice par exemple était swahiliphone. On peut s’appuyer sur cette grammaire, et d’autres langues locales ont les mêmes difficultés, mais sont malgré tout proposées au Bac, c’est le cas du tahitien. Le fait de donner des cours de langue locale aux enseignants en se basant sur les outils que nous avons, permettrait d’avoir des cours structurés. Au lieu de quoi, actuellement, les enfants parlent mal français, et mal le shimaore ou le kibushi ».

Petite parenthèse, nous sommes parfois interpellés par des kibushiphones qui accusent les locuteurs de l’autre langue locale, le shimaore, d’un hold-up de dénomination qui les prive de lisibilité. Le reproche porte sur l’utilisation de la racine « maore » pour qualifier la langue, « nous sommes tout autant Mahorais qu’eux en parlant le kibushi ! » Et de proposer de rebaptiser le shimaore.

Pour revenir à l’éducation des enfants, comment résoudre la problématique de la mauvaise maitrise du français, vecteur d’échec scolaire ? Son absence d’utilisation à la maison n’est-il pas un facteur aggravant ? « Il y a plusieurs problématiques. Cette non maitrise du français est aussi un constat fait en France métropolitaine. Il faut donc se demander si on utilise les bons outils. Quand nous étions jeunes, nous ne parlions pas français à la maison non plus, cela ne nous a pas empêché de maitriser la langue par la suite. Et paradoxalement, dans les familles mahoraises d’aujourd’hui, on parle de plus en plus français à la maison. Il y a donc un problème dans les méthodes d’enseignement. Avant, nos enseignants mahorais, bantous même je peux dire, veillaient à ce que l’on parle français comme des livres. Nous avions peu de matières, français, maths et sciences, mais c’était un vrai cours de français, avec des règles de grammaire à apprendre par cœur, des dictées. Aujourd’hui, c’est terminé tout ça, ils ont changé les règles. Il ne faut pas chercher plus loin les raisons de l’échec. »

La solution se conjugue au présent

Rastami Spelo lors de sa décoration de Chevalier des Arts et des Lettres en 2016

Il est nostalgique d’un temps où « nous étions bons en français et bon en shimaore ». Et dresse le même parallèle de niveau pour les autres matières, « nos enfants n’ont pas de bonnes notes en anglais alors que si on mène une approche métalinguistique, on s’aperçoit que le shimaore comme l’anglais utilise le présent actuel, le présent habituel et le present perfect. C’est dommage de ne pas utiliser ce biais. »

En résumé, les difficultés de niveau sont à la fois nationales, avec un changement de méthode ces trente dernières années, mais aussi locales, « ici, notre culture est bantoue, africaine, les langues maternelles sont vivantes et doivent permettre à l’enfant d’accéder plus facilement au français ».

Il salue à plusieurs reprises la démarche du précédent recteur Gilles Halbout, « il a découvert le fonctionnement du shimaore en l’apprenant », mais souhaite « que soit figé un recteur ici à Mayotte. Le mieux serait d’avoir un recteur mahorais ». Nous interpellons Rastami Spelo sur le rôle essentiel des élus dans la défense de leurs langues régionales. Il confirme : « l’ancien président du Conseil général, Ahamed Attoumani Douchina, avait produit un livre de grammaire, et Soibahadine Ibrahim Ramadani a posé de nouvelles bases, il faut y travailler. »

Et conclut en mettant en garde, « en métropole, on a attendu que les langues régionales meurent pour les ressusciter, ne faisons pas pareil ici. »

Anne Perzo-Lafond

 

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