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samedi 27 avril 2024
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Tribune – Mouhoutar Salim : « Barrages comme mode d’expression de la colère »

Dans cette tribune, un de nos chroniqueurs et écrivain mahorais, grand connaisseur de l’historique sanitaire du territoire, met en perspective la colère de la population ayant conduit à une ampleur sans précédent des blocages de l’île au regard des gains à en attendre.

A Mayotte, l’année 2023 a été une année très difficile en ce qui concerne l’alimentation en eau. La sécheresse qui a touché l’île, a fait fortement baisser les niveaux des ressources utilisées pour la production d’eau potable. Pour faire face à cette situation de pénurie, dans l’attente de l’arrivée de la saison des pluies, les autorités ont d’une part, organisé sur le territoire de Mayotte, des tours d’eau sur l’ensemble du réseau de l’île, de façon à économiser la ressource de tous les captages exploités, d’autre part, décidé l’arrêt des paiements des factures d’eau et mis en place une grande distribution des bouteilles d’eau à la population. Contrairement aux crises d’eau qu’a subies l’île, notamment en 1997 et en 2017, celle de 2023, fait partie des nombreuses crises post départementales, portant sur divers types de revendications. Celles contre l’insécurité et l’immigration clandestine qui ont eu lieu en 2018 et en 2023 ont été les plus massives.

 33 jours de crise sociale d’ampleur exceptionnelle

En effet, entre le 20 janvier et le 29 février 2024, Mayotte a été touchée par un mouvement social d’une ampleur considérable ayant eu d’importantes répercussions sur la vie quotidienne des habitants de l’île. Les forces vives de Mayotte et les élus locaux ralliés au mouvement lors du congrès de TSINGONI ont protesté contre l’insécurité et l’immigration clandestine par des manifestations et plus de 15 barrages routiers par jour sur l’ensemble de l’île. La mise en place de ces barrages dont les plus célèbres et les plus hermétiques ont été ceux de NGWEZI au carrefour de CHIRONGUI, BANDRELE, TSARARANO, CHISSA au carrefour de CHICONI, MILOU au carrefour de SOULOU et BANDRABOUA. Associés à l’arrêt des traversées de la barge à partir des dernières semaines de ce mouvement, ces barrages ont abouti à complexifier les déplacements, les approvisionnements et les mouvements de la population mahoraise.

Le « barrage hermétique » de Bandrélé avec porte coulissante

Contrairement à la crise sanitaire de 2018, où une sorte de circuit sanitaire avait été mis en place par les manifestants, pour faciliter le passage des véhicules sanitaires et des secours pour relier plus particulièrement les quatre CMR (centres médicaux de référence) à savoir MRAMADOU, KAHANI, DZOUMOGNÉ, DZAOUDZI et le CHM, l’île a été cette fois-ci, paralysée pendant ces 33 jours consécutifs dans ce contexte. Les facilités de passage accordées dans les barrages et à la barge pour les véhicules notamment de santé et de secours n’ont pas toujours permis un fonctionnement plus ou moins normal des certains services vitaux, générant au contraire une dégradation continuelle de la vie quotidienne des Mahorais.

Enfin, ce mouvement, même s’il est singulier par rapport aux autres crises qui ont affecté Mayotte depuis le vote massif du 29 mars 2009 (95,2% pour le « OUI ») en faveur de la départementalisation, notamment celle de 2011 contre la cherté de la vie qui avait duré 44 jours, et celle contre l’insécurité, en 2018, qui avait duré 51 jours, cette dernière crise montre l’exaspération des Mahorais vis-à-vis des problèmes sécuritaires qui conditionnent le développement de l’île dans tous les domaines.

En effet, au-delà des nombreux faits divers parfois dramatiques, enregistrés sur le territoire, une chose semble faire l’unanimité, le recours à la violence, jusqu’à parfois l’homicide, semble une évidence à Mayotte. Cette violence individuelle ou collective se vit et est appréhendée par la population de l’île comme de l’abandon de l’Etat dans ses missions régaliennes. Les nombreux faits de violence constatés sur le département de Mayotte depuis la départementalisation de l’île, ont abouti à mobiliser la société mahoraise et leurs élus qui ont exprimé collectivement la volonté de vouloir réagir contre ce phénomène. Et depuis, nous assistons à Mayotte à une radicalisation des protestations contre l’insécurité et à l’émergence de plusieurs collectifs des citoyens ayant pour thèmes fédérateurs l’insécurité et l’immigration clandestine.

Pour les Mahorais, cette problématique de sécurité apparaît elle-même comme un des aspects de la revendication pour une citoyenneté pleine et entière. En effet, pour eux l’insécurité met en péril la liberté chère aux Mahoraises et aux Mahorais, reprise dans leur slogan en faveur de Mayotte française, en 1974 : « nous voulons être français pour être libre ».

 Caractéristiques du mouvement

Le dépôt sauvage d’ordures ménagères de Mro Muhu dans la commune de Bandrélé

Ce mouvement a été exceptionnel dans le tissu social mahorais, par son ampleur populaire avec trois grands rassemblements (TSINGONI, MAMOUDZOU et PAMANDZI), son intensité extrême, sa motivation sécuritaire et sa durée (33 jours). Cependant, les solutions proposées par les autorités de l’Etat pour répondre aux revendications des manifestants sont complexes. Il s’agit de la suppression du droit du sol – une mesure qui pourrait être efficace contre les « accouchements militants » (faire beaucoup d’enfants qui deviendront français), dans cette grosse maternité de France -, du titre de séjour territorialisé et de la mise en place d’un rideau de fer en mer contre l’immigration clandestine, d’un WUAMBUSHU 2 contre l’urbanisme illégal et du démantèlement du camp des réfugiés de KAVANI. Ce chantier énorme, essentiellement constitutionnel en grande partie, est préféré à la recherche de solutions peut-être fort couteuses aux nombreuses difficultés nées de la situation économiques et sociale de Mayotte.

Concernant les méthodes développées dans ce mouvement exceptionnel, même si elles sont violentes, elles sont souvent symboliques, faites, de barrages routiers à l’aide de troncs d’arbres, des carcasses des véhicules et des cailloux, voire des portes coulissantes, des occupations des lieux publics stratégiques comme les croisements des routes et les ronds-points. Cette situation devient automatiquement un obstacle à la liberté de travail. Elle instaure un rapport de forces entre les autorités et les manifestants, et permet à ces derniers d’organiser un blocage total de l’île et d’assurer la médiatisation de leurs revendications. Pour défendre la liberté, les Mahorais sont contraints d’organiser la privation de cette liberté et tout cela pour se faire entendre.

Un mouvement qui a fortement impacté le quotidien de la population

En janvier, la route reliant Kahani à Combani était jonchée de troncs d’arbres

Les conflits sociaux dans les barrages, les difficultés pour s’approvisionner en nourriture, en carburant, pour accéder aux établissements scolaires, médicaux et médicosociaux et aux pharmacies, l’arrêt du ramassage des ordures ménagères et de la distribution des packs d’eau, sont autant de dysfonctionnements qui ont pu avoir un impact direct et/ou indirect sur la population mahoraise en général. Ainsi, la gestion des déchets à Mayotte pendant cette période était complétement abandonnée, la politique de salubrité publique oubliée (voir photo du dépôt sauvage de Bandrélé Mro Muhu). Pendant cette période, et aujourd’hui encore, la population souffre de son exposition à des risques sanitaires majeurs, d’une part, des maladies vectorielles transmises par les moustiques, telles que la dengue, le paludisme, le chikungunya, la fièvre de la vallée du Rift, ou par les rats, telle que la leptospirose, et d’autre part, des maladies infectieuses liées au péril fécal et au manque d’eau et d’hygiène publique.

Par ailleurs, l’espace collectif est négligé, et l’attractivité de l’île en est particulièrement amoindrie ce qui nuit à son développement, notamment pour ce qui concerne l’activité touristique.  D’une façon globale, la veille sanitaire ne pouvait jouer efficacement son rôle. Et si l’épidémie de choléra par exemple qui touche actuellement les Comores était survenue au même moment, les investigations et la gestion auraient été difficiles dans le contexte de l’immobilisme de l’île. La santé quant à elle, a été particulièrement impactée par l’ampleur de cette crise, tant dans le secteur hospitalier que libéral. C’est ainsi que les malades ne pouvaient rejoindre les structures (CMR, CHM, PMI, cabinets libéraux…). Les équipes médicales, paramédicales, techniques ne pouvaient rejoindre leurs postes en raison des barrages. Empêcher le soin et l’accès au soin, c’est empêcher la Vie et sa sauvegarde. Cette dimension de l’humain avant tout qu’il faut protéger est un point de réflexion à avoir après cette crise.

 Une réflexion à poursuivre…

Aujourd’hui, Mayotte panse ses plaies de plus en plus loin du regard de l’hexagone et de l’actualité nationale qui s’est ouverte vers d’autres urgences…, et qui ne s’y intéresse vraiment à Mayotte que lors de bouffés de crises ou de violences. Les solutions proposées par l’Etat et le Gouvernement, après concertation des élus et collectifs des citoyens de l’Ile au Parfums, sont loin de faire l’unanimité dans l’hexagone. Le passage des textes législatifs proposés par le Gouvernement au Parlement, suivis d’une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel sera long et au résultat très aléatoire. En attendant Mayotte devra peut-être faire un retour sur cette crise de 33 jours et rechercher des solutions endogènes, le temps que les politiques nationaux n’apportent des solutions institutionnelles.

Salim MOUHOUTAR

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