En préambule de cette séance plénière, le Président du Conseil économique, social et environnemental (CESEM) de Mayotte, Abdou S. Dahalani parlait de la « fragilité financière » et d’une « non maîtrise des dépenses » du département.
707 millions d’euros pour un budget global
À l’origine, le projet de budget prévisionnel du département a été pensé dans un contexte socio-économique très fragile après plusieurs crises d’ordre sécuritaire, social et hydrique, ayant marqué durement le territoire. Ainsi, pour l’année 2024, le budget global primitif du département a été évalué à 707 millions d’euros, décomposé en 505 millions d’euros pour le fonctionnement et 212 millions d’euros en investissement.
Les charges de la masse salariale ont augmenté de plus de 80% en 10 ans
Si le département souhaite maîtriser ses dépenses de fonctionnement pour pouvoir financer des projets d’investissement, le constat est toujours le même : il éprouve des difficultés à réduire ses charges qui augmentent chaque année, notamment au niveau de la masse salariale globale, qui est passée de 108 millions d’euros en 2014 à 195 millions d’euros en 2024, correspondant à une augmentation de près de 80,55% en 10 ans, pour l’ensemble des directions du département de Mayotte. Rappelons qu’il a dû encaisser les 40% d’augmentation liée à l’indexation des traitements des fonctionnaires de l’île sur cette période.
« On a fait le choix que les élèves de Trévani ne montent pas dans le même bus que les élèves de Koungou »
Depuis plusieurs années, le département subit le poids de l’insécurité routière de Mayotte dans sa compétence du transport scolaire, avec des élèves qui sont régulièrement agressés et caillassés, lors de leurs déplacements entre leur domicile et leur établissement scolaire. En conséquence, le budget du département concernant les transports scolaires est passé de 23 millions d’euros en 2018 à 49 millions d’euros en 2023 et 2024, représentant un doublement des frais engagés en l’espace de cinq années. Suite aux remarques de certains élus et du président du CESEM, Ben Issa Ousseni a haussé le ton en répondant qu’il était « normal que le budget ait augmenté pour les transports scolaires » puisqu’ « on a fait le choix que les élèves de Trévani ne montent pas dans le même bus que les élèves de Koungou. On a déplacé des bus à vide pour ne pas qu’il y ait de conflits » a justifié fermement le président du département.
« 150 millions d’euros » versés par l’Etat au Conseil départemental de Mayotte
Mais l’importance du budget global du département pour 2024, qui comprend le budget principal du département mais aussi les trois budgets annexes Santé Protection de l’Enfance (SPE), Direction des Transports Maritimes (DTM) et Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS), s’explique surtout par le contrat d’engagement 2023-2024 passé entre l’Etat et le Président du COnseil départemental de Mayotte, le 8 décembre 2023, qui a permis à l’Etat de fournir au département un soutien de 150 millions d’euros, afin de couvrir ses charges et de répondre aux enjeux sanitaires, sociaux, de l’aide sociale à l’enfance et des transports scolaires du territoire.
Comme l’a expliqué Zamimou Ahamadi, conseillère départementale de Dembeni, 5ème vice-présidente du département en charge des finances et des affaires européennes: « Ce budget comporte un excédent mais un excédent fragile car on ne sait pas si l’Etat va continuer de nous compenser ». Dans le compte administratif de 2023 du budget principal, si les recettes de fonctionnement ont augmenté de 23 %, la difficile maîtrise des dépenses de fonctionnement, qui ont augmenté de 14 % par rapport à 2022, fragilise les capacités d’autofinancement du département, et donc l’investissement qui ne peut qu’être mince.
Le conseiller départemental de Sada-Chirongui, Soula Saïd Souffou a signifié au Président du Conseil départemental qu’il lui semblait essentiel de « redonner confiance aux mahorais (…) Il faut privilégier les co-financements et faire moins d’emprunts. Les mahorais ne confient pas leurs impôts pour financer la belle vie du conseil départemental » a-t-il déclaré.
Face à cette situation financière structurellement fragile de la collectivité, certains élus ont émis des inquiétudes sur l’augmentation de certaines charges de gestion courante et notamment sur le financement des protections maternelles infantiles (PMI) et des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), notamment ces deux dernières années.
Mais pour Madi Velou, il est important de garder en tête que « c’est avant tout le social qui ramène de l’argent au département ». Aussi, pour le vice-président du conseil départemental en charge de la solidarité, l’action sociale et de la santé, « les débats sur le financement de l’ASE et de la PMI sont des faux débats » car « qu’on le veuille ou non, le social est une compétence du conseil départemental. Avant, ce qui nous manquait c’était une compensation de l’Etat mais aujourd’hui l’Etat nous accompagne. »
Cette compensation a ainsi permis de mettre en place des dispositifs sociaux « essentiels » pour reprendre le terme du conseiller départemental, tels qu’un service de dix familles d’accueil pour les mineurs, des bus mobiles « pour aller vers la population dans les quartiers les plus éloignés », accueillir des enfants en situation de handicap dans des structures d’hébergement ou encore une cellule d’écoute sur la maltraitance grâce à laquelle « on se rend compte qu’à Mayotte, des personnes âgées sont isolées, malades, malgré le fait qu’elles aient des enfants à Mayotte ».
Ainsi, pour Madi Velou, le budget du département en faveur des thématiques sociales est positif et nécessaire : « Je considère qu’il y a beaucoup d’avancées positives. Ce n’est pas toujours accepté, car c’est une politique qui n’est pas populaire. Mais moi je considère que chaque enfant à sa chance à Mayotte. On se doit d’accompagner nos jeunes, car de toute façon si on ne s’occupe pas d’eux, eux s’occupent de nous. »
Suite à cette séance, on ne peut que constater que malgré les compensations de l’Etat, le département n’a pas encore trouvé son propre équilibre budgétaire qui lui permettrait d’avoir les reins solides. Le vote de ce budget a aussi été l’occasion de constater une nouvelle fois, lors de prises de parole sur la question des réfugiés ou du stade de Cavani, que certains élus étaient réticents à faire du social avec un budget fragile, quand d’autres ont affirmé que le soutien conséquent de l’Etat représentait un argument sans équivoque de poursuivre un cap d’actions tournées vers l’humain.
Mathilde Hangard