On peut dire que le communiqué du ministère des Outre-mer du 28 mars dernier relayant l’autorisation de la Commission européenne de renouveler les flottes de pêche sur l’ensemble des départements d’outre-mer (DOM) français (avec « régime ad hoc pour la Guyane ») sauf Mayotte, en a surpris plus d’un. Notamment le conseiller départemental Soula Saïd Souffou qui est monté au créneau pour dénoncer une décision qui « stigmatise, marginalise et handicape un pan entier de notre économie ».
Jusqu’en 2017, la Commission européenne était frileuse à l’idée d’accroitre la capacité de pêche d’un quelconque port relevant de sa zone géographique. Il s’agissait de préserver la ressource de la surpêche. Cette année-là, notamment sous la pression de l’eurodéputé Younous Omarjee, le Parlement européen, demande à la Commission européenne de voter une dérogation pour les Régions Ultrapériphériques de l’Europe (RUP), dont les 5 DOM français, portant sur les bateaux de pêche traditionnelle ou artisanale. « Ils contribuent au développement local et durable des filières de la pêche des RUP », plaide-t-il.
La demande de renouvellement de flottes vieillissantes, voire précaire à Mayotte, était portée par les présidents lors de la XXVe Conférence des Régions Ultrapériphériques (CPRUP) qui s’était tenue en visioconférence les 26 et 27 novembre 2020 à Mayotte.
En réponse, la Commission européenne avait autorisé le 28 février 2022, que la France finance le renouvellement de bateaux de moins de 12 mètres à hauteur de 63,8 millions d’euros, déblocables jusqu’au 31 décembre 2026 à Mayotte. Mais y avait posé une condition : que les autorités françaises garantissent qu’il existe un équilibre entre la capacité de pêche et les possibilités de pêche du DOM concerné. Toujours dans l’esprit d’une pêche durable.
« Blocage des fonds »
Un problème, car Mayotte avait des difficultés à produire des statistiques des prises sur une pêche essentiellement artisanale. Des observateurs avaient été embarqués à cet effet, notamment à bord des longliners. En fonction des informations remontées par chaque Etat membre, un comité technique étudiait alors le rapport de capacités de pêche présenté, et émettait un avis de nature à éclairer la décision de la Commission.
Est-ce ce point qui a bloqué empêchant la France d’aider ce renouvellement de la flotte à Mayotte ? Est-ce les difficultés de structuration de la filière pêche en local ? Nous avons sollicité la préfecture afin d’obtenir un éclaircissement de la part des Affaires maritimes (DMSOI), désormais DEALM, mais ne l’avons pas obtenu.
Un contexte qui incite en tout cas l’association des Pêcheurs du Sud (APS) de Mayotte à appeler à manifester pacifiquement le 3 avril 2024, en parallèle de la visite de la ministre des Outre-mer. Ils évoquent « l’inaction gouvernementale et l’exclusion de dispositifs d’aide cruciaux », des « barrières administratives majeures », et le blocage des fonds par « des services maritimes dirigés depuis La Réunion », créant ainsi « discrimination et blocage » préjudiciables à leur égard. Sur ce sujet non plus nous n’avons pu interroger les Affaires maritimes.
Le communiqué de la ministre déléguée aux Outre-mer fait état « d’aides de minimis obtenues en novembre dernier » qui « permettront une ouverture des aides pour l’ensemble des territoires ultramarins, y compris Mayotte. » Il s’agit de l’enveloppe de 30.000 euros par bateau à Mayotte. Mais la ministre s’expliquera certainement sur ce sujet lors de sa visite ce jour sur l’île.
Se rajoute sous la plume des pêcheurs du Sud, « l’exclusion des pêcheurs mahorais des aides européennes pour les bateaux de moins de 12 mètres (…) surtout lorsque l’on constate que des bateaux étrangers, bien qu’immatriculés à Mayotte* mais opérant depuis les Seychelles, bénéficient de la liberté de pêcher dans nos eaux. »
Pour mémoire, à Mayotte en 2015, 22 thoniers senneurs industriels français et espagnols, totalisaient 2.234 tonnes capturées dans la ZEE, sans « aucune retombée sur le territoire, faute d’infrastructures adaptées » (Rapport 2019 de l’Assemblée nationale).
* Il n’y a pas de thoniers senneurs étrangers immatriculés à Mayotte, uniquement des français
A.P-L.