Les élus départementaux débattaient encore ce mardi autour de leur reprise en main des routes nationales proposée il y a deux ans par la loi 3DS. Un problème à plusieurs facettes nous explique notre spécialiste local, Mohamed Hamissi, expert mobilité. Il rapporte avoir été interpellé sur le sujet du mauvais état du réseau routier par un des membres des Forces vives, « j’ai répondu que sans véritable politique routière sur le territoire, nous n’y arriverions pas, et qu’il faut avant tout avoir une vision de l’aménagement du territoire ».
Il n’est pas uniquement question de l’état du bitume qui n’a plus rien à voir avec les trous d’un gruyère indigeste qui rallongeait les temps de trajet entre le Nord et le Sud il y a encore dix ans, mais bien de l’entretien global du réseau : les trottoirs, les bas-côtés, la végétation envahissante, la protection des personnes à mobilité réduite, les pistes cyclables, etc. « Tout ce qui fait que la route doit être le lieu de cohabitation harmonieux entre les usagers, et on en est loin ici », déplore-t-il.
L’actualité vient d’enrichir ce constat puisque nos confrères de Mayotte la 1ère annonçaient cette semaine qu’une fillette de 4 ans avait été renversée par une voiture et trainée sur la route, heureusement, ses jours n’étaient pas en danger. Or, tous les matins et soirs, on peut voir marcher en file indienne des centaines d’élèves en bordure de route, sans aucun trottoir sur certaines portions. « La responsabilité de ceux qui en ont la charge peut être engagée en cas d’accident ».
Mayotte compte, 90 kilomètres de routes nationales, 140 kilomètres de routes départementales et 400 kilomètres de voirie communale. Or, comme le rappelle Mohamed Hamissi, l’investissement n’est pas au niveau : « En lieu et place des 20 millions d’euros à dépenser chaque année pour l’entretien des routes comme le préconise le Plan Global Transports et Déplacements (PGTD), seuls 4 petits millions d’euros sont alloués. »
Le trottoir, un pont entre deux villages
Mais également, il n’y aurait pas de réelle volonté d’ouvrir la route à l’ensemble des usagers : « L’obsession des années 70 de dédier la route aux voitures persiste à Mayotte. A de nombreux endroits, les chaussées de 7 à 8m de large sont dépourvues de trottoirs, d’éclairage public, d’évacuation des eaux pluviales, d’élagage des arbustes qui empêche toute visibilité. En quand il y a un accident, on bloque la route pour avoir un ralentisseur ».
Il replace la route dans son environnement en différenciant deux cas. « Tout d’abord, les zones urbaines comme Mamoudzou, Combani ou Chirongui où il y a de la vie de part et d’autre de la chaussée contrairement à la rase campagne. Il faut donc penser aux piétons, aux personnes à mobilité réduite, que ce soit des personnes âgées ou en situation de handicap. Or, sur ces zones, soit les trottoirs font défaut, soit ils sont en mauvais état, avec des protections en partie arrachées, comme dans Koungou centre. Quand des encombrants envahissent la chaussée, comment font les fauteuils roulants ou ceux qui font des courses pour se déplacer ? Et ensuite, la route a une fonction circulatoire, mais pour tous. Les pistes cyclables ou les trottoirs sont parfois entrecoupés car on privilégie la voiture. C’est le cas depuis la sortie d’Iloni vers Hamouro où le trottoir ne relie pas intégralement les deux villages. »
Alors que lorsque ces aménagements sont mis en place, ils représentent un enjeu de cohésion sociale selon lui, « de Combani à Tsingoni, le piéton peut circuler entre les deux villages grâce à un trottoir continu, cela facilite les relations sociales et de bon voisinage ».
L’enjeu prioritaire reste malgré tout la sécurité publique, et la protection des usagers de la route. « A Mayotte, les gens marchent beaucoup, et en 2022, on avait enregistré plusieurs décès de piétons, fauchés le long de la route. Dégager les branches et aménager des zones d’arrêt d’urgence en cas de panne notamment, est indispensable car dès qu’ils sortent d’un village, les automobilistes accélèrent, alors qu’il peut y avoir des piétons ou d’autres obstacles. »
Lever le nez du guidon
La stagnation des eaux de pluie faute d’évacuation efficace ou débouchée, le manque de place de stationnement qui incite à utiliser le trottoir, « c’est le cas à Iloni », ou les carrefours et ronds-points, « soit pour faire du stop, soit pour prendre le taxi », et pour finir, un « maillage insuffisant de route alors que le nombre d’immatriculations ne cesse d’augmenter », aboutissent sur « des conflits d’usage en raison d’un réseau routier inadapté ».
La première des priorités, c’est la sécurisation des traversées de villages, « avant d’être un automobiliste, nous sommes tous piétons, et on l’oublie trop souvent. Les politiques doivent s’en saisir et permettre aux habitants dont les élèves de circuler en toute sécurité, aux sportifs de faire leur footing, etc. »
Nous pourrions résumer la 2ème par la nécessité de ne pas avoir le nez dans le guidon et ne voir que le bitume : « Ne pas se contenter de réparer une chaussée défoncée en remettant du bitume, mais insérer la route dans les projets d’aménagements de la voirie. Lorsque les habitants manifestent parce qu’un piéton a été fauché, c’est que l’aménagement a échoué, qu’on a privilégié la fonction circulatoire. » Il en profite pour signaler que les « coussins berlinois », ces ralentisseurs qui n’occupent que la partie centrale de la voie, seraient interdits.
« Entrer en négociation avec l’Etat »
Insérer le réseau routier dans l’environnement c’est ce qu’a fait la commune de Mamoudzou en instaurant une « zone 30 » rue du Commerce, « les piétons y sont prioritaires », ce qui sous-entend que les passages pour piétons dessinés sont inutiles voire contreproductifs. En matière d’aménagements efficaces, il s’y connait puisque c’est lui qui a fait installer la chicane près des Urgences, ainsi que le « plateau traversant » rouge devant l’entrée du CHM, « pour un meilleur repérage des piétons qui prennent le taxi à cet endroit, et un partage des usages ».
Il faut enfin des budgets alloués aux services techniques à la hauteur de ce qui est inscrit au PGTD, « il faut arrêter le bricolage. Le réseau routier, c’est la vitrine d’un territoire. Or, ici, il est moche et dangereux. Il en va du développement global de Mayotte. Il faut former des jeunes à devenir des spécialistes en voirie et en génie civil. »
Quant à la décision des élus de ne pas récupérer la compétence des routes nationales (RN) tant qu’elles ne sont pas remises aux normes, il est plus nuancé : « Le conseil départemental ne se pose pas la bonne question. Alors que le transport collectif est en cours d’implantation à Mayotte, par Caribus, mais aussi par le transport interurbain du CD lui-même, et que les RN et les RD vont être revues pour cela, il faut entrer en négociation avec l’Etat pour optimiser le réseau routier dans le cadre de l’aménagement de ce transport collectif et de la mobilité durable, vélo, etc. Il faut écrire une feuille de route du réaménagement qui permettra de ne plus revenir par exemple sur l’état de la chaussée. Nous revenons à la nécessité d’écrire une vraie politique routière à Mayotte. »
Anne Perzo-Lafond