C’est sous la pression des collectifs que les élus avaient rendu leur copie sur le projet de loi Programme pour la refondation de Mayotte. Beaucoup plus complet que celui qui avait été proposé il y a trois ans, ce qui avait provoqué un rejet des conseillers départementaux, ce nouveau texte issu d’une volonté de (re)construire Mayotte « autrement » selon le Premier ministre, a reçu un avis réservé.
Pour autant, plusieurs des 35 articles du projet de loi ont été largement débattus et amendés par les élus en séance plénière le 10 avril : délai pour la convergence sociale, localisation du rallongement de la piste aéroportuaire, procédure d’expropriation pour la réalisation d’infrastructures publiques, etc. Autant de points pour étayer « l’avis réservé » qui lui était donné.
Le ministre Manuel Valls n’a pas trainé à répondre puisque dès le 14 avril, c’est un argumentaire point par point qui a été adressé aux élus en retour. Plusieurs concernent le rapport annexé au projet de loi, qui fait office d’article 1, histoire de faciliter leur mise en place, étaye le ministre d’Etat.
Un port d’Etat… à l’issue de la DSP

En ce qui concerne la localisation de la piste longue, les élus avaient été unanimes -sous l’œil des collectifs – pour indiquer leur préférence en faveur du rallongement de Petite-Terre. Le ministre Manuel Valls rappelle que la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) avait présenté une comparaison des deux sites, Petite Terre et Bouyouni/M’tsangamouji, ce dernier étant le « scénario technique privilégié ». On rappelle que la présence de la chambre magmatique du volcan Fani Maore située sous Petite Terre est considérée comme un risque supplémentaire pour le site.
Le port de Longoni, dont la gestion par la délégation de service public (DSP) du CD est compromise en raison d’un manque de contrôle effectif de la part du déléguant, fait l’objet d’une enquête par le Parquet national financier. Le ministre a souligné qu’il était « nécessaire d’envisager un passage sous compétence de l’État en vue de sa modernisation et de son extension, lui conférant la dimension d’un grand port maritime ». Un axe constamment défendu par un ancien pilote maritime de Longoni. Manuel Valls indique qu’une expertise sur le statut et le mode de gestion sera rapidement engagée en concertation avec le CD, pour une mutation « au terme de la délégation de service public en cours », c’est-à-dire en 2028. Et alors que de nombreuses irrégularités sont enregistrées.
Sur le chapitre de la lutte contre l’immigration clandestine, la remise en état des moyens nautiques est en cours, indique le ministre. Rappelons que les deux vedettes de la gendarmerie maritime avaient été drossées à la côte faute de mesures de prévention suffisantes : « Six intercepteurs nautiques sont opérationnels sur un parc de huit, dont trois sont présents à la mer, la majorité des moyens de détection radar a également été rétablie, une vedette côtière de surveillance maritime de la gendarmerie maritime est arrivée la semaine dernière. Une seconde doit être acheminée à Mayotte d’ici la fin du premier semestre 2025. »
L’immigration familiale visée

Rappel est fait de l’aménagement de la nouvelle base pour les intercepteurs de kwassa avec les travaux de construction d’un ponton sur l’îlot Mtsamboro, qui « permettra aux forces de disposer d’un point d’appui essentiel à l’action de surveillance ». Depuis le début de l’année 2025, 4.883 reconduites à la frontière ont été menées. Une étude « technico-opérationnelle » relative à la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte a été réalisée par la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes du ministère de l’Intérieur, « les investissements et actions réalisés sur la base de cette étude viendront soutenir l’effort de renforcement capacitaire. »
Quant à la demande des élus de relations « plus fermes » avec les Comores sur cet axe des flux migratoires, c’est un domaine qui pourra faire l’objet d’un échange avec Emmanuel Macron en visite à Mayotte ce lundi.
Les autres articles sont également commentés par Manuel Valls en réponse aux élus. L’immigration clandestine et les mesures pour la réguler occupent évidemment une grosse part. L’article 2 durcit les conditions d’obtention des cartes de résident ou les reconnaissances de paternité, comme nous l’avions rapporté, en mettant l’accent sur l’immigration familiale. Manuel Valls défend son point de vue en rapportant qu’en 2023, la délivrance ou le renouvellement des titres immigration familiale représentait 85 % de l’ensemble des titres, expliquant qu’il s’agit d’une part de l’immigration de « parent d’enfant français » et de « liens personnels et familiaux », d’autre part. « Il n’est, en revanche, pas possible de prévoir dans la loi un délit de séjour irrégulier propre à Mayotte ».
Pas de consensus sur la levée de la territorialisation
En ce qui concerne la demande unanime de la population de levée de la territorialisation des titres de séjour qui fait l’objet d’une proposition de loi du sénateur Omar Oili, le ministre est clair : « Je vous réaffirme, tout en comprenant votre prise de position, qu’il n’existe pas, à ce stade, de consensus gouvernemental en faveur de sa suppression ». Un comble alors qu’il s’agit d’une atteinte à l’indivisibilité de la République ! Le ministre mise sur les discussions parlementaires pour faire bouger les lignes.
À propos de l’article 9 suggérant de retirer les titres de séjour des parents d’enfants délinquants, il est innovant, souligne Manuel Valls, qui explique aux élus que pour garantir sa constitutionnalité, la proportionnalité de la réponse par rapport à l’acte commis doit être garantie avec une date butoir au 31 décembre 2028 pour permettre d’en étudier la portée réelle.
La réduction du calendrier de convergence des droits sociaux est également demandée par les élus à l’écoute des collectifs. D’une part, son intégration au rapport annexé (article 1) doit pouvoir le faire passer plus aisément que par ordonnance, justifie le ministre des Outre-mer, d’autre part, « il est très clair que le calendrier de la convergence ne doit pas être réduit à son issue, en l’occurrence 2031 ». Premier pas vers la convergence « dès le 1er janvier 2026 », après « concertation avec les acteurs économiques et sociaux ».
Les modalités d’expropriation écrites avec les élus

Le gros point d’achoppement du projet de loi Urgence avait été les modalités d’expropriation pour aménager des infrastructures d’utilité publique, au point qu’il avait été retiré. Il refait son apparition, déclenchant la même hostilité d’une partie de la population, qui refuse de céder des terrains pour construire des logements sociaux. Pourtant, la procédure fait partie du droit commun rappelle Manuel Valls qui indique que l’article a été rédigé après « concertation menées avec les élus » avec une liste précise d’ouvrages à réaliser : infrastructures portuaires, aéroportuaires, ouvrages des réseaux publics d’eau et d’assainissement, ouvrages et installations à l’usage des forces de sécurité intérieure, ouvrages de production et de distribution d’électricité, infrastructures pénitentiaires, infrastructures de santé et médico-sociales. « La construction de logements ne figure ainsi plus dans cette nouvelle rédaction, ce qui témoigne de la démarche d’écoute qui a été celle du gouvernement ces dernières semaines. »
Autre gros sujet, l’évolution institutionnelle. Que désormais les élus appellent de leurs vœux quand la proposition de l’ancien président Soibahadine avait été retoquée à grands cris. Que de temps perdu ! Les conseillers départementaux demandent même que soient créées deux assemblées, départementale et régionale, alors que la convergence vers une assemblée unique est préconisée par l’Etat et adoptée par la Martinique et la Guyane. Le projet de loi prévoit 52 élus pour gérer cette double assemblée en une. « La collectivité unique, le Département-Région, consolidera la cohérence de l’action publique sur le territoire », estime le Premier ministre, d’autant que certaines compétences régionales sont déjà exercées par le CD.
Le projet de loi est présenté en Conseil des ministres ce vendredi 18 avril, « il ne marque pas la fin des discussions », souligne Manuel Valls qui rappelle les enrichissements que pourront y apporter les parlementaires.
Anne Perzo-Lafond