Jeudi 17 avril 2025, l’Hémicycle Younoussa Bamana à Mamoudzou a été le théâtre d’un débat public tendu sur la construction de la fameuse piste longue à Mayotte. Alors que le président du Conseil départemental, Ben Issa Ousseni, avait convié la population à s’exprimer sur ce projet d’envergure, la rencontre a rapidement été marquée par des désaccords et des accusations de manipulation.
Des débats sous tension et une concertation mise en doute

Le 17 avril, à 9h00, un débat public était organisé pour donner l’opportunité à chaque Mahorais de faire entendre sa voix sur le projet de piste longue. Mais dès le début de la séance, les tensions ont éclaté. Un retard de certains élus, dont Abdoul Kamardine et Nadjayedine Sidi, a créé un climat de mécontentement parmi les citoyens présents. Le collectif citoyen a accusé le Conseil départemental de vouloir « plier le débat » avant même qu’il ne commence. « En les faisant attendre, ils font chauffer les gens », a déclaré un membre du collectif. En effet, l’hémicycle était plein depuis 8h30 mais la population et la presse n’ont pu y entrer qu’aux alentours de 10h. Ben Issa Ousseni avait pourtant initialement affirmé que les échanges se dérouleraient dans un esprit « apaisé », pour permettre à chacun de donner son avis « dans le respect ».

Mais cette ambiance ne laissait présager rien de tel. « Il y aura la piste longue en 2050, peut-être ? », proclame une voix sarcastique usée de ces débats interminables dans l’Hémicycle. Certains citoyens en faveur du projet de piste longue à Pamandzi prennent la parole. Dans le public, les autres spectateurs ne se positionnent pas. Au bout de plusieurs minutes, le Président du Conseil départemental annonce : « Très bien, je prends acte que la population de Mayotte veut un projet de piste longue à Petite-Terre et non à Bouyouni. » La conseillère départementale du canton Mamoudzou 3, Hélène Pollozec, réagit assitôt : « Très bien mais désormais je ne veux qu’il n’y ait plus de débat à ce sujet Monsieur le Président et que toutes les prises de position publiques soient claires. C’est Petite Terre un point c’est tout. »
Rapidement, le Président demande de passer à un autre sujet. Le débat est clos. Pourtant, une question demeure : quelle sera la suite de ces échanges ? De plus, la population de Mayotte dans son ensemble n’a pas été consultée. Peu à peu, ceux intéressés par le projet de la piste longue quittent l’hémicycle.
Bouyouni ou Pamandzi ?
Au cœur du débat, si l’objectif semblait être de choisir entre deux scénarios, comme s’il existait un « meilleur » choix, en réalité, il ne s’agissait que de choisir le « moins pire ».

Le site de Pamandzi, en Petite-Terre, où se trouve l’aéroport actuel, Marcel Henry, en Petite-Terre est fortement soutenu par le Collectif des citoyens de Mayotte 2018. La présidente du Collectif, Safina Soula, a clairement réitéré sa préférence. « Nous sommes prêts à aller jusqu’au bout pour défendre Pamandzi », a-t-elle affirmé avant d’entrer dans l’hémicycle. Selon elle, ce site présente plusieurs avantages : il est mieux adapté aux réalités locales, et son développement est crucial pour l’économie de l’île. D’après ses défenseurs, une piste longue à Pamandzi, permettrait de limiter les coûts de cette nouvelle infrastructure tout en préservant l’espace agricole de l’île. En pratique, l’extension de la piste à Pamandzi serait aussi moins coûteuse, comparée à la construction d’une piste longue au Nord de l’île, nécessitant de construire un nouvel aéroport et certainement de réaménager les moyens routiers d’accès à cette nouvelle zone.

Cependant, l’emplacement à Pamandzi n’est pas sans risques. Les phénomènes naturels, comme l’affaissement de l’île, la destruction du corail, la présence du volcan Fani Maoré à 40 kilomètres des côtes, exposent la zone à des dangers accrus. Ces risques pourraient compromettre la durabilité de l’infrastructure à long terme. De plus, les travaux nécessaires pour sécuriser la piste actuelle, notamment le surélévation de la piste, entraîneraient des coûts élevés et provoqueraient la fermeture prolongée de l’aéroport, perturbant les liaisons aériennes et l’économie locale.
En face, le site de Bouyouni, soutenu par d’autres acteurs, présente certains avantages, notamment une moindre exposition aux risques naturels. Il offrirait une meilleure sécurité à long terme et pourrait stimuler l’économie locale du Nord de l’île, en désenclavant davantage cette zone. Néanmoins, la construction d’une piste longue à Bouyouni impliquerait un coût bien plus élevé, estimé entre 550 et 700 millions d’euros, en raison des ajustements nécessaires pour notamment construire un nouvel aéroport. De plus, l’impact sur les terres agricoles et les zones réservées à l’exploitation des ressources en eau du Nord de l’île, reste un sujet de débat majeur.
Un choix de l’État déjà acté ?
Or, le 14 avril 2025, un courrier du ministre des Outre-mer, Manuel Valls, à Ben Issa Ousseni a confirmé ce que certains redoutaient : le gouvernement affirme que le projet de la piste longue à Bouyouni est « privilégié« . Dans ce courrier, Manuel Valls souligne que l’État est d’ores et déjà engagé à garantir la desserte aérienne internationale de Mayotte, précisant que deux scénarios avaient été étudiés : l’extension de l’aéroport de Pamandzi ou la construction d’un nouvel aéroport à Bouyouni.
Le ministre rappelle que la décision relative à l’implantation du nouvel aéroport doit être prise avant avril 2026, avec la déclaration d’utilité publique avant fin 2028. Il précise également que le site de Bouyouni est déjà le scénario technique privilégié par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), en raison de ses avantages en termes de sécurité et de capacité à accueillir une grande infrastructure.
Une décision encore incertaine
Pourtant, l’enjeu de la création d’une piste longue à Mayotte dépasse une simple question d’aménagement du territoire : il cristallise un dilemme profond entre désenclavement du 101ème département français et préservation d’un territoire insulaire aux équilibres déjà précaires, surtout après le cyclone Chido. Car ici, toute décision pèse lourd.

D’un côté, étendre l’aéroport de Petite-Terre, c’est prendre le risque d’implanter une infrastructure majeure dans une zone exposée aux séismes et aux tsunamis, en piétinant la biodiversité marine. D’un autre côté, déplacer le projet au Nord de l’île, c’est raser une partie de la forêt, toucher aux terres agricoles, et fragmenter un écosystème déjà vulnérable. Dans tous les cas, c’est la nature qui paie. Et c’est là toute la tragédie : sur une île, il n’y a pas d’angle mort, pas de repli possible. Chaque parcelle est comptée, chaque atteinte laisse une trace. Détruire du corail ou arracher des arbres, c’est altérer un patrimoine commun, vital autant qu’identitaire.
Pourtant, le besoin d’ouverture est réel, urgent. La piste longue représente une promesse de mobilité, d’égalité, d’accès aux soins, au travail, au reste du monde. Alors on avance, tiraillés entre la nécessité d’agir et le coût écologique de chaque avancée. Mayotte a besoin de respirer. Mais comment dessiner l’avenir quand chaque pas vers le progrès semble grignoter un peu plus de ce qui fait la richesse de l’île ?
Reste désormais à savoir quelle direction prendra le gouvernement : cédera-t-il face aux demandes d’une partie de la population de Mayotte, qui milite pour une piste longue à Petite-Terre, ou maintiendra-t-il sa préférence pour le Nord de l’île ? Et si ce choix s’avère trop complexe à assumer, l’État prendra-t-il la décision radicale d’abandonner l’idée d’une nouvelle piste longue, sacrifiant une fois de plus le désenclavement de Mayotte ?
Mathilde Hangard