18Certaines mesures prises pour répondre à une situation d’urgence deviennent caduques une fois l’impératif levé. Leur maintien dans la durée empêche la mise en place de solutions durables, et à terme, ces mesures finissent même par dégrader la situation. Mais il arrive aussi que de telles mesures créent des mécanismes qui fonctionnent si bien, qu’il est dommage de les voir s’arrêter.
Maintenir la collaboration née dans l’urgence
Après le passage du cyclone Chido, le 14 décembre dernier, son réseau d’éléctricité à terre, Mayotte est plongée dans le noir. Dans les bureaux d’Électricité de Mayotte (EDM), les discussions avec la Préfecture du département, le Conseil départemental, principal actionnaire de la société, et les communes, s’enchaînent. Très vite, le 31 janvier 2025, est retenu comme date butoir pour ré-alimenter tous les clients de la société à travers l’île, un chantier colossal.
Création de cellules spécialisées, appel aux renforts humains, matériels, soutiens financiers, réalisation des premiers travaux… Pendant un mois et demi, le personnel d’EDM, les élus des municipalités mais aussi du département, les directeurs de services et les ambassadeurs, sont en contact direct, quasi continu, via une messagerie de discussion instantanée, avec l’ambition commune de « réélectrifier Mayotte » dans le délai imparti. Malgré les désaccords et les débats, le 31 janvier 2025, la mission est réussie.

Une prouesse rendue possible par l’urgence du moment, mais surtout par une collaboration efficace entre les acteurs. Un fonctionnement qu’EDM souhaite pérenniser alors que les phases de consolidation puis de reconstruction du réseau sont sur le point de démarrer. Ce jeudi 17 avril, la société a invité les élus et les directeurs de services à un séminaire pour évoquer la suite des opérations et rappeler l’efficacité de ce travail effectué dans l’urgence, quatre mois après le cyclone.
« Il faut capitaliser sur ce qu’on a réalisé pendant la crise pour reconstruire le réseau et envisager l’avenir du territoire », lance d’emblée le directeur général d’EDM, en introduction du séminaire, Raphaël Ruat, face aux élus.
D’autant plus que si la phase d’urgence a été intense : elle a nécessité l’arrivée de 500 renforts, 530 tonnes de matériels, et la réalisation de 30.000 chantiers avec des centaines d’opérateurs appelés à travailler en même temps sur l’ensemble du territoire, pour un coût de trente millions d’euros, la reconstruction d’un réseau électrique « moderne et robuste », s’annonce tout aussi exigeante. Et il faut aller vite.
Il faut abriter les installations face aux effets grandissants du dérèglement climatique, et surtout protéger la population des branchements sauvages qui continuent à être une menace quotidienne dans certains quartiers. En effet, le 23 mars dernier, un enfant de cinq ans est mort électrocuté dans le quartier de Bonovo, à Mtsapéré, après avoir touché un câble par accident, alors qu’il jouait dans la cour, racontaient ses parents.
Consolider avant de construire un réseau moderne

Lors du séminaire, EDM a détaillé sa feuille de route pour les mois à venir avec dans un premier temps la consolidation du réseau qui doit durer entre douze et quinze mois, puis la reconstruction. Pour la première phase, 3.500 chantiers sont prévus, à partir du mois de mai, pour remettre aux normes techniques le réseau électrique actuel avec notamment un travail de réparation des câbles réseau sur support, la remise en état des branchements, le remplacement de poteaux de supports en bois, et de coffrets électriques. Une consolidation estimée elle aussi à trente millions d’euros, et qui sera réalisée par dix entreprises prestataires locales.
Après ces travaux, la phase de « reconstruction » du réseau devra débuter, même s’il s’agît davantage de la construction d’un système plus moderne et solide. Son enjeu principal est l’enfouissement des câbles sur tout le territoire. Sur les lignes à haute tension (HTA) actuelles, qui relient un poste électrique principal à un village ou à une entreprise par exemple, 13% des câbles, soit 50 kilomètres, sont aériens. Pour les câbles à basse tension (BT), qui transportent l’électricité destinée aux habitations, 68.8% des installations sont aériennes, ce qui représente 433 kilomètres.
Pour les HTA, l’objectif est l’enfouissement total du réseau, ce qui nécessite l’installation de compensateurs synchrones, des machines qui coûtent entre 2 et 20 millions d’euros. Pour les BT, EDM appelle la préfecture, les collectivités, les élus à définir les installations qui nécessitent un enfouissement prioritaire. « Le but est de ne plus subir les mêmes préjudices que l’on a connus suite au cyclone, il faut définir ensemble un réseau intelligent et moderne », insiste, Philippe Grauliere, responsable de la reconstruction pour EDM. « Suite à Chido, on a appris qu’il fallait raccorder les pharmacies, les dispensaires, en plus de l’hôpital, pour sauver les médicaments et rétablir rapidement l’accès au soin », poursuit-il. « Dans les communes il est impératif de définir des lieux de vie, des gymnases, des mairies, des écoles, qui pourront accueillir la population dans de bonnes conditions dans l’urgence. Pour cela il faut nous dire où il faut aller, vers quels bâtiments se tourner », précise-t-il aux élus.

Et c’est pour tout ce travail de détection sur le terrain que la collaboration née dans l’urgence après-Chido est importante. Dans le mois et demi qui a suivi le cyclone, EDM a envoyé des « ambassadeurs » auprès des communes pour remonter les besoins propres à chaque zone. Un dispositif qui sera maintenu, tout comme les conversations directes sur les applications de messagerie instantanée. « Chido a montré qu’EDM ne pouvait pas fonctionner sur tout le territoire sans vous les élus. Tout le monde a joué le jeu et il faut maintenir ce partenariat », a appuyé Echat Magoma, directrice des relations territoriales dans la société.
Améliorer la communication auprès de la population
Mais pour les élus, si la plupart partagent la volonté de maintenir ce partenariat renforcé dans les années à venir, ils appellent à plus de transparence et de communication de la part d’EDM sur les travaux envisagés mais surtout, dès aujourd’hui, sur les difficultés rencontrées. « Sur la commune de Mamoudzou, face aux problèmes nos habitants nous harcèlent, nous avons besoin de leur montrer que les choses changent, s’améliorent. Il nous faut des éléments de langage pour apaiser la situation », concède Hamidani Magoma, adjoint au maire à la Ville de Mamoudzou, chargé de l’aménagement. « Il faudrait pouvoir accéder à une carte qui recense les travaux en cours pour donner les informations à nos administrés ».

« On comprend l’attente des administrés, mais on a besoin d’un temps de préparation », répond le directeur Raphaël Ruat. « Les travaux vont recommencer à partir du mois de mai pour la remise aux normes du réseau, et donc les communications et la collaboration vont reprendre avec les élus à partir de ce moment-là ».
Si EDM et les municipalités souhaitent continuer à travailler main dans la main, elles devront également suivre avec attention les difficultés de la vie quotidienne des habitants et communiquer sur l’avancée des projets, qui risquent notamment d’entraîner des coupures. Un défi qui sera peut-être le plus difficile à réaliser.
Victor Diwisch