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vendredi 21 mars 2025

Adoption du durcissement du droit du sol à Mayotte en commission du Sénat : les arguments des deux camps

Faute d’étude d’impact du premier durcissement datant de 2018, l’heure est à la présentation d’arguments fallacieux qui brouillent le débat alors que le texte doit être présenté le 25 mars en séance plénière du Sénat.

Le texte débattu par l’Assemblée nationale dans une ambiance enflammée, et adopté dans un désordre tel que des erreurs de vote ont été commises, a été remanié en commission des Lois du Sénat ce mercredi. Il sera examiné en séance plénière le mardi 25 mars.

Les députés s’étaient quittés en février dernier sur le durcissement d’un droit du sol déjà bien entamé par la loi de 2018 et les amendements de l’ancien sénateur Thani Mohamed Soilihi. Après des échanges vifs entre les députés LFI et Estelle Youssouffa, l’accès à la nationalité française pour un enfant né à Mayotte était de nouveau durci, puisque conditionné par la présence continue et régulière de ses deux parents, et non plus un seul, sur le 101ème département français dans les trois ans précédents sa naissance, et non plus trois mois. En réalité, les députés visaient une durée régulière d’un an, mais la proposition de durcissement de l’UDR Éric Ciotti avait été votée par erreur par les députés de gauche. Promesse leur avait été faite de le ramener à un an au Sénat.

Comme nous l’avons constamment rappelé, l’auteur du durcissement en 2018 et désormais ministre Thani Mohamed Soilihi, n’avait eu de cesse de demander que les deux conditions émises par le Conseil d’Etat au terme de ses 8 heures d’audition à l’époque soient remplies. C’est-à-dire une communication efficace de cette modification aux Comores, pays de départ des migrants, et l’évaluation de la mesure. Or, aucune des deux n’a été mise en place.

Un combat pour Mayotte et non pour l’Hexagone

Mayotte, proposition de loi, droit du sol, assemblée nationale,
Les débats avaient été enflammés à l’Assemblée nationale

Durcir sans évaluer ressemble à une avancée à l’aveugle sur ce terrain où Mayotte va avoir du mal à ressortir gagnante si les élus nationaux en font des positions politiques dans l’espoir de voir pour les uns, les mesures dupliquées sur le territoire national, ou pour les autres, de ne pas regarder le problème en face. Or, Mayotte n’est pas l’Hexagone. Ici, c’est la saturation des services publics qui est en cause, écoles, hôpital, etc., quand, à 10.000 km de là, c’est le problème d’intégration et l’adoption des valeurs de la République qui font défaut. Au Parlement, battons-nous pour Mayotte donc, y compris au niveau national.

Le groupe Ecologiste-Solidarité et Territoires proposait mercredi de rejeter l’examen de la proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte, en considérant que la prétendue attractivité du droit du sol à Mayotte, n’existe pas. Leurs députés se basent sur les données faisant suite au durcissement de 2018 : « en 2022, le nombre de nouveaux nés ayant une mère étrangère était supérieur à 14% par rapport à 2018, et le nombre de personnes interpellées en mer dans les kwassa-kwassa a augmenté de 128% par rapport à 2020 », écrivent-ils. En déduisant que « le durcissement du droit du sol à Mayotte est sans impact sur la situation migratoire du département. Le rapporteur a reconnu lui-même en commission que le lien entre droit du sol et attractivité de Mayotte n’avait jamais été clairement démontré. »

Des données contestables, puisque l’augmentation des naissances d’une mère étrangère peut aussi s’expliquer par une hausse de reconnaissances frauduleuses de paternité par des pères français qui la monnayent, permettant alors l’accès à la nationalité française pour l’enfant, et l’augmentation des interceptions de kwassa peut résulter d’un renforcement des moyens nautiques. Des chiffres qu’il faut donc corroborer et qui prouvent bien que n’importe quelle position peut s’appuyer sur des données fantaisistes en raison d’une absence d’étude d’impact.

Comment créer une soupape ?

Les kwassa continuent d’arriver sur les côtes mahoraises (Photo d’illustration)

Que faire pour contrer l’immigration à Mayotte alors ? Les raisons des arrivées sont connues : se soigner, scolariser dans de meilleures conditions ses enfants, et ne plus repartir d’un territoire qui offre une meilleure qualité de vie que les iles comoriennes. Cela passe par l’accès à la nationalité française, mais aussi, par l’obligation de désengorger un territoire dont les 374km2 ne peuvent plus accueillir. Tout simplement parce que les implantations anarchiques en tôle ont tué lors de Chido, et que les constructions en services publics ou en logement, ont de plus en plus de mal à trouver des surfaces constructibles, sans aléas.

D’où la demande de la population mahoraise et les collectifs début 2024 de levée la territorialisation du titre de séjour qui empêche son détenteur de quitter Mayotte pour aller voir ailleurs. Un cas unique en France ce qui nous avait incité à titrer sur une dérogation qui porte un coup à « l’indivisibilité de la République » pour paraphraser le terme utilisé par le Conseil constitutionnel qui visait la suppression du droit du sol à Mayotte. Nous avons relayé la semaine dernière la position du sénateur Omar Oili qui pèse de tout son poids pour dénoncer ce titre de séjour territorialisé qui engorge le territoire, en démontrant qu’il s’agissait d’un héritage colonial.

Gérald Darmanin avait frappé fort, mais la levée du droit du sol avait été retoquée

Les opposants de cette levée de la territorialisation du titre de séjour donnent aussi leurs arguments en craignant une affluence accrue de migrants que provoquerait cette annonce, avec une large proportion non régularisée qui gonflerait encore la population sur place.

C’est pourquoi l’ancien ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, comptait coupler la levée du titre de séjour territorialisé à la suppression du droit du sol, recalée depuis par le Conseil constitutionnel.

On connait la vraie bonne solution, c’est le développement socio-économique des Comores qui inciterait ses habitants à rester sur place. Mais jusqu’à présent, les milliards reçus par les dirigeants faillis n’ont pas été transformés en plus-value pour la population, provoquant des vagues migratoires toujours conséquentes.

Il va donc falloir que les parlementaires abandonnent leurs postures, que les débatteurs laissent leurs dogmes au placard, pour plancher sur les mesures à même de donner à Mayotte toutes les chances de s’épanouir.

Anne Perzo-Lafond

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