Depuis plusieurs décennies, la France fait face à une crise de la démographie médicale, exacerbée par des réformes successives qui ont réduit le nombre d’internes dans les hôpitaux publics et compliqué les conditions de travail des praticiens. Une des solutions mises en place pour pallier cette pénurie est le recours aux médecins diplômés hors Union européenne (PADHUE). Ces praticiens, bien qu’essentiels à la survie du système de santé français, font l’objet de débats en raison de leur statut précaire et des défis liés à la reconnaissance de leurs qualifications.
Le contexte des PADHUE en France

Depuis les années 1980, des réformes dans le secteur de la santé ont entraîné une diminution du nombre d’internes dans les hôpitaux, avec pour conséquence une pénurie de médecins, particulièrement dans les zones les plus rurales et les départements d’Outre-mer. Pour combler cette pénurie, la France a progressivement permis l’accueil de praticiens issus de pays hors Union européenne. Initialement, ces médecins étaient censés exercer de manière temporaire pour répondre à une crise urgente. Cependant, bon nombre d’entre eux sont restés dans le pays malgré des conditions de travail difficiles et un statut précaire, en raison de la non-reconnaissance de leurs diplômes en France.
Aujourd’hui, environ 5.000 médecins PADHUE exercent dans les hôpitaux publics français. Ces médecins, souvent polyvalents et expérimentés, jouent un rôle crucial dans la prise en charge des patients. Ils sont responsables d’une part importante des soins dans certaines régions et leur absence bouleverserait le fonctionnement des services hospitaliers. Toutefois, leur présence soulève des questions sur la reconnaissance de leur diplôme et leurs qualifications professionnelles.
Une dérogation pour les PADHUE à Mayotte

À Mayotte, la crise sanitaire et le désert médical sont particulièrement dramatiques. Dans ce contexte, un décret, entré en vigueur en juillet 2023, permet aux médecins PADHUE d’exercer sans passer les épreuves théoriques des Examens de Vérification des Connaissances (EVC), normalement exigées pour exercer en France métropolitaine. Cette dérogation a été instaurée pour pallier l’urgence de la situation, où le manque de médecins est particulièrement aigu.
La direction du Centre Hospitalier de Mayotte (CHM), par le biais de Frédéric Lecenne, a abordé cette mesure en précisant la réalité complexe du recrutement des PADHUE dans l’île. « À Mayotte, le désert médical étant ce qu’il est, on en recrute [des PADHUE] », affirme-t-il. « Au CHM, on a quelques médecins PADHUE, en médecine générale et en pédiatrie. » Néanmoins, la direction du CHM reconnaît que ce dispositif présente des avantages mais aussi des débats internes au sein des équipes médicales. « C’est une opportunité pour l’hôpital de Mayotte, mais cela reste en débat parmi les médecins. Cependant, cela apporte un mieux au niveau des prises en charge, car on a plus de médecins, donc on peut mieux s’en sortir. » Si le processus de recrutement reste insuffisant et relativement lent, la direction du CHM admet que, malgré tout, cette mesure reste inévitable face à l’absence de médecins sur l’île.
La position de l’Académie nationale de médecine
Le 7 mars 2025, l’Académie nationale de médecine a réaffirmé sa position sur les PADHUE, soulignant que leur recrutement est indispensable pour garantir l’accès aux soins dans certaines régions. Toutefois, elle insiste sur la nécessité d’une évaluation rigoureuse des compétences de ces praticiens, notamment à travers les EVC. Bien que l’urgence de la situation justifie en partie le recours à ces médecins, l’Académie rappelle que la qualité des soins ne peut pas être sacrifiée.
L’Académie plaide pour l’application d’épreuves théoriques dans le cadre des EVC adaptées aux spécialités et tenant compte de l’expérience des praticiens dans des établissements publics. Elle propose également d’orienter les médecins échouant à plusieurs reprises aux examens vers d’autres métiers de santé. Par ailleurs, l’Académie appelle à des réformes administratives pour simplifier le processus de régularisation des PADHUE, en améliorant la coordination entre les hôpitaux, les Agences Régionales de Santé (ARS) et les préfectures.
Les défis et la gestion des PADHUE à Mayotte

Mais à Mayotte, le recrutement des PADHUE s’inscrit dans un cadre spécifique. Une fois recrutés, ces médecins, ne sont autorisés à exercer qu’à Mayotte pendant une période de cinq ans, période durant laquelle ils doivent perfectionner leurs compétences avant de pouvoir travailler dans un établissement de santé d’une autre région. Cette restriction suscite des tensions parmi les médecins titulaires, certains jugeant que ces praticiens exercent une « sous-médecine », avec des conséquences potentiellement néfastes pour la qualité des soins. Cependant, face à une pénurie sévère, la direction du CHM défend cette politique de recrutement, soulignant qu’elle est nécessaire pour pallier le manque de médecins. « On procède de façon intelligente. Chaque chef de service est libre de donner son accord ou non pour le recrutement des PADHUE. Nous avons des commissions, avec des médecins titulaires, qui ont un regard sur les candidats. Une fois validés par l’ARS, ils peuvent être recrutés et devenir de véritables médecins, avec un numéro RRPS, ce qui leur permet de prescrire », précise la direction du CHM.
La nécessité d’une réforme et d’une gestion plus fluide
Les tensions autour du statut des PADHUE met en lumière la complexité de la gestion des ressources humaines dans les hôpitaux français. Les PADHUE, jouent un rôle crucial dans le bon fonctionnement des hôpitaux français, notamment dans les zones sous-dotées, comme Mayotte, où ils aident à pallier la pénurie de soignants et soulager la pression sur les établissements hospitaliers. Cependant, cette dépendance soulève des questions sur la qualité des soins, car leur intégration dans le système de santé français nécessite une évaluation rigoureuse de leurs compétences et une révision des EVC pour garantir qu’ils possèdent bien les qualifications requises. Par ailleurs, il est essentiel de renforcer la formation des étudiants en médecine en France pour augmenter le nombre de professionnels qualifiés formés localement. Une approche équilibrée consisterait à soutenir les PADHUE tout en améliorant la formation des médecins français, pour une gestion durable des ressources humaines dans les hôpitaux.
Mathilde Hangard