Maxime, pharmacien à Mayotte : « Ici, on voit des patients qui devraient déjà être aux urgences »

À Mayotte, Maxime exerce dans une pharmacie de première ligne, entre pénuries, précarité et urgences médicales laissées sans réponses.

À Petite-Terre, dans une des pharmacies de l’île, Maxime exerce un métier de plus en plus éloigné de celui de ses confrères métropolitains. Face à la précarité sanitaire, à la peur administrative et aux ruptures de médicaments, lui et ses collègues tentent de maintenir à flot un système de soins qui vacille. L’officine est devenue un lieu de premiers secours, de traduction médicale, et parfois de miracles.

Une pommade, une amputation : témoignage d’un quotidien de survie 

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Une plaie infectée sur un membre peut augmenter les risques d’amputation en raison d’une prise en charge médicale trop tardive (photo d’illustration)

Maxime s’en souvient comme si c’était hier. Un jour, un homme d’une trentaine d’années entre dans la pharmacie, le regard hagard, la jambe raide et douloureuse. Il demande une pommade. Maxime découvre une plaie béante, odorante. L’infection est sévère. Il tente de convaincre le patient de se rendre aux urgences, mais il est déjà trop tard : il le reverra une semaine plus tard dans le quartier, amputé. Cette scène, Maxime, pharmacien à Petite-Terre, ne l’oubliera jamais. Et elle n’est pas un cas isolé. À Mayotte, la pharmacie devient souvent le premier ou le dernier recours, avant que la situation ne devienne désastreuse. « En métropole, ce genre de cas aurait fini aux urgences. Ici, on voit des patients qui devraient déjà être aux urgences. » 

Dans ce département français, où plus de 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, nombreux sont ceux qui ne possèdent pas de papiers, ni de couverture sociale, ni de carte vitale. De ce fait, la consultation médicale devient un luxe. « Une ordonnance ou pas, le médicament reste à la charge du patient non assuré », explique Maxime. Résultat : les gens préfèrent se rendre directement à la pharmacie, espérant que le médicament seul suffira à les soigner.

Le pharmacien comme traducteur et éducateur 

Maxime a appris à écouter autrement. Il déchiffre ce que les patients n’arrivent pas à dire : par pudeur, par manque de mots ou de connaissance, ou par peur. « Souvent, les gens ne savent pas expliquer ce qu’ils ont. La barrière de la langue rend les échanges difficiles. » L’équipe de Maxime est souvent sollicitée pour traduire en shimaoré ou en shibushi des propos en français. Mais malgré ces efforts, la communication reste souvent complexe.

Le problème est plus profond : l’allopathie, la médecine moderne, demeure étrangère pour une grande partie de la population. « Dans certains villages,  dès qu’on dit quelque chose, tout le monde le fait. Par exemple, à un moment, il se disait que le Fervex soignait tout. Donc, on venait nous en demander pour une entorse à la cheville », confie Maxime. Son propos cache une lassitude face à un fossé entre la médecine moderne et les pratiques traditionnelles. Le pharmacien, dans son rôle d’éducateur, explique chaque jour les fonctions des médicaments, les risques des infections, la différence entre un sirop et un anti-inflammatoire. Il devient bien plus qu’un simple dispensateur de traitements : il est un guide de santé.

Une île à flux tendu, des pharmacies à sec 

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À Mayotte, alors que les teignes sont très fréquentes, notamment chez les enfants, les pharmacies sont souvent en rupture de stock de l’antifongique nécessaire au traitement

Mais comment exercer son métier quand les médicaments manquent cruellement ? Depuis plusieurs années, des ruptures constantes affectent les stocks essentiels, comme les antifongiques contre la teigne, une maladie de peau quasi endémique à Mayotte. Même le kétoconazole, un antifongique de base, se fait rare. « C’est simple : les médicaments les plus utilisés sont ceux qu’on n’a jamais en stock », déplore Maxime. 

Le système d’approvisionnement est fragile. Mayotte ne compte que deux grossistes répartiteurs sur le département, et les délais de livraison des médicaments peuvent atteindre six mois. Parfois, les commandes arrivent mais restent bloquées au port de Longoni. Le fret aérien, réservé aux médicaments urgents ou réfrigérés, coûte une fortune. « On bricole. On substitue. On fait avec ce qu’on a. Et parfois, on n’a rien », explique Maxime. Les pénuries sont exacerbées par des crises telles que la crise de l’eau en 2023, où les stocks d’anti-diarrhéiques se sont épuisés, ou l’épidémie de conjonctivites de 2024, qui a vidé les rayons des antiseptiques oculaires. Maxime et son équipe se retrouvent alors à jongler avec des pénuries récurrentes, rendant le quotidien encore plus difficile à gérer.

Cyclone, chaos et lumière de torche 

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Une rue de Petite-Terre après le passage du cyclone Chido

Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido frappe Mayotte. Des rafales à plus de 200 km/h arrachent des tôles, bloquent les routes et dévastent les infrastructures. La pharmacie de Maxime n’est pas épargnée : le toit est éventré, les stocks détruits, l’électricité coupée. « On a rouvert trois jours plus tard pour les gens, pour leur montrer qu’on était là », se souvient-il. Pendant deux semaines, sans électricité, sans ordinateur, l’équipe a fonctionné à la lampe torche. Tout était fait à la main. « C’était comme une garde à volets fermés », raconte Maxime. Malgré ces conditions extrêmement difficiles, les blessés affluaient, avec des coupures, des infections… Mais pas de vaccin antitétanique, en rupture de stock.

Au-delà des pénuries et des urgences constantes, Maxime souligne un autre défi majeur : le manque de communication et de coordination avec les autorités sanitaires. « Parfois, on a l’impression qu’on est perçus comme des râleurs, alors qu’on est en première ligne face à des situations humaines complexes », confie-t-il. Selon lui, l’absence de relais direct entre les professionnels de santé et les institutions publiques constitue un frein à un fonctionnement fluide du système. À titre d’exemple, le poste de pharmacien inspecteur, qui serait censé jouer un rôle clé de coordination et de communication entre les officines et les autorités sanitaires, est actuellement vacant au sein de l’Agence régionale de santé de Mayotte. « On fonctionne un peu en vase clos », précise-t-il, soulignant que cette déconnexion contribue à fragiliser davantage le système de santé local.

Un système à bout de souffle, une vocation intacte 

Pour autant, Maxime ne se plaint pas. Il fait face à une situation complexe, mais son engagement reste intact. « En métropole, on parle de pénuries sur quelques jours. Ici, ce sont des mois. Ce ne sont pas des désagréments, ce sont des urgences », explique-t-il. Malgré l’absence de soutien, malgré les crises à répétition, il continue d’exercer, par passion et par vocation. « Il y a plein de problématiques, on doit toujours s’adapter, faire preuve de débrouillardise, plus qu’en métropole. C’est épuisant mais c’est très stimulant car on a le sentiment d’être utile aux gens », admet-il.

Dans son officine de Petite-Terre, Maxime ne vend pas seulement des médicaments. Il redonne du sens et de la dignité. Il panse des plaies, des corps, et parfois des silences. Il incarne une santé de proximité, humaine et fragile, mais toujours debout. Tant bien que mal.

Mathilde Hangard

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