Ce lundi 5 mai, à l’entrée de l’avenue de la préfecture à Mamoudzou, les forces de l’ordre ont mis en place un barrage filtrant en direction des services préfectoraux. Seuls les fonctionnaires ont le droit de passer après la présentation d’un justificatif. Un contrôle établi pour éviter de créer des tensions devant l’entrée du bâtiment et le bureau des étrangers, bloqué depuis avril par les membres du collectif des citoyens de Mayotte 2018, qui réclament la suppression du titre de séjour territorialisé.
Un combat pour la liberté de Mayotte

Les drapeaux français et ceux représentant la cheffe de file historique des Chatouilleuses, Zéna M’Déré, ont été décrochés du portail de la préfecture pour être installés quelques mètres plus loin, sur un grillage le long de la route, à la vue de tous. Juste à côté, assises à l’ombre, deux femmes âgées, des sorodas (soldats, combattants) qui ont lutté dans les années 60′ et 70′ pour que Mayotte reste française, sont présentes. Près de 50 ans après le second référendum du 8 février 1976, qui a entériné leur plus chère demande de demeurer au sein de la République française, leur combat n’est pas terminé. « On a mal au cœur, ce n’est pas cette liberté qu’on voulait pour Mayotte », déplore l’une d’entre-elles, qui n’a pas souhaité donner son identité. « On ne s’attendait pas à une telle situation, Mayotte est devenue un champ de guerre, on va se battre jusqu’au bout pour l’avenir de nos enfants, et pour que Mayotte soit libre », ajoute-t-elle, énervée par une situation sécuritaire qui, selon elle, se dégrade d’année en année, et s’explique par l’arrivée de personnes depuis les Comores.
« Ce sont elles qui nous poussent à continuer le combat, on n’a pas le droit d’abandonner », explique Safina Soula, présidente du collectif des citoyens de Mayotte 2018. « Après le référendum elles ont laissé la place aux politiques et aux nouvelles générations pour prendre la relève, mais aujourd’hui on voit bien que cela n’a pas abouti et elles se sont une nouvelle fois réveillées, elles sont encore vivantes pour la liberté de Mayotte ».

Safina Soula et son collectif réclament la suppression du titre de séjour territorialisé, une demande qui a été soutenue par le Conseil départemental dans son avis consultatif donné au Gouvernement sur le projet de loi programme, le 10 avril dernier, mais dont le sort n’a pas été évoqué par Emmanuel Macron lors de sa visite, le 21 avril dernier. Le chef de l’Etat avait décidé de mettre en avant l’opération « Uhura Wa Shabat » ou « mur de fer », pour renforcer la lutte contre « l’immigration clandestine », avec son objectif de 35.000 retours chaque année à la frontière, une intention qui est loin de satisfaire Safina Soula.
Un blocage jusqu’aux amendements du projet de loi
« Son plan c’est un jeu, mais nous on n’est pas là pour jouer », réagit Safina Soula, qui compte maintenir le blocage en attendant le vote d’amendements, en leur faveur, sur le projet de loi déposé le 22 avril au Sénat. « On risque notre vie au quotidien à Mayotte, et le problème c’est que les Mahorais et les Mahoraises quittent le territoire, même s’ils aimeraient y vivre ». Le collectif souligne la baisse de l’attractivité de Mayotte ces dernières années et craint un remplacement de la population mahoraise par une population venue des Comores et du continent africain. Des arrivées qu’elle considère comme orchestrées directement par les Comores pour faire pression sur Mayotte et la France, ce qui inscrit leurs actions dans la lignée des combats menés par les Chatouilleuses.

« Ma mère était soroda, c’est important pour moi de continuer ce combat. Elle me raconte encore comment elle vivait à l’époque quand les Comoriens ne les considéraient pas, et maltraitaient les femmes », raconte Zena Nahouda, 47 ans, qui fait partie de la deuxième génération des Chatouilleuses. « Ma fille a vu de ses propres yeux un meurtre au lycée de Sada, c’est triste de voir Mayotte sombrer dans le noir. On se bat pour nos enfants », poursuit celle qui se lève tous les jours à 4h du matin pour se rendre au blocage de la préfecture. « Mes enfants comprennent pourquoi je me bats, je leur ai appris notre histoire, mais ils ont peur que je me fasse agresser », continue Zena Nahouda. « Les vrais Mahorais nous soutiennent et on reçoit beaucoup de messages, c’est aussi grâce à ça qu’on tient et qu’on a le courage de venir ».
« Ce rendez-vous il n’arrive pas deux fois »
De l’autre côté de la route, les yeux cernés, une sacoche en bandoulière, Amir 19 ans, arrivé à Mayotte en octobre dernier depuis l’île comorienne d’Anjouan regarde les minutes défiler sur son téléphone portable. L’horloge indique 10h40 et le jeune homme avait rendez-vous à 9h au bureau des étrangers pour obtenir son visa qu’il demande depuis octobre. « Je ne peux pas rentrer, j’espère qu’une voiture va me chercher pour passer le barrage, je ne sais pas quoi faire, j’attends les instructions », dit-il désemparé. Bachelier au lycée de Sada, il attend avec impatience son visa qui lui a été accordé afin de pouvoir se rendre à Toulouse et de poursuivre un BTS en Management Commercial Opérationnel. « J’ai vraiment besoin de ce dernier document pour partir », confie Amir, visiblement stressé.

« Cette chance, ce rendez-vous il n’arrive pas deux fois », remarque Chadrak, 28 ans, originaire de la République démocratique du Congo, lui aussi bloqué devant la préfecture. « Je devais avoir un entretien avec l’OFPRA pour ma demande d’asile. Depuis Chido et les blocages, je n’avais pas eu de retour de la préfecture, et j’attendais avec impatience cette journée », poursuit l’homme arrivé en décembre à Mayotte. « Mon but est de partir en métropole, dès l’obtention de papiers. Je ne comprends pas pourquoi elles bloquent le bâtiment ».
Comme eux, ils sont une dizaine ce lundi matin à attendre la réouverture du bureau des étrangers. Une ultime barrière pour certains qui aspirent à devenir, eux aussi, maîtres de leur destin.
Victor Diwisch