Tribune – Relations internationales : de la mesure en toutes choses
Les outrances et les postures maximalistes conduisent toujours à l’impasse et provoquent parfois des tragédies. « Il faut de la mesure en toutes choses ». Cette sagesse professée par Horace, homme de lettres romain de l’Antiquité, est porteuse d’harmonie dans les relations interpersonnelles, dans la conduite des affaires de l’État mais aussi dans les interactions entre les nations.
Dans le champ des relations internationales, il s’agit de ne pas abuser d’un rapport de force trop avantageux pour faire avaliser un contrat léonin à son partenaire, pour imposer un traité inégal à un État plus faible, pour humilier un peuple étranger et ses dirigeants. Le sens de la mesure interdit de piétiner l’adversaire, de frapper en dessous de la ceinture. Le sens de la mesure impose de garder intacts certains ponts, de laisser ouvertes certaines portes afin de ne pas insulter l’avenir.
La politique de la France à propos du contentieux qui l’oppose à l’État comorien au sujet de Mayotte demeure inchangée depuis le 6 juillet 1975, date de la proclamation unilatérale de l’indépendance des Comores. Chaque jour qui se lève, la France intègre un peu plus Mayotte dans ses institutions. Autant la philosophie qui inspire l’action de la France à Mayotte est marquée du sceau de la continuité. Autant le style de la communication des dirigeants français et de leurs relations avec leurs homologues comoriens est entré dans un autre monde depuis la présidence de Sarkozy. Giscard, Mitterrand et Chirac s’employaient à préserver l’apparence d’une relation bilatérale fondée sur un respect mutuel. Depuis 2007, rien n’est plus tabou. Ni les outrances verbales ni les initiatives diplomatiques dont l’unique finalité est d’humilier l’État comorien.

Est-il sage de piétiner ainsi un peuple étranger qui, plus encore, est profondément francophile au seul motif qu’il est pauvre et faible militairement ? « On a souvent besoin d’un plus petit que soi ». Cet alexandrin est écrit par un fabuliste français qui l’a illustré par l’histoire d’un rat qui a sauvé un lion en rongeant les mailles du filet dans lequel était tombé le roi des animaux.
C’est grâce à la victoire décisive des goumiers marocains et des tirailleurs algériens sur l’armée allemande à Monte Cassino que le corps expéditionnaire français en Italie commandé par le maréchal Juin et la Vème armée américaine du général Clark ont pu entrer à Rome.
Un sous-sol stratégique
Que pèse l’Union des Comores, l’un des pays les plus pauvres du monde, face à la France, 7ème puissance économique mondiale, détentrice de l’arme nucléaire et membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU ? Moroni dispose de sérieux atouts à faire valoir dans ses relations avec Paris. L’archipel des Comores possède de longue date une importance géostratégique de premier plan. Le général de Gaulle l’avait qualifié de « point essentiel du monde » lors de sa visite à Moroni en 1959. 30% de la production mondiale de pétrole transite dans le canal de Mozambique, les Seychelles et les Comores. Par ailleurs, l’Union des Comores pourrait devenir à terme un exportateur d’hydrocarbures. Je vous lis un article du journal réunionnais Zinfos 974 en date du 5 juin 2018 « L’archipel des Comores dort sur un lit d’or noir, pas moins de 7 milliards de barils de pétrole, selon le résultat de recherches dans les sous-sols sous-marins de la Zone Économique Exclusive (ZEE) comorienne. L’immense nappe de pétrole et de gaz se trouve dans la zone des 12 miles nautiques fixée par la convention de l’ONU, et son exploitation revient donc aux Comores… La France peut demander sa part du gâteau, grâce à la possession de Mayotte, mais celle-ci sera minime, l’essentiel du pétrole se trouvant au Nord/Ouest de la Grande-Comore. Les pétroliers vont se battre pour exploiter la réserve, qui serait supérieure à celle du Qatar ».

Les Américains ont bien compris l’intérêt stratégique des Comores. Ils ont installé à Voidjou, en Grande-Comore une base de surveillance et d’espionnage des navires, des sous-marins et des aéronefs des puissances hostiles à Washington dans le sud-ouest de l’océan indien. L’Oncle Sam aime multiplier ses conquêtes, quitte à cocufier ses amis. La France le sait trop bien. Les trahisons américaines sont nombreuses : annulation par l’Australie d’un contrat d’achat de sous-marins français le 15 septembre 2021 sous la pression des États-Unis, confirmation par le Sénat américain de la nomination de l’ambassadrice US au Niger le lendemain du coup d’État qui a renversé le pro-français Mohamed Bazoum et son arrivée à Niamey le 19 août 2023 pendant que la France était sommée par les nouveaux maîtres du Niger de quitter le pays. J’ajouterai à cela les manœuvres américaines au Tchad à la fin des années 80 sous la présidence de Hissène Habré qui visaient à reléguer la France à un rôle secondaire dans un pays de son pré-carré.
La Russie qui réalise souvent des exercices militaires avec l’Afrique du Sud et qui a engagé une lutte d’influence contre la France en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, s’apprête à ouvrir une ambassade à Moroni. Je peux parier que les accords de coopération entre la Fédération de Russie et l’Union des Comores incluront un volet militaire important.
La Chine qui est l’un des principaux partenaires économiques des Comores et qui multiplie les manœuvres navales avec la marine tanzanienne, peut être tentée par un partenariat de défense avec Moroni pour contrer l’influence américaine.
Les charmantes îles de l’archipel des Comores attisent bien des convoitises. Elles sont, à l’évidence, « un point essentiel du monde ».
Abdourahamane Cheikh Ali, président du MRDPC (Mouvement pour une République Démocratique et Progressiste aux Comores)