C’est une situation dont seule Mayotte a le secret ou plutôt un cas propre et unique au 101e département. Alors que dans toutes les autres juridictions hexagonales et même dans les autres DROM, les jurés des cours d’assises sont tirés au sort sur les listes électorales, dans l’île aux parfums il faut qu’ils s’inscrivent de leur plein gré sur une liste. Une situation dénoncée par bon nombre d’avocats du barreau de Mayotte.
Qu’est-ce qu’un juré d’assises ?

Selon le site du ministère de la Justice, « Un juré d’assises est un citoyen tiré au sort pour participer à un procès pénal des affaires criminelles (meurtre, vol à main armée, viol, etc.), à la cour d’assises. Accompagné par trois juges professionnels, il exerce la fonction de juge au sein d’un jury composé de six citoyens. Le juré d’assises est tiré au sort sur les listes électorales. Lors d’une session d’assises, les présidents tirent au sort 35 jurés et 10 jurés suppléants sur la liste annuelle. Une fois désigné, le juré est convoqué par courrier ». Sauf qu’à Mayotte il en est autrement, comme nous l’a expliqué le bâtonnier, Me Yanis Souhaïli.
Mayotte, une situation particulière…
« A Mayotte, les jurés doivent faire acte de candidature à chaque rentrée pour figurer sur la liste des jurés. Puis, cette dernière doit être validée par le président du tribunal et par le préfet de Mayotte ». Les candidats étant peu nombreux c’est alors ce système qui prévaut, ce que dénonce le bâtonnier. « A chaque session d’assises, ce sont tout le temps les mêmes jurés qui sont présents, ce sont quasi des semi professionnels. Sur la trentaine de noms que comporte la liste, seule une petite dizaine se présente à chaque session. Lorsque je suis devenu bâtonnier, j’ai écrit au Garde des Sceaux de l’époque afin que l’on modifie la loi et que nous passions dans le droit commun. Et à ce jour, force est de constater que rien n’a changé ». Et de fustiger, en prime, la Chancellerie sur la vision de Mayotte. « Ils ne veulent pas que nous passions dans le droit commun car on prend les habitants pour des analphabètes. Ils veulent s’assurer que les jurés parlent et lisent le français pour comprendre le droit ! ».
La fronde des avocats du barreau

Me Souhaïli, l’un des avocats de la défense, ne cache pas avoir volontairement agi pour que ce procès soit renvoyé. Pour cela il a usé de son droit de récusation qui consiste à refuser, sans motifs, qu’une personne puisse siéger en tant que juré. « En appel il faut qu’il y ait 6 jurés au minimum, ce matin seulement 7 d’entre eux étaient présents dans la salle du tribunal. Nous avons utilisé notre droit de récusation en refusant 2 jurés si bien qu’ils n’étaient plus que 5, donc la cour d’assises ne pouvait pas siéger en l’état ». Les avocats avec qui nous avons discuté sont quasi unanimes, à l’image de Me Rahmani. « Le droit de récusation est un droit fondamental de la défense. Et on doit l’exercer. Ce système du tirage des jurés, propre à Mayotte, pose des difficultés… il y a la nécessité de faire une réforme et de basculer notamment dans le système du droit commun, ça éviterait ce genre de problème ! », nous a -t-il dit.
Du côté du ministère public, on botte quelque peu en touche. « Le président du tribunal n’a pas eu d’autre choix que de renvoyer ce procès, sans date, pour une meilleure organisation. Cela va forcément poser des problèmes de disponibilités tant au niveau des magistrats, que des greffiers, ou même des avocats », nous a confié Fanny Gauvin, vice-procureure placée de la cour d’appel de La Réunion, tout en concédant « qu’il n’y a pour l’instant pas de solution et qu’il faut tenir compte des difficultés et des spécificités de ce territoire ».
Une solution alternative ?
Le bâtonnier nous a fait part d’une solution alternative qu’il propose. « Pourquoi ne pas demander aux maires de Mayotte de désigner, chaque année, 50 personnes de leur commune inscrites sur les listes électorales, pour qu’ils siègent à la cour d’assises ? Je pense qu’ils en ont la capacité. Cela éviterait ce genre de situation aberrante. Ce procès a déjà été renvoyé le mois dernier, il l’est encore aujourd’hui. Cela peut continuer ad vitam aeternam… Ce sont 4 accusés quoi doivent comparaître à nouveau pour assassinat. C’est malheureux de se retrouver dans cette situation. Il faut en tirer les conséquences et que chacun prenne ses responsabilités ».
B.J.