David Lisnard : « Pour l’Etat à Mayotte, le temps n’est pas à la rénovation, mais à la construction »

Si le président de l’Association des maires de France espérait tenir son discours d’autonomie financières des communes, autant dire qu’à Mayotte, il a été rappelé par notre réalité en demandant avant tout que l’État fasse le job ici. A nouveau, un plan Marshall est demandé, « sous réserve de rétablir l’ordre sécuritaire et migratoire. »

Pas d’agenda politique – quoique certains lui prêtent des intentions de présidentielles – et il n’a pas de chéquier à sortir : David Lisnard était à Mayotte dans le cadre de son tour de France des communes, et inutile de dire que pour le président de l’Association des Maires de France (AMF), la liste des combats à porter s’est considérablement allongée après sa rencontre avec les élus locaux.

Que l’intervention du maire de Mamoudzou face à son représentant national ce lundi matin à l’hôtel de ville, illustre assez bien. « Nous avons de grands besoins. Malgré les hauts fonctionnaires plutôt très engagés mutés ici, la difficulté réside dans les indications ministérielles. A Paris, ils ne se rendent pas compte que l’absence de plan de développement d’après-guerre comme en ont connu les quatre autres DOM, pèse sur notre développement, c’est la raison de l’absence d’infrastructures de base ».

En un mot, rappelons que les « 4 vieilles colonies », la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion et la Guyane sont érigées en départements français le 19 mars 1946, et bénéficient d’une aide massive au développement, et, clin d’œil de l’Histoire, inspirée par André Postel-Viney, le grand-père du directeur actuel de l’AFD (Agence Française de Développement) Mayotte. Notre territoire n’a pas bénéficié de ce « Big push » puisqu’à peine érigé en département, on se débrouillait pour qu’il dépende des Fonds européens en 2014. Pour mémoire, ce besoin en développement avait été chiffré en 2017 à 1,3 milliard d’euros par l’agrégé d’économie Vincent Roux, débouchant sur le Contrat de projets de 1,6 milliard d’euros en 2019, dont on ne voit pas très bien ce qu’il a changé.

« On nous a mis sous perfusion d’un malade ! »

Crise de l’eau, gestion des écoles et des déchets… beaucoup de sujets abordés ce lundi matin

En conséquence de quoi, notre président de l’AMF, devant le constat affligeant du manque de tout, réclame un « Plan Marshall » pour Mayotte : « Ici nous sommes dans un temps non pas de rénovation, mais de construction. Et vu la taille du territoire, c’est tout à fait faisable (financièrement, ndlr). Mais avant tout, il faut rétablir l’ordre et notamment, migratoire. »

Avec un dilemme pour celui qui prône l’autonomie des finances communales dans un contexte où l’Etat offre aux contribuables français l’abandon de la taxe d’habitation, en contrepartie d’une compensation fixe allouée aux commues, méthode qu’il critique : « Ils vont ensuite nous faire la morale en nous disant qu’on reçoit des dotations de l’Etat que nous utilisons mal ! On nous a mis sous perfusion d’un malade dont la dette explose ! Nous ne voulons pas de ce système et voulons rester autonomes », raille celui qui est aussi le maire LR de Cannes. Mais à Mayotte, la situation est plus complexe. Les recettes sont bien moindres qu’en métropole, les communes sont très dépendantes de la Dotation globale de Fonctionnement de l’Etat. Pour plusieurs raisons.

D’abord, l’assiette fiscale est trop restreinte avec un taux de pauvreté de 77%, peu de foyers paient l’impôt. Ensuite, une règle oblige dans ce cas l’Etat à compenser ce qu’auraient dû verser les non imposables. Nous savons qu’à Mayotte, ce n’est pas le cas, ou très faiblement, beaucoup d’habitants n’étant pas recensés. L’économiste Philippe Nikonoff avait évalué le manque à gagner pour Mamoudzou notamment, entre 10 et 20 millions d’euros de 2014 à 2022. « J’en ai parlé ce matin au préfet », nous glissait David Lisnard. Aucune rencontre n’est prévue avec la direction des finance publiques, mais de toute façon, c’est à Bercy que tout se joue.

Foncier, INSEE, CUF, cadastre, DRFIP, Mayotte, Thani Mohamed Soilihi
Les maires s’attellent au défi du recouvrement de l’impôt foncier. Ici à droite, Ambdilwahedou Soumaila, maire de Mamoudzou

Si le service des impôts nous dit mettre le paquet pour fiabiliser le cadastre afin de répertorier l’ensemble des occupants des terres, les maires ont aussi leur rôle à jouer. Mais en attendant, ils restent dépendants des dotations de l’Etat, l’autonomie ressemble donc pour l’instant à un rêve de maturité, étant donné que la compensation figée part l’Etat risque d’être sous-évaluée par rapport à la réalité : « C’est notre combat au quotidien pour l’ensemble des communes de France, mais particulièrement exacerbé à Mayotte ».

Pression démographique cannoise

Et avec des recettes inférieures par habitant, les communes sont invitées à construire toujours plus d’école au regard des flux migratoire, ce qui incitait Ambdilwahedou Soumaila à reprendre la parole : « La Chambre régionale des Comptes ne prend pas en compte nos réalités. Pour la crise de l’eau, quand l’Etat nous distribue des cuves pour la trentaine de groupe scolaires de la commune, et qu’elles deviennent noires, je comprends qu’il faut que je dégage un budget d’entretien non prévu. Autre exemple, quand je rénove un plateau scolaire inauguré le lundi et que le mardi tout est saccagé, il faut dégager une nouvelle ligne sur le budget. Mais quand la Chambre des comptes nous incite à augmenter les impôts pour accroitre les recettes, je refuse de ponctionner un peu plus ceux qui paient pour ceux qui passent leur temps à dégrader ». Là encore, un air que le président des maires a entendu en métropole, mais à Mayotte, c’est du sans filet, avec maximum de prise de risque budgétaire pour les communes.

Marianne
Le tableau d’une Marianne stylisée offert « à l’ensemble des maires de Mayotte »

Une certitude, quel que soit le budget abordé, production d’eau, capacité d’accueil scolaire, tout est ramené à la pression démographique. David Lisnard tentera bien un parallèle avec sa commune de Cannes dont la démographie explose notamment en été ou sur la saison du Festival, il nuance aussitôt, « pour nous, c’est de la richesse en plus ». Avec donc le luxe d’avoir le regret de les voir partir. Deux mondes coexistent en France.

Un décalage notamment sur les constructions scolaires qui l’incitera à décréter vouloir plaider à Paris pour « un plan Marshall pour Mayotte » : « Sous la condition de la maitrise indispensable des flux migratoires que doit proposer la loi Mayotte. Il faut en effet fournir à cette jeunesse des infrastructures leur permettant d’accéder aux études, à la culture et au sport. »

A de nombreuses reprises on sent poindre l’étonnement de notre interlocuteur sur l’absence d’infrastructures. Quid du Contrat de projets de 1,6 milliard d’euros ? Dans ce domaine comme dans celui des opération Place nette et autres, l’absence de bilan nuit gravement à la santé du territoire.

Anne Perzo-Lafond

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