Wuambushu : Et les entreprises dans tout ça ?

Après 2 semaines de coup d’envoi officiel, l’opération tant médiatisée a principalement tourné son oeil sur l’aspect logistico-juridique et humanitaire. Une approche des plus légitimes au regard des divers faits connus et relayés mais qu’en est-il du point de vue du tissu économique local ? Comment nos entreprises mahoraises vivent cette actualité ? Entretien avec Carla Baltus, présidente du Medef Mayotte.

Présidente de l’antenne locale du mouvement des entreprises de France, depuis près de 5 ans, Carla Baltus est aussi gérante d’une société de transport à la fois sur Mayotte mais également sur la Guyane. De par sa position professionnelle, ses responsabilités et sa bi-vision Outre-mer, il était intéressant de l’interroger au regard de l’intense actualité qui cible le 101ème département français. 

Comment vit-on un tel évément ? Peut-on le préparer d’ailleurs ?

Carla Baltus : Étant à la fois à la tête du Medef, cheffe d’entreprise mais aussi citoyenne, je peux vous assurer que j’ai eu très peur. Des craintes partagées par l’ensemble des adhérents et chefs d’entreprises, c’est certain. Lorsque l’information de cette opération a commencé à se faire savoir, nous avons réuni, fin mars, tous les membres y joignant la présence du préfet et l’ordre du jour numéro 1 se voulait justement dédié à ce sujet. Au regard de son devoir compréhensible de discrétion, les renseignements de la part de M. Suquet se voulaient moindres, tout en nous détaillant ce qui avait été établi du point de vue sécurité, en amont, notamment au niveau des forces de l’ordre, et ce qui était concrètement en place.

Et cette opération arrive…

Carla BaltusOui, dès le premier jour il y a eu les complications que nous connaissons et au niveau des entreprises, l’absentéisme ou les retards étaient massifs. Tous ces blocages ne permettaient pas aux gens de pouvoir se rendre sur leur lieu de travail auquel s’est greffé un sentiment de peur. Le corps de métier le plus impacté à l’issue de cette première semaine fut celui de la formation. Beaucoup d’organismes ont pris la décision de fermer pour des motifs de rentabilité et de pertes sèches, en raison du nombre croissant d’annulations et de la faible présence de stagiaires.

Vous me parlez de corps de métier, je suppose qu’il y a d’autres secteurs qui ont été touchés ?

Carla Baltus : Nous sommes toujours en contact avec les différentes entreprises, car à leur écoute, pour quelles nous fassent remonter leurs problématiques rencontrées. Oui le secteur de la formation a été gravement touché à l’issue du 1er bilan hebdomadaire mais le BTP n’a pas été non plus en reste avec, dès le premier jour aussi, des dégâts évalués à plus d’1 million d’euros auxquels s’est ajouté un renforcement de la sécurité sur les chantiers ainsi que les déplacements d’engins potentiellement cibles qui, initialement pouvaient stationner sur zone des semaines, le temps des travaux mais qui au final ont été acheminés et enlevés quotidiennement pour éviter d’être détériorés; donc bien entendu un surcoût nouveau à prendre en considération.

Dégâts matériels importants au 1er jour de cette opération, ici à Tsoundou 1 (®DR)

À cet aspect pécuniaire et logistique se greffe la peur psychologique intrinsèque notamment au niveau des entreprises de sécurité qui, bien que davantage sollicitées, ne peuvent empêcher leurs agents d’avoir peur; eux qui sont sans secret très menacés voire agressés. Ils restent des êtres humains avant tout. À cette alerte envoyée par les agences de sécurité, s’ajoute les entreprises de livraison et portage médicamenteux qui ont rencontré de grandes difficultés, notamment dans le nord, engendrant des soucis d’approvisionnement. Voilà pour la première semaine, pour ne citer que cela…

Et avec les institutions, comment se présente l’approche justement ? Une aide quelconque à entrevoir ?

Carla BaltusNous échangeons régulièrement avec la Deets; voire même quotidiennement. Nous avons aussi des communications avec le Sgar. Dès le mardi, dans le cadre de nos réunions Medef, aussi en présence de L’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract), le préfet était présent.

Lise Rueflin (Deets) et Carla Baltus (Medef)

Il est important de garder le contact entre nous et d’échanger nos respectives informations. Toujours dans cette volonté d’anticipation, nous demandons à ce qu’il soit mis en place un fonds de solidarité, au cas par cas bien-sûr, pour les entreprises qui seraient fortement impactées. L’État engage des millions pour cette opération, il y a déjà des dommages collatéraux qui se dessinent; donc oui, on demande au Gouvernement de prendre en considération, dès maintenant, cet aspect là. Le préfet annonce encore 5 semaines d’opération; on vit un peu au jour le jour actuellement, dressant des bilans journaliers. Au niveau de cette deuxième semaine, c’est relativement calme et les remontées sont minimes bien qu’il y ait aussi quelques cas de vol à même les services d’entreprises de restauration. On peut craindre que le potentiel déplacement des foules, allié à la faim, prendront pour cible ce secteur d’activité et l’alimentaire de manière générale. 

Le Medef Mayotte, contrairement à beaucoup d’institutions et de politiques, n’a pas spécialement communiqué sur cette opération Wuambushu, c’est voulu ?

Carla BaltusNous avons fait le choix de prioriser avant tout notre rôle économique et d’assurer pleinement, encore plus en lien avec l’actualité, nos responsabilités au regard des besoins et attentes des entreprises de Mayotte. Oui il y a cette opération, cette crise actuelle mais, je le rappelle à chaque fois lors de nos réunions, n’oublions pas la crise de l’eau en parallèle car les conséquences vont être désastreuses.

Carla Baltus qui soulignait lors des assises de travail, en avril dernier, la nécessité de mettre en place des actions préventives et sécuritaires, notamment du point de vue psychologique, au regard de ce que représente la dangerosité des trajets professionnels et les potentiels traumas subis pour les salariés.

À cela s’ajoute désormais la crise de densité routière des travaux Caribus…donc vous voyez, nous enchainons et cumulons crise sur crise, tel un sur-accident et ces aspects là, ne sont pas assez abordés. J’ai pour habitude de parler avec recul sur les faits mais d’anticiper le concret des choses. Nos actions actuelles se portent au niveau de l’État pour présenter sous différentes formes, techniques incluses, le pourquoi du comment on aurait besoin de ce fonds et les problématiques administrativo-juridiques que cela implique; le volet des engins détériorés, achetés sous régime défiscalisé, y est notamment abordé. Notre but premier est d’empêcher les entreprises de mettre la clé sous la porte.

Vous qui avez aussi des responsabilités professionnelles sur le territoire guyanais, comment est perçu cette opération là-bas ?

Carla BaltusLes Guyanais ne voient pas l’opération en elle même. Lors de mes échanges, ce qui ressort directement c’est surtout l’aspect de comment est perçu Mayotte. Et systématiquement le discours est le même « ah, Mayotte, ça va mal, il ne faut pas y aller, c’est dangereux ! ». Cette vision est aussi la conséquence d’expériences malheureuses vécues localement qui ont indirectement suivi les mutations des personnes concernées. L’information circule très vite désormais et les échanges professionnels entre territoires ultramarins, continuent de conforter cette vision. Un peu comme on stigmatisait la Guyane il n’y a encore pas si longtemps que ça avec le bagne, la dangerosité de la forêt, les serpents, l’insécurité, les armes etc.

Les légitimes questions de l’après Wuambushu et des autres crises déjà existantes sont des priorités pour la présidente du Médef

Oui, les problèmes d’insécurité sont aussi grandissant en cette région amazonienne mais je pense que les guyanais, comme tout le monde d’ailleurs, attendent avant tout le bilan de cette opération avant de la commenter. Mayotte n’est clairement pas vu du bon oeil et il faut être lucide quant à l’énorme travail de re-Communication qu’il faudra ré-entreprendre à l’issue de tout cela pour dynamiser cette attractivité tant convoitée. En gros recommencer tout le travail qui avait déjà été fait en arrière. Le bilan sera salé, c’est certain.

Dernière question, si vous aviez une baguette magique, que souhaiteriez-vous pour le monde économique mahorais là , tout de suite, maintenant ?

Carla Baltus (rire) : Que cette opération montre son efficacité, quelle réussisse. Qu’on retrouve une sérénité pour les entreprises, leurs salariés et de manière générale, tous les citoyens mahorais. Qu’on puisse circuler librement, profiter de terrasses le soir, aller au restaurant ou bien dans des concerts sans crainte car derrière, c’est tout un tissu économique qui grandi pour le plein épanouissement des salariés et de leurs chefs d’entreprises. C’est ça que je demanderais à ma baguette magique… C’est clairement le monde des bisounours mais aussi indirectement comme cela que nous est vendu cette opération. Nous verrons bien.

Propos recueillis par MLG

Retrouver par exemple les quiétude et sérénité d’une plage mahoraise, sans la crainte de se faire détrousser, cela sera t’il possible dans le monde de l’après Wuambushu ?

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