Lettre ouverte aux autorités locales – A Mayotte, les freins à la mise en œuvre des politiques publiques de transports et de mobilités restent très puissants
Très chers élus,
Je me permets de vous écrire pour vous proposer de bâtir collectivement les mobilités de demain. Le chantier est titanesque, et la coopération étroite entre les différents acteurs (autorités organisatrices de la mobilité, collectivités, État, entreprises, citoyens) est indispensable.
Situation générale paradoxale
L’observation attentive des évolutions des politiques publiques de transports et de mobilités menées depuis une vingtaine d’années à Mayotte aboutit à un constat paradoxal : sur le plan théorique le consensus est de plus en plus large pour affirmer la priorité au développement du transport public et des modes alternatifs à l’automobile, sur le plan pratique les gains de part de marché pour l’automobile dans la compétition modale se poursuivent année après année. Tout se passe comme si le fossé continuait de se creuser entre la prise de conscience collective des impasses dans lesquelles nous nous précipitons et les choix modaux individuels que nous faisons au quotidien.
Dans une démarche volontariste et partenariale, l’État, le Conseil départemental de Mayotte et la Communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou ont élaboré en 2018 le plan global de transports et déplacements (PGTD). Le PGTD qui représente un investissement de 1,7 milliard d’euros est déployé sur 17 ans organisés en 3 périodes d’intervention correspondant aux rythmes des instruments de financement principaux des actions du Plan : 2018-2020 (plan d’urgence) ; 2021-2027 (programmes opérationnels FEDER et CPER nommés PO1) ; 2028-2034 : 2ème période (programmes opérationnels FEDER et CPER nommés PO2).
Le Plan d’urgence qui devait répondre à la fois à l’objectif prioritaire du PGTD de développer de premiers services de transport public capacitaires et efficaces, d’initialiser la politique en faveur des modes actifs et répondre aux urgences règlementaires, n’a pas donné les résultats escomptés. A côté de la marche fortement pénalisée et du vélo encore marginalisé, Mayotte manque toujours de services publics réguliers de transport routier de personnes. Alors que l’organisation des mobilités sur l’ensemble du territoire doit satisfaire les besoins des usagers et rendre effectifs le droit qu’a toute personne, y compris celle dont la mobilité est réduite ou souffrant d’un handicap, de se déplacer et la liberté d’en choisir les moyens, y compris ceux faisant appel à la mobilité active (marche et vélo).

Ce paradoxe place les pouvoirs publics locaux devant des responsabilités qui prennent aujourd’hui une dimension inédite : il faut bien du courage pour expliquer à la population qu’aucun grand projet routier ne sera réalisé dans les 25 prochaines années, mais en tenant compte de l’évolution du contexte démographique, économique, de l’état du réseau routier et de la mobilité des Mahorais, il convient en priorité de répondre aux besoins de mobilité des personnes et des biens, partout dans le département et pour tous les publics, tout en préservant l’environnement et la santé, et en recherchant la cohérence et l’efficience des politiques de mobilité. Il y est donc question de choix collectifs, d’assentiments individuels, de priorités financières, de maîtrise et d’écologie, autrement dit de contradictions difficiles à résoudre tant elles concernent le quotidien du citoyen et le souci du long terme.
Comparaison n’est pas raison
Les politiques publiques de transports et de mobilités sont un objet éminemment politique et stratégique pour le 101ème département français tant il est évident que les enjeux qui y sont associés sont structurants pour son avenir. Aujourd’hui plus que jamais, Mayotte est à la croisée des chemins en matière de transport et de mobilité. Il nous faut donc accepter que comparaison ne soit pas raison. Le modèle de mobilité français, tant métropolitain qu’ultramarin, longtemps centré sur la voiture individuelle, est aujourd’hui au cœur des préoccupations économiques, environnementales et sociales. Les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports représentent une part significative du total, contribuant ainsi au réchauffement climatique. Parallèlement, la congestion urbaine, la pollution de l’air et les accidents de la route engendrent des coûts sociaux et économiques considérables. Est-ce le modèle de développement fondé sur la voiture individuelle que nous voulons pour notre île ? « Bien sûr que ce système n’est pas durable, mais encore un instant Monsieur le bourreau… » ou sous une autre forme : « Je sais qu’il faudrait collectivement changer de logique, mais moi individuellement je ne le peux pas, à cause de ma profession, de ma suractivité, de ma famille, alors que tous les autres qui n’ont pas les mêmes contraintes pourraient le faire facilement avec un peu de bonne volonté ». Il n’en demeure pas moins que les projets d’infrastructures de transports sont déterminants pour la mobilité de demain.
L’indispensable coopération entre les différents acteurs de la mobilité

La gouvernance des mobilités à Mayotte, une question cruciale et complexe, aux dimensions multiples, aux enjeux critiques, située à l’intersection des dimensions politique, territoriale, technique et administrative, est également un enjeu fort de développement des politiques publiques de transports et de mobilités dans notre département.
Dans un contexte où les capacités budgétaires de nos collectivités sont fortement contraintes, il serait intéressant de poser les bases de réussite des politiques de transports et de mobilités dans le département. L’efficacité de ces politiques supposent qu’elles soient fortement soutenues au plan national. Les politiques locales en faveur de la mobilité durable (politiques de coopération, d’incitations financières ou fiscales, priorités sur la voirie, etc.) ne pourront se concrétiser sans objectifs nationaux clairs. Ces politiques devront également faire l’objet d’une procédure rigoureuse d’évaluation et de suivi.
Ce faisant, le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte est une occasion ratée de formuler des propositions de modification législatives ou réglementaires pour les adapter aux réalités locales.
- Quels outils de coopération et d’exploitation des mobilités pour aboutir à des offres publiques de qualité, performantes, intégrées (c’est-à-dire en réduisant au maximum les ruptures de charges), simples d’usage et, enfin, accessibles à tous ? Quel outil de coordination opérationnelle des maîtres d’ouvrage permettant de maîtriser aussi bien les dimensions techniques que financières, calendaires ou organisationnelles des projets de mobilité ?
- Quelle politique d’optimisation des réseaux de transports publics terrestres et maritimes, dans l’objectif de « sauver » le système de financement en réalisant des économies, sans porter atteinte au service offert aux usagers ?
- Quel modèle économique des autorités organisatrices de la mobilité au regard des réalités locales ? Car le financement des réseaux de transport, qu’il s’agisse des coûts de fonctionnement ou d’investissement, est loin de pouvoir être assuré par les seules recettes tarifaires et subventions publiques. D’autres sources de financement sont nécessaires.
- Quelle stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance pour les Transports en Commun à Mayotte ?
Mais l’avenir ne se décrète pas, il se construit. Raison pour laquelle je propose aux autorités organisatrices de la mobilité de me confier la mission d’organiser la première édition des Rencontres des autorités organisatrices de la mobilité de Mayotte.
Je sais pouvoir compter, sans l’ombre d’un doute, sur l’engagement de toutes et de tous pour concrétiser cette ambition commune d’une mobilité intermodale à l’échelle départementale.
Mohamed Hamissi Thomas
Spécialiste des transports urbains et régionaux de personnes