À Mayotte, Emmanuel Macron face aux promesses d’une lente reconstruction

Le président de la République est revenu à Mayotte, lundi 21 avril, quatre mois après le passage dévastateur du cyclone Chido, entre chaleur populaire, discours politiques et espoirs suspendus à une loi dont on l'espère qu'elle changera (vraiment) le quotidien des habitants.

Il avait promis de revenir. Quatre mois après Chido, Emmanuel Macron est de retour à Mayotte. Accompagné de son épouse, Brigitte Macron. Mais aussi de plusieurs ministres, dont Manuel Valls, ministre des Outre-mer, Yannick Neuder, Ministre de la Santé et de l’Accès aux soins, Annie Genevard, Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, et Thani Mohamed-Soilihi, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux.

En ce lundi de Pâques, le chef de l’État a entamé une visite centrée sur la reconstruction et la souveraineté alimentaire, dans un département toujours marqué par une catastrophe naturelle sans précédent, survenue le 14 décembre 2024. Cette fois, il dit vouloir « entrer dans le temps de la reconstruction ». Mais la population attend des preuves plus que des promesses. Malgré une vie qui a repris le dessus, les stigmates de Chido sont encore visibles à travers les paysages, les villages et se lit sur les visages.

À Tsingoni, de la douleur à la renaissance 

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Le Président de la République face aux habitants de Tsingoni

À sa descente de la barge à Mamoudzou, vers 8 heures, le président a été accueilli par des manifestations syndicales. Son arrivée intervient dans un climat social tendu, marqué par une crise persistante de l’eau, des grèves et une insécurité croissante.

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La foule était en liesse pour l’arrivée du Président

À Tsingoni, en revanche, l’ambiance était plus chaleureuse. Devant la mosquée du XIIIᵉ siècle, en cours de reconstruction, les habitants ont réservé un accueil festif au chef de l’État. Chants, danses traditionnelles, accolades : une parenthèse d’enthousiasme, malgré les difficultés toujours présentes. Une habitante l’interpelle : « On vit sous une bâche, on attend le prêt à taux zéro. » Emmanuel Macron répond sur le champ, exige que les banques répondent au rendez-vous et promet une accélération des démarches. Lors de sa précédente visite en décembre 2024, six jours après le passage du cyclone, Emmanuel Macron avait promis de revenir dans cette commune, particulièrement sinistrée. Il avait alors découvert une île dévastée, privée d’eau, d’électricité et de réseau. « On veut de l’eau » avait répété en pleurant une habitante.

 Le traumatisme de Chido persiste

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Le dernier bilan victimaire du cyclone avait fait état de 40 morts et de 41 disparus

Sous l’apparente accalmie, le bilan humain du cyclone reste un sujet sensible. Deux enseignants du lycée de Sada et du lycée Bamana de Mamoudzou s’inquiètent : « Certains élèves ne sont jamais revenus. Il faut un recensement des victimes, pas une approche administrative déconnectée des réalités mahoraises. » Pour beaucoup, le deuil n’a pas encore trouvé de reconnaissance officielle.

 Un hommage au pape François

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Brigitte Macron était aux côtés de son époux à Tsingoni

En fin de matinée, Emmanuel Macron a brièvement interrompu sa visite pour rendre hommage au pape François, dont le décès a été annoncé dans la matinée Visiblement ému, le président a salué la mémoire d’un homme « au service des plus vulnérables », soulignant sa « simplicité » et sa « bienveillance ».

 Une agriculture sinistrée, au cœur des priorités

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La ferme de Komo à Mroalé

À Mroalé, dans centre de l’île, Emmanuel Macron a visité la ferme de Komo, symbolique d’un secteur agricole toujours à genoux. Bananiers arrachés, silos éventrés, clôtures effondrées : les stigmates de Chido demeurent. L’exploitation peine à redémarrer, comme beaucoup d’autres, mais résiste. Le chef de l’État a réaffirmé son engagement pour une souveraineté alimentaire dans l’Océan indien, en mentionnant l’île de La Réunion, également frappée par un cyclone, Garance, le 28 février dernier.

Mais les attentes sont fortes : « Les aides ne sont pas encore là », souligne un entrepreneur local. Les agriculteurs non affiliés à des coopératives peinent à obtenir un accompagnement. La désorganisation structurelle freine la reprise. Emmanuel Macron note, questionne, promet. « Cela va repousser dans six mois », soutient Komo, dans un souffle mêlé d’espoir et de prudence.

« Ura Wa Shabat » pour renforcer la lutte contre l’immigration

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Le Président de la République est montée à bord d’un intercepteur de la police aux frontières. Il a annoncé la mise en place de Ura Wa Shabat, un plan pour renforcer la lutte contre l’immigration clandestine

À 13h30, le cortège présidentiel s’est rendu à Longoni pour une visite qui n’était pas initialement prévue. Il a été accueilli par Jérôme Malet, sous-préfet à la lutte contre l’immigration clandestine (LIC), qui lui a présenté brièvement les dispositifs de la LIC. L’objectif : continuer à augmenter les moyens pour rendre « Mayotte moins attractive », a précisé le sous-préfet. Cela passe par une augmentation du nombre d’intercepteurs, de huit à treize, et de radars mais aussi, par l’agrandissement du centre de rétention administratif (CRA), qui doit évoluer de 250 à 354 places d’ici 2027.

En 2024, selon une carte présentée au chef de l’Etat, la LIC a intercepté 494 « kwassas », et depuis le début de l’année 2025, elle en a interpellé 93.

Sur le quai du port, le sujet de la future « base militaire navale avancée » n’a pas été directement abordé, mais Estelle Youssouffa a interpellé Emmanuel Macron pour lui montrer, sur la carte, l’emplacement stratégique du ponton sur l’îlot Mtsamboro. Une installation qui permettra aux intercepteurs d’accoster pour faire reposer les équipes, et pouvoir repartir en mission plus rapidement. « Tout l’enjeu est d’anticiper les mouvements [des kwassas]  pour opérer les contrôles », a répondu Emmanuel Macron, avant de rejoindre un intercepteur de la police aux frontières pour un tour démonstratif sur le lagon. Le Président de la République a pu prendre les commandes de l’appareil qui filait à 70 km/h. Le cortège de trois intercepteurs a été survolé par l’avion de surveillance civil et a ensuite été accompagné par une vedette de la gendarmerie.

Un détour inopiné par l’hôpital 

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Emmanuel Macron lors de sa visite du service des Urgences du CHM

À 14h30, le Président de la République, aux côtés de Yannick Neuder, ministre de la Santé et de l’Accès aux soins, s’est retrouvé au milieu des brancards, dans le couloir des urgences du CHM. Une visite « surprise » qu’Emmanuel Macron souhaitait réaliser, car il n’avait pas pu se rendre dans l’établissement en décembre dernier. « On souffre, ça n’a pas bougé, il y a des choses qui tombent du toit, il y a de l’eau qui rentre dans l’hôpital… », raconte au Président, un réserviste. « On a 40% d’indexation de prime vie chère, on aimerait plus, il nous faut aussi plus de personnel », témoigne un infirmier. « On a fait le ménage avant l’arrivée du Président, mais on ne veut pas montrer les toilettes, elles sont dans un état catastrophique », poursuit l’infirmier. « À La Réunion, ils ont eu Garance et depuis, c’est nickel ».

« Merci infiniment pour votre mobilisation et votre courage. Vous innovez en matière organisationnelle, bravo », a insisté, devant le personnel de l’établissement, Emmanuel Macron, sans en dire davantage. « On va y arriver, on cherche des solutions, c’est différent à Mayotte », a rétorqué la cheffe des urgences. « Je m’attends vraiment à une épidémie de Chikungunya », a averti en fin de visite, Sergio Albarello, directeur de l’ARS Mayotte. « Le but est d’éviter de saturer l’hôpital, il faut taper vite et fort, comme pour le choléra ». Dans son dernier bulletin, l’ARS avait relevé 32 cas de chikungunya sur l’île, dont six acquis localement. « Les vaccinations commenceront dès demain », a annoncé le chef de l’Etat.

Une loi-programme, entre ambition présidentielle et lenteurs administratives

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Emmanuel Macron a présidé une session dédiée à la loi-programme au Conseil départemental

La journée s’est achevée dans l’hémicycle du conseil départemental de Mamoudzou. L’ambiance y était plus feutrée, plus politique. Entouré des élus mahorais, Emmanuel Macron a présenté les grandes lignes de la loi-programme pour la reconstruction de Mayotte. Elle sera débattue au Conseil des ministres à la fin du mois d’avril. « Nous ne ferons pas que réparer. Nous refonderons », a-t-il affirmé. En effet, Emmanuel Macron, est venu affirmer le soutien de l’État à Mayotte et esquisser les contours d’un avenir qu’il veut « reconstruit sur du solide, du légal, du durable ». Il faut dire que dès sa descente de l’avion, le ton était donné, reconnaissant une tâche colossale pour les années à venir. « Un texte n’y suffira pas, mais c’est un engagement de tous les instants », avait-t-il déclaré à propos de la future loi-programme. Face aux séquelles du cyclone et aux faiblesses structurelles du 101ème département français, le Président a annoncé une stratégie législative articulée en deux temps : une loi ordinaire pour les aspects institutionnels, et une loi spécifique de refondation, visant à traiter en profondeur les enjeux migratoires, économiques, sociaux et environnementaux du territoire.

3,5 milliards d’euros pour rebâtir Mayotte sur six ans

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Le 30 janvier 2025, le général Facon, en charge de la reconstruction de l’île, entamait sa visite officielle à Mayotte, accompagné de Manuel Valls (photographie/DR)

Dans l’après-midi, c’est un engagement sans précédent qui est tombé : Emmanuel Macron a annoncé plan d’investissement massif de 3,5 milliards d’euros pour Mayotte, répartis sur la période 2025-2031. Une enveloppe alimentée par des fonds nationaux, européens et internationaux, pour enclencher une reconstruction à la hauteur des défis. Un texte législatif spécifique sera présenté à l’Assemblée nationale dès cet été, sur le modèle de celui adopté pour la restauration de Notre-Dame de Paris. « Il nous faut une politique d’exception, adaptée à notre réalité sociale, économique et géographique », a martelé le Président, faisant écho aux demandes insistantes des élus locaux.

La lutte contre l’immigration clandestine figure parmi les priorités. Un nouveau plan baptisé « Ura Wa Shabat », en complément de l’opération « Requin », a été présenté. Objectif : renforcer la lutte contre les fraudes aux titres de séjour et les reconnaissances de paternité fictives. Le ton est assumé : « L’immigration comorienne s’est doublée d’une immigration venue du continent africain, qui accroît nos difficultés. » Le Président admet que le titre de séjour territorialisé est une source d’injustice : « C’est perçu comme tel, et c’est légitime. » Cela, sans évoqué explicitement le sort du titre de séjour territorialisé. Emmanuel Macron a en revanche indiqué que le texte de loi qui doit arriver prochainement, « permettra de lutter plus fortement contre l’immigration clandestine. Je souhaite qu’on aille beaucoup plus loin contre une immigration qui a changé, qui s’est doublée avec la venue d’embarcations depuis le continent africain. L’objectif est d’arriver aux 35 000 retours d’ici la fin de l’année via l’opération Ura Wa Shabat ». Par ailleurs, six escadrons de gendarmerie sont déployés d’ici la fin de l’année, a soutenu le chef de l’État. De plus, concernant le logement, Emmanuel Macron s’est dit favorable à une interdiction pure et simple de la construction de bidonvilles à Mayotte.

Un seul interdit, celui de s’arrêter 

Face à la crise de l’eau et à la précarité énergétique, le chef de l’État a insisté sur l’urgence de l’action : « On a un interdit : c’est de s’arrêter ! » Le Président a rappelé que les deux réserves collinaires, de Combani et de Dzoumogné, étaient en cours de remplissage, et que la deuxième usine de dessalement était attendue pour le début de l’année 2027. Par ailleurs, une intégration d’EDM à EDF est envisagée pour sécuriser durablement les approvisionnements. Des progrès ont été réalisés, a affirmé le chef de l’État : 600 millions d’euros déjà engagés, un réseau électrique stabilisé, et des renforts humains dans le secteur hospitalier. Mais le terrain, lui, raconte parfois une autre histoire.

Houssamoudine Abdallah, le maire de Sada et le président du Sidevam, alerte sur la persistance de situations dramatiques : « Le prêt à taux zéro demeure inexistant, des familles vivent encore sous des bâches. » Il réclame un fonds d’urgence spécifique. La députée Estelle Youssouffa, au début silencieuse, prend finalement la parole : « Mayotte n’est plus à terre, mais nous ne sommes pas encore debout. […] Vous voyez devant vous une population héroïque. » Elle évoque la pauvreté, le manque d’eau, la fermeture des entreprises, et un phénomène inquiétant : l’exode massif d’une population usée des crises successives vécues sur le département. « Depuis quatre mois, c’est l’hémorragie, l’île se vide. »

La piste longue sera en Grande-Terre 

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Les membres du collectif des citoyens de Mayotte 2018 avaient défendu avec force le projet de piste longue à Pamandzi

Interpellé sur le chantier tant attendu de la piste longue, Emmanuel Macron a modéré les attentes. « J’ai promis une piste longue en 2019 en Petite-Terre. Mais les études ont révélé des risques : sismiques, de submersion, d’inexploitation. La seule manière responsable de respecter cette promesse, c’est de la construire en Grande-Terre. » Un choix qu’il a défendu au nom de la responsabilité, tout en adoptant un ton franc : « Je ne crois pas à la fatalité. Vous avez fait preuve d’un courage immense. Tout ce que je vous ai dit, c’est ce que je compte faire. Mayotte a un avenir dans cette région si nous construisons des fondations solides. »

« J’y crois justement parce qu’il y a tous ces défis » 

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Le Président défendra les couleurs de Mayotte lors de la Commission de l’Océan Indien qui se tiendra le 24 avril à Madagascar

En marge de sa visite, le chef de l’État a répondu aux questions de la presse locale. « Je suis heureux d’être là, et d’avoir tenu l’engagement pris. Je me souviens de ces mamans qui me disaient ne pas avoir d’eau. Nous avons tenu. » Mais croit-il vraiment à la reconstruction de Mayotte ? La réponse, à notre question, est sans détour : « J’y crois justement parce qu’il y a tous ces défis. Beaucoup existaient avant Chido. Nous avons appris, surtout localement. » Il cite en exemple la relance agricole, notamment dans la filière volaille et chèvres : « Sur 61 exploitations touchées, 60 sont déjà reconstruites. Il y a une résilience, une innovation, une capacité à faire sur ce territoire qui est prodigieuse. »

Concernant l’immigration, il note un changement d’approche : « Avant, il y avait du désespoir. Aujourd’hui, l’État est plus présent. » Et il conclut en traçant une vision géostratégique : « Mayotte est à la jonction de deux mondes : l’Océan Indien et le canal du Mozambique. L’Afrique regarde Mayotte. Nous avons la possibilité d’en faire un hub régional. » Son ultime message : « Je crois profondément à l’avenir de Mayotte. Elle mérite que l’on porte ce projet de reconstruction. »

Après ces discours, la population de Mayotte attend désormais des actes. Sur cette île meurtrie, la République est attendue au tournant. Et elle n’a plus le droit à l’erreur. Peu avant la tombée de la nuit, le Président a rejoint l’aéroport de Petite-Terre, au sein de l’avion présidentiel, depuis lequel il a présidé en visioconférence, un conseil des ministres, en direction de La Réunion, pour la suite de ce voyage officielle, avant de se rendre à Madagascar et Maurice.

Victor Diwisch et Mathilde Hangard

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