Alors que la défiance envers les médias grandit et que les usages numériques évoluent rapidement, une initiative inédite d’éducation aux médias et à l’information (EMI) a mobilisé la jeunesse mahoraise tout au long du mois de mai.
Invitée par la Direction des affaires culturelles (DAC) et le Rectorat de Mayotte, la journaliste Abby Said Adinani a conduit une résidence d’un mois entièrement dédiée à l’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI). Plus de 1.000 jeunes, âgés de 6 à 24 ans, ont été sensibilisés sur l’ensemble du département à travers des ateliers, des productions journalistiques, des débats et des rencontres.
Quatrième résidence de ce type organisée à Mayotte, l’édition 2025 prend un relief particulier sur ce territoire où les fractures sociales, numériques et éducatives pèsent fortement sur l’accès à l’information.
Une jeunesse connectée, mais vulnérable à la désinformation
« À 6 ans, ils connaissent déjà TikTok, YouTube… », observe Abby Said Adinani. L’omniprésence des écrans chez les jeunes Mahorais s’accompagne d’une forte exposition aux contenus non régulés. Dans un département où les équipements numériques progressent plus vite que les repères critiques, l’EMI devient un outil essentiel de prévention.
L’enjeu est double : apprendre aux jeunes à décrypter les images, à repérer les biais et à se forger une opinion informée. Dans les classes des établissements scolaires de Sada, Doujani ou Pamandzi, les élèves ont découvert les rouages de l’information : reportage, prise de son, écriture, analyse. Au-delà des compétences techniques, c’est leur rapport à la parole publique qui a été interrogé. En filigrane, une prise de conscience : comprendre l’information, c’est aussi mieux comprendre le monde et sa propre place dans la société.
Une pédagogie ancrée dans le réel
La résidence s’est appuyée sur une immersion concrète : les jeunes ont été invités à produire des podcasts, des articles, des formats courts, souvent ancrés dans leur quotidien. Certains établissements se sont particulièrement illustrés par la qualité des productions et l’engagement des équipes pédagogiques, notamment les professeurs documentalistes.
Cet investissement local démontre que, même dans des contextes contraints, l’EMI peut trouver sa place lorsqu’elle s’inscrit dans les réalités du territoire. À Mayotte, confrontée à des défis éducatifs multiples – illettrisme, absentéisme, surpopulation scolaire, cette démarche d’éducation critique à l’information offre un espace de respiration intellectuelle et de réappropriation citoyenne.
Une dynamique à prolonger : enquête et outils en perspective
Pour inscrire cette initiative dans la durée, l’association L’Effet Pelapelaka, fondée par la journaliste, lance une enquête territoriale destinée à mieux cerner les pratiques et les attentes des jeunes vis-à-vis des médias. Accessible en ligne, elle ambitionne de nourrir des projets pérennes : outils d’analyse, ateliers récurrents, ressources pour les parents.
Car si les jeunes sont en première ligne, leurs familles et les adultes qui les entourent doivent aussi être outillés pour accompagner cette révolution médiatique. L’ambition est claire : faire de l’EMI non pas un supplément d’âme, mais un levier central de cohésion sociale et de démocratie locale, à Mayotte, un territoire jeune, multilingue et souvent en quête de repères.
Mathilde Hangard