Dès la descente de la barge, impossible de manquer l’effervescence : sous les tentes blanches, nappes colorées et chants d’artistes mahorais comme Zily ou Daday accueillent les visiteurs. L’événement réunit des écrivains mahorais, figures incontournables de la scène littéraire locale, mais aussi des voix venues d’ailleurs, comme Raghunath Manet, auteur originaire de Pondichéry en Inde. Parmi les auteurs mahorais présents, Nasur Attoumani se distingue comme une figure phare. Initiateur du Salon du livre de Mayotte, il insiste sur l’importance de transmettre la culture maoraise. “Tant que les tout-petits ne liront pas, on n’aura pas de lectorat. Il faut permettre à nos jeunes de s’imprégner de la culture mahoraise et des écrits de nos auteurs”, explique-t-il.

Son stand, pris d’assaut tout au long de la matinée, témoignait de l’engouement du public pour ses œuvres et son engagements. Jabiri Madi Leroi, écrivain et poète, attire également l’attention par son travail profondément ancré dans la culture de l’île. Dans ses ouvrages, il mêle français et kibushi pour interroger l’identité et la transmission culturelle. La Valse des djinns questionne par exemple la société de Mayotte et ses traditions, tandis que Fragments de culture met en lumière la place de la femme et la transmission des valeurs. Pour lui, écrire est un acte de patience et de persévérance. “La jeune génération doit voir qu’il y a le livre, il n’y a pas que la tablette et le téléphone, il y a le livre, les gens écrivent donc il faut que je lise”, affirme-t-il.
Pour Nadia Bounaïdi, autrice jeunesse, ce rendez-vous est l’occasion de rencontrer son public et de valoriser la littérature locale. Son travail illustre un engagement commun parmi les auteurs présents : transmettre des valeurs, encourager la lecture et affirmer la place des langues et traditions. “C’est une opportunité de montrer à la jeunesse de Mayotte qu’on peut écrire sur notre culture et leur donner des personnages qui leur ressemblent”. Darouèche Hilali Bacar, membre de la maison d’édition Project’îles, souligne aussi l’importance d’une littérature ancrée dans la culture locale. “Pour l’instant nos textes sont en français, mais nous comptons ajouter des QR code qui mèneraient à des versions en langue locale, car les contes et halé halé sont des histoires liées à notre société”.
Lire, découvrir, partager : un salon vivant et tourné vers les jeunes
Lors de cette rencontre, la lecture se vit autant qu’elle se lit. L’association Shimé, à travers son président Rastami Spelo, met l’accent sur la transmission.“La meilleure autorité, c’est l’exemple. Il faut que les grands lisent devant les enfants, qu’ils les entraînent doucement à lire”, insiste-t-il. Ateliers de lecture, contes, séances de dessin ou encore initiation au msindzano rythment la journée, attirant surtout les plus jeunes.

Les Bibliobus, stationnés sur place, viennent renforcer cette mission d’accès au livre pour tous. Dans les allées, les classes venues, écoutent, participent et questionnent. Killian, élève de CE1, explique : “J’aime beaucoup lire parce que ça me permet d’imaginer plein de choses comme je veux”. Un peu plus loin, Alicia, collégienne, ressort ravie de l’atelier msindzano et du spectacle du matin. Les adultes ne sont pas en reste. Une visiteuse, venue spécialement faire dédicacer son livre par Nasur Attoumani, repart avec deux exemplaires, un pour elle et un pour sa mère. “Ces initiatives sont importantes pour les auteurs, mais surtout pour les jeunes d’aujourd’hui”, confie-t-elle, sourire aux lèvres.
Dialogue, culture et inclusion : quand le livre ouvre la réflexion
Après les animations et ateliers, les discussions se sont déplacées vers des enjeux plus larges, donnant la parole aux intervenants autour de la littérature, de la culture et de l’inclusion. Une table ronde a réuni auteurs et acteurs culturels pour débattre de la littérature jeunesse à Mayotte, un thème au cœur des préoccupations de l’événement. L’objectif : réfléchir à la manière dont le livre peut contribuer à préserver la culture locale et encourager la lecture chez les jeunes. Plusieurs personnes ont insisté sur l’importance d’offrir aux enfants des œuvres qui leur ressemblent, écrites en shimaoré ou en kibushi. Un constat partagé : les nouvelles générations parlent de moins en moins ces langues.
Au-delà des échanges littéraires, le Salon met en avant des initiatives solidaires et inclusives. Le stand d’Ahmed Mohamed, éducateur technique spécialisé, propose des livres adaptés aux personnes en situation de handicap, notamment en braille afin de rendre la lecture accessible à tous. “À Mayotte, nous sommes les seuls à éditer et à adapter des documents en braille pour les jeunes scolarisés et les adultes », raconte le jeune homme atteint d’un déficit visuel.

Quant au kiosque sur la santé mentale chez les jeunes, porté par Kala Massoundi, éducatrice de jeunes enfants et Échata Ibrahim, aide médico-psychologique mais aussi médiatrice interculturelle, il invite à repenser l’accompagnement des jeunes en difficulté. L’éducatrice explique. “On conseille toujours aux parents de venir chez nous, parce qu’il faut comprendre ce que vivent les enfants”, explique-t-elle. Échata Ibrahim considère, elle, “qu’on a trop tendance à négliger la santé mentale des adolescents et des jeunes adultes. Il faut arrêter de dire qu’ils font des caprices, parfois il faut chercher à aller plus loin et faire confiance à nos enfants. Car certains ressentent vraiment un mal-être”.
En marge du salon, Nasur Attoumani, pionnier de l’événement, a annoncé une avancée majeure pour la lecture sur l’île.“J’ai demandé et obtenu que novembre devienne le mois de la littérature mahoraise dans toutes les écoles”. Cette initiative, qui prendra effet dès le mois prochain, vise à encourager la lecture dès le plus jeune âge et à valoriser la culture locale auprès des nouvelles générations.
En attendant sa clôture samedi, le Salon du livre continue d’attirer curieux et passionnés, offrant à Mayotte un espace où lecture, culture et partage se mêlent pour donner vie aux mots.
Shanyce Mathias Ali


