Sur la plage de Mtsamboro, ce mercredi 23 avril, une dizaine de militaires du bataillon reconstruction s’attèlent à la réparation d’un mur qui permet l’écoulement de la rivière jusqu’au lagon. « Le but est d’éviter que l’eau dégrade le littoral, il faut faire un mur solide qui résiste aux marées », explique, les pieds dans l’eau, le sergent Christian, du 19ème régiment du Génie basé à Besançon, dont 4 militaires sont mobilisés sur ce chantier.

Nommés « sapeurs bâtisseurs » ils apportent leurs compétences en matière de maçonnerie aux autres militaires du bataillon. Un partage des savoir-faire important pour réaliser au mieux les différentes missions comme le retrait des embâcles des rivières, les réparations de toitures de bâtiments publics ou d’écoles, ou bien les réhabilitations de salle de sport. Depuis la mi-février, grâce à une mobilisation interarmées de plus de 350 militaires, le bataillon a pu assurer une trentaine de chantiers sur l’ensemble de l’île. Parmi eux, une dizaine de militaires sont des Mahorais, selon le colonel Segun qui commande le bataillon.
« Dès qu’ils m’ont vu, ils ont eu les larmes aux yeux »
Une truelle à la main pour répartir le béton sur le mur, le sergent Mouhamadi, 33 ans, est l’un d’entre eux. Originaire du Sud de Mayotte il est habituellement en poste à la base aérienne opérationnelle de l’Armée de l’air et de l’espace 106 Bordeaux-Mérignac. Lorsqu’il a pris connaissance de la mission de reconstruction à Mayotte il n’a pas hésité à se porter volontaire pour aider son île natale à se remettre du cyclone.

« On voyait les destructions à la télé et on ne pouvait rien faire, ça faisait vraiment mal, on était impuissant et on avait pas de nouvelles de nos familles », se rappelle l’homme, qui est arrivé à Mayotte le 28 mars dernier. « Quand j’ai entendu l’existence de la mission j’ai foncé et on est plusieurs Mahorais à avoir fait ce choix. Ici on se considère tous comme étant une famille, donc on est heureux de reconstruire Mayotte ».
« J’aurais aimé pouvoir rendre visite plus souvent à mes proches, mais on est venu pour la mission de reconstruction, le travail prime sur la famille », constate le sergent Mouhamadi, un brin déçu, qui n’a pas souvent l’occasion de renter à Mayotte. « J’ai quand même fait une surprise à mes parents. Je suis allé les voir sans les prévenir. Ils ne m’avaient jamais vu en treillis militaire et dès qu’ils m’ont aperçu ils ont eu les larmes aux yeux. Ils étaient fiers de moi et quand j’ai du temps libre j’essaye de les voir ».
« J’ai un contrat de deux mois dans le bataillon reconstruction, j’en profiterai jusqu’au dernier jour », ajoute-t-il, « quand le départ arrivera ça va être très émouvant ».

Un sentiment de fierté partagé par le caporal Cael, également en poste dans l’Armée de l’air et de l’espace, interviewé le 15 avril dernier sur un chantier de retrait d’embâcles, lors de la visite de la Ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher. « Etre présent à Mayotte ça donne beaucoup de joie. C’est très important pour nous de rentrer au pays, de savoir que tout le monde va bien et de contribuer à la reconstruction de notre île », expliquait l’homme de 28 ans, originaire de M’Tsangamouji. « J’ai discuté avec des jeunes de mon village, j’ai pu leur faire un retour sur mon travail et leur servir d’exemple, je suis vraiment fier d’être ici ».
« J’ai eu l’occasion de voir ma famille, mais quand on est opérationnel c’est la mission qui prime. On doit faciliter le retour à la normalisation sur l’île », insistait le jeune homme, en poste depuis 15 ans en métropole.
« Dans chacune de nos unités il y a un certain nombre de Mahorais, et ils sont plutôt dans des unités du génie, de logistique, ce qui est utile ici », note le colonel Segun. « C’est sûr qu’il y avait un peu plus d’envie de leur part pour se porter volontaire ».
Seul bémol qui ressort des discussions dans les équipes, notamment de la part des Mahorais, le fait d’être bloqué sur site à Combani où est basé le bataillon. Certains ne comprennent pas pourquoi il est impossible d’avoir des « quartiers libres », comme dans les autres missions dans les DROM-COM et se demandent si Mayotte est considérée comme une « zone de guerre », au vu de ces conditions. Les militaires ont le droit à un dimanche par mois pour voir la famille de 6 h à 18 h, sans possibilité de dormir chez eux, ce qui ne permet pas de longues retrouvailles.
Le bataillon un « trait d’union » entre l’urgence et la reconstruction durable
Le bataillon reconstruction opère en moyenne 7 chantiers simultanés par jour sur l’ensemble du territoire. « On a toute une liste de chantiers possibles que l’on peut faire et ensuite on les programme. On fait un point sur les compétences nécessaires avec nos équipes et on planifie le début des travaux directement en lien avec les mairies des communes », indique le colonel Segun. « A Mtsamboro, la commune nous a montré qu’il y avait des talus et des ravines abîmées suite au cyclone. On s’est rendu sur place pour voir si on avait la capacité de les réparer et on a ensuite organisé l’acheminement des matériaux et du matériel adéquat ».

« Ce sont principalement des chantiers assez simples mais qui nécessitent de la main d’œuvre, comme du déblaiement avec des bras et des véhicules. Puis il y a aussi les chantiers techniques, qui nécessitent la présence d’engins », continue le colonel. « Aujourd’hui 81% des chantiers sont planifiés, mais il arrive que des mairies nous contactent pour de nouveaux projets ».
« Le but est de réaliser beaucoup de petits chantiers plutôt que de faire des gros chantiers importants que pourront entreprendre des entreprises », remarque-t-il. « La loi programme va permettre une reconstruction de Mayotte dans le long terme, sur 6 ans. Nous on est le trait d’union entre les moyens d’urgence et la reconstruction durable de Mayotte ».
Sur tous les chantiers identifiés, plus d’une soixantaine, le bataillon de reconstruction en a réalisé la moitié. A la fin de sa mission, de courte durée si on l’oppose à la refondation de Mayotte prévue sur plusieurs années, le bataillon reconstruction aura eu un impact précieux et surtout efficace. « On est l’allumette qui ensuite permet de réaliser d’autres chantiers plus importants sur l’île », illustre le colonel Segun. Et si, pour certains Mahorais du bataillon, ce retour à la maison a été bref, il leur aura permis d’apporter leur pierre à l’édifice dans la reconstruction de Mayotte. Un moment précieux dont ils se souviendront toute leur vie.
Victor Diwisch