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Mamoudzou
mardi 21 janvier 2025

Après Chido, des défis immenses en matière de soins psychologiques et psychiatriques

Plus d’un mois après le cyclone, les professionnels de santé du Centre hospitalier de Mayotte mobilisés sur la prise en charge médico-psychologique des habitants, suite au passage de Chido, sont entendus officiellement pour la première fois. 

Virginie est pédopsychiatre. Sarah et Sandra sont psychologues. Leur objectif est simple : partager à la population mahoraise les signes d’un traumatisme psychologique et les inviter à consulter pour éviter qu’ils ne deviennent chroniques. Pour ces professionnelles de santé, première chose à retenir : le numéro de soutien médico-psychologique est toujours fonctionnel. Il est gratuit, anonyme et peut être joignable tous les jours de 10h à 22h (heure locale) au +33 1 44 49 24 30. L’échange peut se faire en français, en shimaoré et en shibushi. Pour le Dr. Briard, cheffe du service de pédo-psychiatrie de l’hôpital de Mayotte, cet outil est fondamental car ces prises en charge par téléphone permettent de désengorger les demandes de soins et surtout de les orienter dans un deuxième temps, au sein des centres de santé en présentiel.

Une course contre la montre pour accueillir les traumatisés de Chido 

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Certains enfants demandent à revenir dans leurs maisons dévastées, pour retrouver leurs anciens repères

Quelques jours après le passage du cyclone, une cellule de soutien médico-psychologique a été mise en place pour le pôle Santé mentale du Centre hospitalier de Mayotte. L’objectif était de prendre en charge des patients déjà suivis par les services du CHM et des patients « extérieurs », qui présentaient un trouble psychologique post-cyclone, notamment les soignants, en première ligne de la gestion de cette catastrophe sans précédent, pour ne pas saturer les urgences de l’hôpital. Deux semaines après Chido, une cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP), composée de professionnels de santé de l’Hexagone et de La Réunion, est venue prêter main forte aux soignants de Mayotte. « La CUMP a pris en charge les soignants de l’hôpital et nous [le pôle Santé mental du CHM] avons repris une activité vis-à-vis de nos patients et de toute personne qui décompensait sur le plan psychiatrique », se souvient le Dr. Briard.

Des prises en charge rendues difficiles en raison de de problèmes logistiques et de réseau 

Mais les prises en charge n’ont pas été aisées notamment en raison des problèmes quasi-permanents de réseau. « Beaucoup de nos patients voulaient se déplacer mais on voulait d’abord les joindre pour leur dire où venir car les centres médico-psychologiques périphériques étaient fermés, celui de Mamoudzou était à terre », relate le Dr. Briard. Encore à ce jour, les équipes sont sans nouvelles « de nombreux patients, notamment dans le Nord de l’île » qui n’ont jamais pu être joints. Les soignants ignorent s’ils ont survécu au cyclone ou s’ils sont seulement sans réseau. Dans ce contexte, prendre en charge la détresse des habitants relève d’un véritable parcours du combattant par les soignants. Tant bien que mal, les psychiatres et psychologues sont parvenus à rouvrir des consultations, comme au centre médico-psychologique (CMP) de Bandrélé et au CMP enfants et adolescents de Mtsapéré. Au centre de l’île, les consultations médico-psychologiques s’effectuent directement au centre médical de référence (CMR) de Kahani car le CMP de Sada a été entièrement détruit après le passage du cyclone. En Petite-Terre, le CMP de Dzaoudzi n’a pas encore obtenu l’autorisation de rouvrir et au Nord de l’île, les consultations médico-psychologiques n’ont pas encore pu reprendre. Au CHM, une consultation de psychiatrie est à nouveau opérationnelle mais les remaniements logistiques, notamment avec l’installation d’un hôpital modulaire, compliquent le travail des soignants, où des professionnels de santé de différents services doivent partager les mêmes salles de soins. Pour soutenir une population dans le désarroi, deux créneaux de consultation médico-psychologiques ont été ouverts à des patients « extérieurs », le mardi matin et le mercredi après-midi, au CMPEA de Mtsapéré. Problème : ces consultations sont victimes de leur succès. « On a déjà reçu plus d’une dizaine de demandes et on ne sait pas comment on va pouvoir absorber tous ces patients, on va rapidement être débordés », constate le Dr. Briard.

« Les gens ont peur que cela se reproduise »

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Difficile pour les soignants de proposer des lieux sécurisants de consultation alors que l’ensemble de l’île a été balayé par Chido

Après un évènement traumatisant comme Chido, les défis en matière de prise en charge médico-psychologique à Mayotte sont immenses. À travers la cellule d’écoute déployée pour les patients, les psychologues constatent qu’un grand nombre de personnes ont développé un sentiment profond d’insécurité. « Ils (les patients) sont très stressés. Ils sont en hyper vigilance. Beaucoup d’entre eux ont des troubles du sommeil, des troubles alimentaires. Ils font des cauchemars en lien avec le cyclone. D’autres sont dans une grande tristesse. » Le passage de la tempête Dikeledi, moins d’un mois après la catastrophe de Chido, a également été mal vécu par les habitants. « Les gens ont peur que Chido se reproduise. Beaucoup d’enfants sont très agités et tristes d’avoir perdu leur maison. » Lors de ces prises en charge, les professionnels de santé tentent de « proposer des espaces à l’hôpital ou dans les centres médico-psychologiques où les personnes puissent se sentir en sécurité matériellement et physiquement parlant », explique Sandra, « mais cela reste compliqué car les bâtiments ont été très abîmés, parfois il n’y pas d’eau, il y a encore des fuites à beaucoup d’endroits », soutient-elle. Ce décor saccagé accroît le sentiment de vulnérabilité des habitants de l’île. « Dans les cas les plus compliqués, on a eu des personnes qui étaient là sans être là, des patients parlaient tout seul, qui erraient sur la voie publique, c’est ce qu’on nomme la dissociation traumatique », explique le Dr. Briard.

Derrière la rentrée scolaire, des enjeux autour du bilan humain, matériel et psychologique

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Chido a fait voler en éclats un système global déjà fragile avant le cyclone

À mesure que le temps avance, les équipes médico-psychologiques du CHM s’inquiètent du prochain départ de la CUMP et de la rentrée scolaire. « Beaucoup d’associations veulent revenir, mais on sera en première ligne », soutient la pédopsychiatre. À moyen terme, les soignants devraient plaider pour la création d’un centre de référence sur le psycho-traumatisme « pour prendre en charge cette crise et toutes les autres car on n’est pas au bout de nos peines car avant Chido, de nombreux patients ont vécu des traumatismes très lourds, comme des agressions », estime le Dr. Briard. « Il y a l’urgence mais il y a aussi la dépression, les stress chroniques qui vont éclater d’ici trois, quatre ou cinq mois, on ne sait pas quand et de quelle force sera cette future vague de patients qui vont arrivés avec des besoins de soins psychologiques ou psychiatriques », ajoute-t-elle. Dans un bilan transmis le 3 janvier 2025, Santé publique France-Mayotte rapportait que sur une soixantaine de foyers investigués, la moitié signalait qu’une personne au moins était atteinte d’un trouble psychologique, dont près de 1 sur 5 avec au moins un enfant de moins de 15 ans. « Il va falloir répondre à cette situation, où près d’un tiers de la population de Mayotte serait psycho-traumatisée après le passage du cyclone », soutiennent les équipes médico-psychologiques du CHM.

La rédaction remercie l’ensemble des professionnels de santé hospitaliers comme libéraux qui se sont battus pour communiquer sur leur quotidien depuis le passage du cyclone.

Mathilde Hangard

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