Entre l’Etat et les collectivités, « Qui fait quoi ? »… il faut trancher

Entre les élus et les représentants de l’Etat, c’est parfois un jeu de « je t’aime-moi non plus », en fonction des intérêts de chacun. Pour stopper la valse et normaliser les relations, le Conseil économique et social s’est fendu d’un petit précis à usage des responsables de collectivités. Une sorte de T0 de récupération des compétences du conseil départemental, et des moyens qui vont avec. Pour que l’élu occupe le terrain en toute intelligence.

Le 31 mars 2011, Mayotte était transformée « en collectivité unique appelée département », ainsi que l’intitulait le référendum, un demi-département en l’occurrence. Puisque cette assemblée unique, le conseil départemental, était priée d’aller glaner ça et là des compétences régionales, dans un désordre des plus complet. Une situation sanctionnée par la Cour des comptes (CC) qui rend public, le 13 janvier 2016, un rapport thématique déplorant « une départementalisation rapide, mal préparée et mal pilotée ». Et livre une préconisation : « Face à l’urgence de répondre aux besoins d’infrastructures de base (eau, assainissement, habitat, constructions scolaires) et aux problèmes sociaux que connaît l’île (aide sociale à l’enfance, chômage, notamment), le Département et l’État doivent dresser des priorités claires et entreprendre sans délai la mise en œuvre des mesures appropriées. » On en est toujours là.

Un travail de fourmi que ce rapport

Car personne n’était préparé, ni à la préfecture, ni parmi les élus, à mener un tel travail que le législateur avait laissé vierge. Moyennant quoi, Mayotte a été obligée de prendre en route le train des décentralisations, qui avait commencé à rouler depuis 1982 dans le reste du pays, en s’avalant d’un coup des kilomètre d’actes I, II et III qui n’ont été que très partiellement déclinés ici.

Une forte hétérogénéité chez les élus faisait que certains commençaient à comprendre le chantier qui les attendait, quand les autres n’y voyaient que le moyen de s’enrichir. Ce fut l’heure de gloire des rapports de la Chambre régionale des Comptes. Faute de mise en place de fiscalité de droit commun, pourtant préalable indispensable à la départementalisation selon la CC, la situation financière du Département et des communes de Mayotte était dégradée. Les routes, de vrais gruyères, pièges à amortisseurs, les écoles pas entretenues, etc.

Une météo pas assez consultée

Cela fait à peine plus de dix ans, mais il est toujours aussi difficile d’y voir clair dans les compétences exercées par le conseil départemental, par les intercommunalités et par les communes. C’est pourquoi les élus du Conseil économique, social et environnemental de Mayotte (CESEM) ont tenté de répondre à cette question, « Qui fait quoi ? », en dressant un rapport détaillé des répartitions des compétences territoriales à Mayotte.

Ce n’est pas la première fois que cette assemblée produit une telle somme de travail, entre deux avis destinés à éclairer les décisions du conseil départemental, qui en fonction de l’angle politique, les suit ou pas. Celui sur « l’Ecole de la République, une exigence d’égalité », ou sur le Projet régional de santé, permet de donner des arguments aux élus pour défendre le territoire. « Nous sommes devenus la météo des évènements qui touchent Mayotte. Tout ce qu’on a prédit se passe, comme sur le retard de la fiscalité de droit commun, mais personne ne se l’approprie ! », relevait ce jeudi dans l’hémicycle Younoussa Bamana, Haoussi Boinahedja, poil à gratter du conseil départemental pour en être le président de l’intersyndicale. C’est le rapporteur de « Qui fait quoi ? », tout frais sorti de la commission Affaires générales financières et internationales, présidée par Saoudat Abdou.

Saoudat Abdou : « Nous avons commencé à nous interroger à partir de la mauvaise consommation du contrat de convergence »

Le point de départ, c’est l’enveloppe de 1,6 milliard d’euros du Contrat de convergence, « dont on nous dit qu’il ne sont pas consommés. Les auditions nous ont amenés à un constat, soit les compétences n’ont pas été décentralisées dans les collectivités, soit elles étaient partagées avec l’Etat, mais personne ne coordonnait. Tout le monde attend que l’autre fasse », observe Saoudat Abdou. Amenant des positions partiales se faire jour dans l’assemblée, « l’Etat fait trop », « l’Etat ne fait pas assez », avec un nœud du problème synthétisé par Abdou Dahalani, président du CESEM, « depuis la décentralisation, il n’y a pas eu de texte qui donne un calendrier précis sur les transferts de compétences, et qui indique où on en est. Or, c’est une question d’exercice effectif de la responsabilité. »

« Je me suis résolue à me former sur le tas »

Et le yoyo du RSA n’est pas pour clarifier l’affaire, souligne Haoussi Boinahedja, puisque le 1er janvier 2019, l’Etat reprenait la gestion du Revenu de Solidarité Active à Mayotte et en Guyane, car trop lourde financièrement pour les collectivités : « On nous a donné cette compétence, puis reprise en fixant un montant pas à notre avantage ».

Si le CNFPT a formé les techniciens et les cadres, rien d’évident pour les élus, et l’expérience de Fatima Souffou, 1ère Vice-présidente du conseil départemental sous Soibahadine Ibrahim Ramadani est éloquente : « Quand j’ai été élue, c’était convivial, on s’est retrouvé entre élus. Mais petit à petit, j’ai essayé de remplir ma mission, et j’ai vu que les textes ne me permettaient pas de savoir où s’arrêtent les responsabilités des uns et des autres, pour nous, comme pour les techniciens. Du coup, j’ai commencé à être en conflit avec d’autres élus, avec des partenaires comme la CADEMA, avec la préfecture. J’ai donc décidé de partir en formation, mais étant donné que nous n’avons pas la même législation qu’en métropole, je me suis finalement résolue à me former sur le tas. Mais ce sont rapports de force permanents. » Membre du CESEM, elle félicitait ses collègues pour la production de ce rapport sur la répartition et l’exercice des compétences territoriales à Mayotte, « chacun doit être à sa place, ce qui limitera les conflits. »

Pour Nabilou Ali Bacar et Haoussi Boinahedja, cet état des lieux va permettre une meilleure analyse de l’action

L’Etat a horreur du vide

Un état des lieux qui découle sur 8 propositions et 40 recommandations, comme « Impliquer l’ensemble des acteurs du territoire dans la planification locale », ou « Organiser les services du conseil départemental et un budget propre à assurer une répartition claire des compétences régionales et départementales avec une ingénierie propre », ou encore, « Adopter une démarche proactive dans le processus de transferts des compétences départementales et régionales pour anticiper et planifier la prise de compétences non encore exercées par le conseil départemental », etc. On pense notamment aux constructions et entretiens des collèges et des lycées, exercées par l’Etat alors que c’est la collectivité territoriale qui en est responsable dans les autres départements, idem pour les routes, idem pour les fonds européens.

Car si l’Etat a souvent mal géré, et ce dernier point a été flagrant, c’est aussi parce qu’il a investi un champ où la compétence n’était pas ou mal déclinée. Quand y a-t-il ingérence et quand l’Etat agit-il pour pallier les déficiences ? Une question induite par le flou des textes précisément et la méconnaissance des élus sur leur rôle. « La nature a horreur du vide », métaphorisait le président du CESEM, lorsqu’une compétence est mal ou pas exercée, l’Etat le fait ». Il citait en exemple la gestion de l’eau potable, « l’Etat a été obligé de reprendre la main quand ceux qui en ont la compétence ne l’exerce pas correctement. Quand on a un problème quelconque, on se réfugie derrière le sirkali (l’argent public, ndlr). Sur les déchets, un maire ne peut pas dire, ‘c’est pas normal que ce soit mal géré’, car c’est lui qui a décidé d’en déléguer la gestion au SIDEVAM. »

Derrière Bacar Achiraf et Mouhoutar Salim, des membres du GIP l’Europe à Mayotte venus s’imprégner d’une question d’actualité

Au final, quand la fin de mandat se profile, « les concitoyens censés juger l’action de leur élu, sont perdus. Donc on juge par a priori », analyse Nabilou Ali Bacar, directeur du CESEM.

Pour un duo parfait avec le rapport, nous incitons encore une fois le conseil départemental à saisir la Commission consultative sur l’Evaluation des charges (CCEC) qui donnera une photographie à l’instant T de « qui fait quoi », et des financements qui vont avec.

A savoir, le CESEM est désormais sur le net.

Anne Perzo-Lafond

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