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jeudi 25 avril 2024
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Tribune – « Les Mahorais veulent être français simplement mais complètement »

Au lendemain de l’abandon du projet de loi Mayotte, l’écrivain Mouhoutar Salim rappelle les enjeux de Mayotte française. La liberté et l’égalité déboucheront sur la fraternité, pourrions-nous résumer sa réflexion. Dans le marasme des informations quotidiennes, il nous offre une pause pour réorienter la politique menée.

Si on se réfère au chapitre « Mayotte française » du Ministère des Outre-Mer, Mayotte est française depuis fort longtemps. Comment expliquer un tel attachement et un tel engagement à rester française ?

Tout commence sous Louis-Philippe. « Le 25 avril 1841, le sultan ANDRIANTSOULI, d’origine malgache, cède l’île de Mayotte à la France, représentée par le Commandant PASSOT pour faire échapper l’île aux attaques venues de l’extérieur, notamment des Comores. Mayotte devient alors colonie française. L’esclavage y est aboli dès 1846. Sous le second empire, Mayotte se transforme en société de plantations, recourant à une main d’œuvre immigrée, les « travailleurs engagés ». De 1886 à 1892, la France établit un protectorat sur les trois autres îles des Comores, l’archipel est alors placé sous l’autorité du gouverneur de Mayotte.
Par la loi du 25 juillet 1912, l’ensemble comorien, dont Mayotte, devient une province de la colonie de « Madagascar et Dépendances ». »

Depuis 1958 au congrès des notables de Mayotte à Tsoundzou 1, les Mahorais ont toujours réaffirmé leur volonté de demeurer français et de garantir ce choix par le statut stable et fort de département d’outre-mer. Voici bientôt onze ans, le 31 mars 2011, que Mayotte devenait le 5ième département d’Outre-Mer français. Traduite en termes individuels, cette revendication collective des Mahorais, poursuivait un triple objectif : échapper au destin des Comores promises à l’indépendance, garantir leur avenir français et leurs libertés et promouvoir le développement de l’île dans la République française. Onze ans plus tard, il est évident que le compte concernant cette départementalisation de Mayotte, n’y est pas.

Ceintures de bidonvilles dans de nombreuses communes urbaines (Carte INSEE)

Déséquilibre géographique

S’agissant du premier objectif, celui-ci est atteint en 1974, date à laquelle, les Comores ont choisi de devenir indépendantes, tandis que Mayotte choisissait de rester française. Cependant, cette victoire n’est pas définitive. Car chaque année, des milliers d’immigrés clandestins, viennent généralement des Comores et plus spécifiquement d’Anjouan et dans une moindre mesure de Madagascar et de la région des grands lacs, à Mayotte, pour y conforter à contrario le choix des Mahorais. Par ailleurs, les risques de convulsions politiques (plusieurs coups d’état depuis l’indépendance), de restriction des libertés publiques, du sous-développement aux Comores n’ont jamais allégé ce fardeau de la société mahoraise.

Aujourd’hui, Mayotte est donc confrontée à une croissance démographique soutenue, qui s’effectue aux deux tiers par l’accroissement naturel, avec plus de 10 000 naissances en 2021, et par le solde migratoire, lui-même résultat d’une immigration massive et d’une émigration, importante des Mahorais, ou Mahoraises, à la recherche d’un emploi, de conditions de vie meilleures, ou aussi de prestations familiales ou sociales à la Réunion ou en métropole.

Mayotte avec ses faibles ressources et son exigüité, ne pourra pas supporter un tel accroissement de population. L’autosuffisance qui domine encore en milieu rural ne pourra plus répondre aux besoins des habitants. L’urbanisation massive qui se traduit par un déséquilibre géographique de plus en plus net au détriment du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, est accompagnée par le développement de ceintures de bidonvilles dans des nombreuses communes urbaines, l’insuffisance des conditions de salubrité publique, l’émergence des phénomènes de délinquance et l’évidence d’une violence juvénile à Mayotte.

En conséquence, la crainte manifestée par les Mahorais et notamment par leur député Mansour Kamardine devant un « remplacement démographique », en constatant les Comoriens devenir progressivement majoritaires sur l’île et la création progressive des conditions de mise en place d’une communauté de destin entre Mayotte et les Comores planent toujours sur le territoire de Mayotte.

La maitrise de la natalité est donc un impératif, et les pouvoirs publics doivent jouer un rôle moteur en la matière pour poursuivre et amplifier fortement ce qui a déjà été réalisé avec les deux précédentes campagnes de maîtrise démographique intitulé : « Bass Kandre Karamba » pour l’espacement de naissance en 1985 et celle de « 1, 2,3 Bass » en 1994 pour la limitation des naissances. Ces campagnes ont porté leurs fruits dans la population locale. Aujourd’hui, il convient de les reprendre à l’endroit des étrangers dont le taux de fécondité est deux fois plus élevé (6 enfants par femme en 2017) que les femmes nées à Mayotte (3,5 enfants par femme). Cette réduction très forte de la fécondité, indispensable vu la masse de moins de 20 ans doit aller de pair avec la lutte contre l’immigration clandestine.

« On peut être différent tout en étant égal »

Les collectifs avaient manifesté en septembre 2018 devant le service des étrangers de la préfecture

Comme le scandaient les Mahorais en 1974, « Nous voulons être français pour être libre », le second objectif, qui est celui de la protection des libertés par l’appartenance à la France, n’est donc pas non plus définitivement atteint. La volonté mahoraise dans cet objectif, se justifie tout simplement parce que les Mahorais croient profondément aux valeurs de liberté, de l’égalité et de la fraternité, et que par ailleurs, leur histoire récente comme ancienne leur a appris qu’ils avaient tout à redouter des autres statuts et notamment de l’autonomie interne et de l’indépendance et des autorités comoriennes, qui ont utilisé entre 1958 et 1975, tous les moyens juridiques et financiers de l’autonomie interne pour équiper leurs îles au détriment de Mayotte abandonnée .

En 2018 par exemple, l’instrumentalisation de Mayotte par les autorités comoriennes à des fins de politique intérieure a généré une crise diplomatique conduisant au blocage de la reconduite aux Comores des étrangers en situation illégale entre le 21 mars au 6 novembre 2018. En effet, le gouvernement comorien avait décidé de ne plus réadmettre ses propres ressortissants expulsés de Mayotte au sein de l’Union des Comores. Cette situation a provoqué un des plus importants différends diplomatiques entre la France et les Comores.

Cette décision avait provoqué la colère d’une partie de la population et avait motivé le collectif des citoyens de Mayotte à bloquer certains services publics dont celui des migrations et de l’intégration de la Préfecture. Contrairement à une analyse assez répandue dans les milieux de l’administration française et chez de nombreux métropolitains, cette revendication mahoraise de l’égalité sociale, si légitime qu’elle ait pu paraître, n’était absolument pas à l’origine du combat politique des Mahorais (voir supra). Cependant, dans la mesure où la république est indivisible, Mayotte, une partie de la France, revendique l’égalité sociale. C’est dans ce contexte, que les Mahorais souhaitent à travers ce statut de département parachever la décolonisation, en affirmant leur droit à la ressemblance par l’application des principes républicains en voulant être français tout simplement mais complètement, en faisant valoir aussi leurs droits à la différence. On peut être différent tout en étant égal.

En définitive, c’est le respect des différences (cultes, langues, cultures en somme le mode de vie) qui fonde l’égalité. Il est observé que de plus en plus des Mahorais refusent cette assignation de « sous-français » revendiquant l’extension sur le territoire de l’ensemble du droit commun. Cette égalité reste ainsi la condition sine qua non pour l’accès à la liberté et à la fraternité. Des inégalités accentuées aggravent le plus souvent la pauvreté et l’infériorité relatives, ce qui compromet tout simplement la liberté. Elle ne se réduit pas seulement à la liberté de choix, ou celle du consommateur, ou de l’électeur, mais cette liberté signifie aussi ne pas être soumis au pouvoir arbitraire des délinquants, des coupeurs de route, de la violence juvénile jusqu’à parfois à l’homicide qui progresse de façon alarmante. Ce contexte ambiant d’insécurité et la réalité de l’immigration clandestine qui apparaît comme organisée, fragilisent les équilibres sociaux et démographiques du territoire.

Cependant et surtout, il faut résister à l’analyse des autorités parisiennes qui proposent de lutter contre l’immigration en évitant de rendre Mayotte attractive pour son environnement. En clair, cela signifie qu’il faut freiner le progrès social à Mayotte et même diminuer les droits sociaux pour que les étrangers ne soient plus tentés d’y venir. Cette idée est scandaleuse, elle doit être abandonnée. Même progressive, l’application du droit commun permettrait aux différentes communautés de vivre en parfaite cordialité. Cette conformité à la loi dissuadera les clandestins de rentrer à Mayotte comme elle punira les auteurs des délits qui minent le développement de l’île.

La protection du lagon comme argument face au développement des infrastructures

Déception

Pour le développement économique et social, la poursuite du progrès à Mayotte a toujours été affichée comme une des priorités majeures dans des nombreux instruments du développement proposés par l’Etat ces dernières années : Accord du 27 janvier 2000, pacte pour la départementalisation, Mayotte 2025, Plan d’avenir pour Mayotte, Plan de convergence et Projet de loi programme pour Mayotte. Mais en pratique, rien dans les orientations définies dans ces instruments ne vient conforter cette intention d’autant plus que tous ces instruments – excepté le dernier « mort-né » projet de loi programme Mayotte -, ont été abandonnés en cours de route.

Ainsi, les grandes infrastructures de désenclavent aérien (piste longue), maritime (réhabilitation du quai n°1 de Longoni), conditionnant l’ouverture de ce port, comme base arrière du projet gazier du Mozambique, et terrestre (contournement du grand Mamoudzou), impatiemment attendues par les Mahorais tardent à voir le jour. Pour des raisons dit-on de protection du lagon, d’urbanisation et de nuisances, la piste longue promise par J. Chirac, lors de sa première visite à Mayotte, en octobre 1986, alors Premier Ministre, qui avait estimé qu’il ne fallait pas « mettre la charrue avant les bœufs » et qu’il fallait donc préférer le développement au statut, et réaffirmé par plusieurs gouvernements français est reportée sine die, le billet d’avion est toujours aussi cher. Il faut rappeler ici que la France n’a pas hésité à le réaliser à Moroni, comme un cadeau de divorce à la veille de l’indépendance, et pour un trafic dix fois inférieur à celui de l’aéroport de Dzaoudzi aujourd’hui.

Il faudra un véritable projet de développement économique, social et culturel remettant Mayotte sur les voies de la prospérité mais aussi de l’égalité sociale et de la responsabilité locale. Le développement de Mayotte doit davantage associer la population locale au devenir de leur île. Les Mahorais, et en particulier les jeunes, souhaitent obtenir les moyens de travailler et de créer de la valeur ajoutée. Ils ne veulent pas installer Mayotte dans un assistanat sans gloire et en réalité dangereux. Dans ce cadre, il y faudra une attention accrue aux préoccupations de la population mahoraise et de ses élus. Malgré les 1600 participants et les 16 débats authentiquement démocratiques, menés par le Préfet Colombet, en 2021, les orientations annoncées finalement par le projet de loi Mayotte ne confortent pas cette intention. Plutôt que régler les problèmes économiques et sociaux urgents, il est plus facile là encore d’agresser la société mahoraise (délinquance, violence, assainissement insuffisant, collecte et traitement des déchets insuffisant, surpeuplement et habitat insalubre, crise de l’eau), que d’apporter aux Mahorais, la sécurité, l’alignement des droits sociaux, la formation et l’emploi pour les rendre maîtres de leur destin.

Salim MOUHOUTAR
Auteur-Conférencier

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