Le vaste océan Indien, troisième plus grand du monde, qui lèche les côtes est-africaines, borde l’Inde pour toucher l’Australie, est devenue un nouvel enjeu stratégique. « Pour la Chine, il est crucial d’être présent dans l’océan Indien », titrait l’Institut de relations internationales et stratégiques, IRIS, en septembre 2021, rapportant des propos recueillis par l’Observatoire Français des Nouvelles routes de la soie. L’article développe l’antagonisme entre l’Inde, puissance installée sur cet océan, et l’Empire du milieu.
Le trafic maritime est bien entendu visé puisque cet océan concentre un tiers du commerce international, notamment pour la France « près de 40 % des importations hors Union européenne – essentiellement pétrolières – et 34 % de ses exportations hors-Union européenne transitent par l’Océan Indien ».
L’IRIS rappelle la prédiction du stratège naval américain Alfred Thayer Mahan (1840-1914) : « Celui qui contrôle l’Océan Indien contrôle l’Asie. L’Océan Indien est la voie de passage pour les sept mers du monde. La destinée du monde au XXIème siècle sera déterminée par l’Océan Indien ».
La Chine est soupçonnée de mener sa stratégie dite du « collier de perles », c’est à dire d’essaimer des points de présence sur le littoral de l’océan Indien pour ensuite les relier en s’étendant vers le Pacifique, et faire de la zone Indo-Pacifique une « ‘Mare Nostrum’ chinoise », tel que le titrait Atlantico ce mois-ci, symbolisant une zone stratégique d’influence, comme jadis les Romains en mer Méditerranée. En réaction, les Etats-Unis soupçonnent la Chine de vouloir s’implanter militairement dans la région, à l’image de ce qu’elle a fait à Djibouti.

On se serre les coudes
C’est ainsi que, même si depuis plus de 30 ans, la Chine débute chaque nouvelle année (la fin de l’année pour elle) par une visite officielle sur le continent africain en janvier, le passage du ministre des Affaires étrangères ce 6 janvier 2022 dans la zone, notamment aux Comores où il a été reçu pendant deux jours par le président Azali, a été regardé sous un autre jour… Il a notamment promis dix milliards de dollars d’investissements des entreprises chinoises en Afrique, et un milliard de doses de vaccins contre le Covid-19, dont une partie aux Comores.
Face à ce qui est perçu à tort ou à raison comme une menace, des alliances se renforcent. C’est le cas des pays du QUAD (Dialogue quadrilatéral pour la sécurité), coopération informelle entres le Etats-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde développée à partir des années 2000.
Le renforcement de la coopération entre les pays membres de la Commission de l’océan Indien (COI, France, Union des Comores, Madagascar, Maurice et Seychelles), prôné par Jean-Yves Le Drian dans un de ses projets de loi présentés en conseil des ministres mercredi dernier ne tombe donc pas comme un cheveu sur la soupe chinoise. Nous en avions rapporté le contenu, il s’agit de renforcer la coopération régionale « face à de nouveaux enjeux », il est notamment fait mention du plan de riposte de lutte contre le Covid-19 au cours duquel des équipements médicaux ont été acheminés à l’île Maurice, aux Seychelles, aux Comores et à Madagascar, « grâce au soutien de l’Agence française de développement (AFD) ».

Des flottes en exercice
Parallèlement à ces renforcements d’alliances, on assiste à une militarisation de la zone. En 2021, l’Union Européenne avait annoncé déployer une stratégie spécifique à l’Indopacifique, avec une montée en puissance des flottes militaires, notamment en réaction à la montée des tensions entre la Chine et les Etats Unis. La ministre des Armées Florence Parly a annoncé début janvier que la France « soutient la mise en œuvre de la présence maritime coordonnée au nord-ouest de l’océan Indien dès cette année ».
On apprenait d’ailleurs que le 21 janvier dernier, l’Iran, la Russie et la Chine ont débuté des exercices navals conjoints dans l’océan Indien, « visant notamment à renforcer la ‘sécurité commune’ », indiquait RFI qui précisait qu’il s’agissait des manœuvres les plus importantes jamais organisées jusqu’à présent ».
De visites dans les pays de la zone en mouvements de troupes… notre ministre des Affaires étrangères réagissait en ravivant le système d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental et de l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental, adopté en 2018 à Nairobi, en créant deux centres régionaux : le Centre régional de fusion de l’information maritime (CRFIM) et le Centre régional de coordination des opérations (CRCO). « Le secrétariat général de la Commission de l’océan Indien (COI) joue un rôle clé dans l’opérationnalisation de ces accords et dans le renforcement de l’architecture régionale de sûreté et de sécurité maritimes », conclut le second projet de loi déposé en conseil des ministres.
Un ballet qui se danse au-dessus des gigantesques réserves de gaz offshore du Mozambique, en présence des géants Total, Exxon mobile ou ENI.
Et si de nombreux pays africains, dont les Comores voient d’un bon œil les investissements chinois, la stratégie incitent les grandes puissances à renforcer leur présence sur la zone.
Anne Perzo-Lafond