Françoise Toillon remplace Albert Cantinol en qualité d’avocat général 

L’actuel avocat général près la Chambre d'Appel de Mamoudzou, Albert Cantinol, quitte prochainement ses fonctions, laissant sa place à l’actuelle procureure de la République adjointe près le tribunal judiciaire de Metz, Françoise Toillon. En vue de sa prise de poste au mois de janvier 2025, la magistrate nous a accordé une interview.

Nous l’avions annoncé le 30 octobre dernier. Après trois ans de chroniques judiciaires particulièrement sanglantes, l’avocat général Albert Cantinol quitte ses fonctions pour rejoindre son île natale martiniquaise, laissant derrière lui,  une fonction sensible, celle de représenter les intérêts d’une société mahoraise, affaiblie par la violence. 

Après plusieurs années en qualité de juge des enfants, puis de magistrate en charge de la criminalité organisée au parquet de Strasbourg, Françoise Toillon devient vice-procureure générale à la cour d’appel de Colmar, avant de prendre  la responsabilité du parquet en charge de la famille à Strasbourg, et de devenir procureure de la République adjointe près le tribunal judiciaire de Metz. Prochaine marche, Mayotte. 

« C’était Cayenne ou Mamoudzou. J’ai choisi Mayotte »

Le flambeau n’était pas si aisé à passer. Il est surtout le fruit d’un heureux hasard. Grâce au dispositif expérimental pensé par l’ancien Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, pour renforcer les juridictions ultra-marines, Françoise Toillon intègre une des brigades de magistrats pour renforcer le tribunal judiciaire de Mamoudzou de mars à août 2024. « C’était Cayenne ou Mamoudzou. J’ai choisi Mayotte », déclare-t-elle, encore émue du chemin mené jusqu’ici. 

« J’aime porter la voix de la société »

Magistrate depuis 2003, Françoise Toillon fait dès ses débuts le choix du parquet. « Mon premier poste a été au parquet de St Omer, qui a toujours été mon choix premier. J’aime porter la voix de la société. On parle souvent d’accusation mais le procureur peut être aussi celui qui requiert un non-lieu ou une relaxe, il y a un enjeu juridique, avec des éléments humains plus importants. » À propos des assises, elle confie : « Paradoxalement, elles ne m’ont jamais effrayées. Dès mes débuts, j’ai trouvé que c’était une justice intéressante. On juge les affaires les plus graves. Il y a beaucoup de choses qui peuvent se jouer, des surprises, des revirements. Pour moi, ce sont les plus beaux procès qui existent dans le domaine de la justice. Dans le cadre de la brigade à Mamoudzou, j’ai eu l’occasion d’aller aux assises, j’ai adoré. Quand j’ai su que ce poste d’avocat général était susceptible de se libérer, j’ai candidaté. » Lorsqu’on l’interroge sur son futur poste à la chambre d’appel de Mamoudzou, la magistrate explique : « L’avocat général c’est l’avocat de la société. Il fait valoir des arguments pour demander une condamnation au nom de la société qu’il représente. Par exemple, en cour d’assises, il demandera une peine qu’il estime être la plus juste en réparation du dommage causé à la société par la commission de l’infraction et pour sanctionner celui qu’il fait condamner, afin de protéger la société des risques de récidive. » 

« Ne pas tomber dans une interprétation moraliste ou outre-subjective » 

Il n’est pourtant pas si évident de défendre un ensemble de personnes hétéroclites, une cohorte à plusieurs visages. À ce propos, Françoise Toillon pondère son discours. Elle expose une des subtilités de la fonction consistant « à faire la part des choses », entre l’image d’une société que l’on souhaiterait idéale et le cadre imposé par la loi. « Cela se fait grâce à des axes, le droit et la loi, qui interviennent comme une colonne vertébrale. Oui, les magistrats du parquet ont une intime conviction mais il ne faut pas tomber dans une interprétation moraliste ou outre-subjective. Le cadre c’est la loi et la jurisprudence, et après on fait des choix. »

À Mayotte et à Metz, « c’est différent et c’est pareil »  

Des mois de mars à août 2024, Françoise Toillon a été immergée dans le bain judiciaire de Mayotte, au sein d’un tribunal finalement semblable à tout autre, mais sur un territoire on ne peut plus singulier. Entre le tribunal judiciaire de Metz et tribunal judiciaire de Mamoudzou, « c’est différent et c’est pareil, c’est cela qui est rassurant d’une part », déclare-t-elle en plaisantant. Néanmoins, pendant six mois, elle confie avoir été « choquée » de l’application de certaines dispositions spécifiques du code de procédure pénale à Mayotte. La magistrate mentionne des particularités probantes, comme le fait que la cour d’assises se compose de trois jurés, au lieu des six habituels dans d’autres cours du pays. Ces trois jurés sont d’ailleurs tirés au sort sur une « short-list », reprise à chaque session d’assises, où in fine, les mêmes jurés siègent cycliquement.

La politique pénale varie mais le droit reste identique 

Si chaque territoire a ses propres caractéristiques, les justiciables ont aussi des requêtes sensiblement différentes. « En fonction du lieu où il se trouve, on peut dire que le citoyen n’attend pas la même chose parfois de la justice et la justice va être plus ou moins modulable, selon la criminalité qui existe et les moyens dont elle dispose. Par exemple, un kilo de cocaïne, à Cayenne ou à Aurillac, ne sera pas analysé de la même façon. La politique pénale est différente mais le droit pénal appliqué est identique. » Et si Françoise Toillon estime que la justice mahoraise « tient bond » malgré l’importance de la délinquance sur l’île, à Mayotte, comme au sein de certains tribunaux de métropole, la pratique de la « correctionnalisation ab initio » serait monnaie courante : « Si on devait renvoyer toute procédure qui commence de manière criminelle devant la cour d’assises, on ne pourrait pas, on n’aurait pas assez de juges d’instruction, pas assez d’une cour d’assises. Cette pratique ne se pratique pas qu’à Mayotte, bien sûr. On ne peut pas tout renvoyer devant la cour d’assises. On ne traite que le haut du spectre. »

« Juger c’est comprendre »

Frappée par l’extrême jeunesse de la population mahoraise, elle estime que le centre éducatif renforcé de l’île n’est pas suffisant et qu’un centre de redressement pour mineurs délinquants, encadré par des militaires, porté par l’ancien ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, « serait une bonne chose ». À ce sujet, elle considère que « cela manque à Mayotte. Cela fonctionne bien en hexagone. Ce centre n’est pas une prison, c’est un centre éducatif, semi-fermé, il n’a de fermé que le nom » et nuance « même si la question de l’après se pose toujours, si le séjour a été positif pour un jeune et qu’on le replace dans son environnement initial, les risques de récidive sont démultipliés. » D’autre part, elle constate que le nombre de plaintes à Mayotte est nettement inférieur à celui d’une autre juridiction, en dépit de l’importance de la délinquance et de la criminalité. « Il y a une partie immergée de la délinquance en matière de moeurs et de violences conjugales. Le taux de crimes de sang est nettement plus important à Mayotte qu’ailleurs en France. Les meurtres, les assassinats, les viols et les vols avec arme sont monnaie courante à Mayotte. Dans d’autres juridictions de l’hexagone, on a beaucoup plus de plaintes pour viols, mais moins de vols avec arme et de crimes de sang, du moins c’est la réalité telle que je l’ai perçue », admet-elle, avec retenue. « Quand on est magistrat, il faut intégrer que la vie et la mort n’ont pas toujours la même valeur d’un territoire à un autre. Il faut faire respecter la loi de la République bien sûr, tout en intégrant l’ensemble de ces paramètres dans la compréhension des faits, car juger c’est comprendre. On ne peut pas faire l’économie de ces aspects sociologiques et culturels. Cela n’excuse pas mais cela permet de comprendre. »

Carton plein pour la brigade mahoraise

Après avoir passé six mois au sein de cette brigade pour renforcer le tribunal judiciaire de Mamoudzou, Françoise Toillon n’en revient toujours pas. « J’ignorais tout de Mayotte, je devais venir en renfort pour six mois et finalement j’ai été séduite par ce territoire. Cela m’a conforté dans mon choix. Ce poste d’avocat général est un avancement professionnel. C’est un plaisir de revenir, mais en connaissance de cause », insiste-t-elle. « Je sais que ce sera un poste chargé, j’espère être à la hauteur de la tâche, mais ce ne sera pas une déconvenue. » Sur les trois brigadistes venus en renfort à Mayotte, trois ont accepté leur mutation sur le territoire mahorais. Ludovic Duprey est vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention et Axelle de la Fourcade exerce comme vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants. « Pour la direction des services judiciaires, c’est carton plein ! », s’exclame Françoise Toillon.

À Mayotte, comme ailleurs parfois, la vida no vale nada pero nada vale la vida*. C’est sur ce tandem bouillonnant que la magistrate oscillera à la nouvelle année.

* Traduction de l’espagnol : La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie. 

Mathilde Hangard

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