La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, a organisé plusieurs missions du 2 au 13 octobre 2023, à Mayotte. Comme son nom l’indique, le CGLPL est chargé de contrôler le respect des droits fondamentaux des personnes que l’autorité publique a décidé d’isoler. Plusieurs établissements ont été visités : le centre pénitentiaire de Majicavo, le centre hospitalier de Mamoudzou, le centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi, les locaux de rétention administrative de Petite-Terre et le commissariat de Mamoudzou. Dans l’ensemble des lieux visités, les contrôleurs rapportent des conditions d’enfermement et de prise en charge « gravement attentatoires aux droits fondamentaux et à la dignité des personnes enfermées ».
Commençons par le rapport sur le Centre pénitentiaire de Majicavo. Étant donné l’actualité récente, on s’attend évidemment à ce que le rapport enfonce des portes ouvertes, sans verser dans l’humour facile en ce qui concerne la prison. Il va au-delà en critiquant le comportement du personnel. Cinq contrôleurs ont donc effectué une visite inopinée du centre pénitentiaire de Majicavo du 2 au 6 octobre 2023. Il s’agissait d’une 2ème visite, après celle de 2016, alors que le nouveau bâtiment avait été livré, mais déjà rempli. Pour une capacité de 278 places, « en 2023, le pic de 620 détenus a été atteint, dont 245 – soit plus d’un tiers – dormaient sur un matelas au sol », mentionne le rapport.
Qui pointe 23% d’absentéisme parmi le personnel, et dénonce comme « notoirement insuffisants », « la compétence comme l’investissement de certains membres de l’encadrement intermédiaire », ce qui « entraînent des postures professionnelles inadaptées, empreintes de xénophobie tant vis-à-vis des détenus, dont 64 % sont étrangers, qu’au sein même du personnel de surveillance et vis-à-vis de l’encadrement non mahorais ». Rappelons que le directeur a jeté l’éponge en octobre dernier, officiellement pour manque de moyens.
Des déficiences multiples… dont la justice
Les conséquences de la promiscuité, « 35% dorment par terre » sont multiples, égrainent les contrôleurs : pas d’espace pour se mouvoir, accès aux soins et aux activités ralentis, et le tout aggravé par les coupures d’eau. Les services qui devraient s’y dérouler font défaut : l’accès aux soins somatiques est aléatoire, les possibilités de consultations psychiatriques pratiquement nulles, le point justice dysfonctionne, pas d’intervention des avocats, absence de permanences du délégué de la Défenseure des droits et d’une association spécialisée en droit des étrangers. « Les contrôleurs ont reçu un nombre incalculable de témoignages de détenus disant qu’ils n’ont jamais aucune réponse à leur requêtes, y compris lorsqu’ils sonnent aux interphones la nuit pour signaler des problèmes de santé graves ou des violences. Ils en conçoivent un sentiment d’amertume et d’abandon insuffisamment perçu par les autorités. »
Un contexte décrit dans un rapport provisoire que la CGLPL dit avoir remis le 11 juin 2024, aux autorités, « au chef d’établissement, au directeur du centre hospitalier de Mayotte, aux chefs de la juridiction judiciaire, au préfet de Mayotte, au directeur général de l’Agence régionale de santé du département et au bâtonnier de l’ordre des avocats de Mayotte pour une période d’échange contradictoire d’un mois ». Sans réponse en retour. Une situation en effet connu de tous, qui n’a qu’un seul remède, la construction d’un 2ème centre pénitentiaire, promis par Eric Dupond-Moretti, mais dont le foncier n’est pas encore finalisé.
La psychiatrie sous dotée
Deuxième établissement visité de manière « inopinée » du 2 au 5 octobre 2023, le CHM, plus particulièrement l’unité de psychiatrie, le service des urgences ainsi que les trois chambres dites carcérales situées dans les services d’hospitalisation du CHM. La psychiatrie reste on le sait, l’un des parents pauvres d’un hôpital lui-même démuni. L’unité compte toujours 10 lits d’hospitalisation, les mineurs de 16 ans sont hospitalisés en secteur adulte « ce qui est à proscrire » et les plus jeunes sont envoyés sur l’Ile de la Réunion, voire dans l’hexagone « ce qui porte atteinte à leur vie privée et familiale ». Au moment du contrôle, le budget alloué à la psychiatrie ne représentait qu’une douzaine de millions sur les 340 millions de budget global du CHM.
Là aussi, les conditions de séjour sont anormales. « Des personnes attendent au service des urgences du CHM dans des conditions indignes qu’un lit se libère en psychiatrie » en étant soit « enfermées dans l’une des deux chambres d’isolement » soit, « contenues sur un brancard dans un couloir pendant parfois 72 heures, sans accès permanent et spontané à un point d’eau ni à des toilettes ». En regardant dans les autres services, les contrôleurs auraient vu que l’attente en brancard dans les couloirs est le lot de l’ensemble des malades au CHM.
Si la CGLPL n’annonce aucune solution, rappelons que, à l’image de la prison mais dans un projet plus avancé, un 2ème établissement hospitalier est annoncé à Combani, où 56 lits de psychiatrie sont annoncés.
64% des placements nationaux en CRA
Enfin, une équipe de sept contrôleurs a visité toujours de manière inopinée, du 9 au 13 octobre 2023, le centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi (140 places), les deux locaux de rétention administrative (LRA) à Pamandzi (les LRA STPAF et Zone 7), le centre d’évaluation sanitaire initiale (CESI) implanté au sein de l’ancien hôpital de Dzaoudzi ainsi que le LRA attenant dit « le LRA CESI ». Deux visites de nuit, l’une au CRA, l’autre au CESI, ont été effectuées le 12 octobre 2023.
Là, ça cingle encore : « Les contrôleurs ont relevé une forte dégradation des conditions de privation de liberté et de prise en charge des personnes retenues depuis la visite de 2016 alors que les constats étaient déjà alarmants ». Les constats sont les mêmes que pour la Défenseure des droits : Les mesures d’éloignement se font « sans vérification de la situation personnelle des intéressés », et le rattachement arbitraire d’enfants à des adultes non apparentés pour les raccompagner aux Comores se poursuit. Pourtant, cette pratique avait fait l’objet d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 25 juin 20202.
En 2022, presque 29.000 personnes dont 3.317 enfants, ont intégré le CRA ou un LRA, soit 64 % des placements en rétention sur le territoire français et 97,25 % s’agissant des mineurs. La durée moyenne de séjour était de 1,31 jour en CRA et de moins de 24h en LRA.
Si la CGLPL se dit consciente que « Mayotte cumule des difficultés démographiques, économiques et sociales », son analyse ne vise que le système dérogatoire à l’accès à la nationalité française, jugeant qu’ « il porte en germe des risques d’atteintes aux droits fondamentaux », sans chercher à émettre un comparatif avec les autres infrastructures, comme les systèmes scolaire, universitaire, hospitalier, qui sont pourtant également engorgés.
Et qui devrait l’inciter à pointer comme elle le fait « de graves atteintes aux droits à Mayotte », mais pour évoquer aussi le seul département où les titres de séjour sont territorialisés, ne permettant pas de quitter le territoire, dans un contexte migratoire obligeant à prendre en charge l’ensemble des Comores sur 374 km2. Les infrastructures sont dès lors sous-dimensionnées, expliquant le constat qu’ont dressé ses contrôleurs.
Dominique Simonnot a adressé ses observations au ministre de la Justice et au Premier ministre dans un courrier où elle demande de garantir à Mayotte « une action publique respectueuse du droit interne et des engagements internationaux de la France. »
Anne Perzo-Lafond