« Quand l’eau arrive, elle est tellement sale qu’on ne peut pas la boire, je ne pourrais donner cette eau à aucun être humain », témoigne Racha Mousdikoudine, présidente du collectif « Mayotte à soif », à Paris le jeudi 3 avril, lors de la présentation de l’action en justice portée contre l’Etat français, pour son manque d’adaptation au dérèglement climatique, lancée officiellement ce mardi 8 avril.

Un recours déposé par 14 sinistrés du changement climatique et de nombreuses associations, dont celles de l’Affaire du Siècle : Oxfam, Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), et Greenpeace, connues pour avoir fait condamner la France à réparer les conséquences de son inaction climatique en 2021. Une action d’ampleur et inédite puisque ce sont directement des citoyens qui assignent l’État en justice, une première dans l’Union Européenne.
Une protection insuffisante de l’État
Maisons fissurées à cause du retrait-gonflement des argiles, problèmes d’accès à l’eau, canicule, inondations, pertes agricoles…, tous les acteurs du recours, qui représentent de mettent en avant de nombreuses problématiques rencontrées en France, estiment que l’État ne les protège pas suffisamment contre ces risques climatiques, et souhaitent l’obliger à agir en conséquence.

« Devoir dire à mes enfants qu’il n’y aura pas de petit déjeuner car il n’y a pas d’eau, qu’ils ne pourront pas se laver, qu’ils devront mettre les mêmes vêtements que la veille, c’est ça vivre à Mayotte aujourd’hui. Je parle au nom de toute la population de Mayotte qui est assoiffée par la pénurie d’eau », ajoute Racha Mousdikoudine, devant les journalistes, les représentants des associations, et les avocats.
« En 2023 j’ai rejoint le collectif Mayotte à soif, et nous avons saisi la justice mais celle-ci ne nous a pas écouté et on n’a pas eu les réponses que nous attendions d’un pays aussi grand que la France, c’est pour cela que j’ai rejoint le collectif de sinistrés pour gagner contre l’État », poursuit la directrice du collectif, qui avait déposé des recours pour déclencher le plan ORSEC « eau potable » et un « plan complet d’urgence sanitaire et d’accès à l’eau », qui ont été déboutés en décembre 2023.
Mettre fin aux inégalités de Mayotte et des Outre-Mer avec l’Hexagone
« La justice française n’est pas assez courageuse pour dire une bonne fois pour toute stop aux inégalités qu’on peut avoir entre un citoyen français dans l’hexagone et un citoyen français à Mayotte », lance Racha Mousdikoudine. « Dans l’hexagone, si un fournisseur d’eau fournit de l’eau sale, vous n’avez pas à payer de factures. À Mayotte on reçoit des factures de 300 euros avec des robinets vides et de l’eau sale. On attend avec ce recours que les inégalités entre l’Hexagone et les Outre-Mer soient enfin levées une bonne fois pour toute ».
Au-delà de la problématique de l’eau, la demande des sinistrés et des associations comporte plus de 161 pages détaillant les obligations de l’Etat et les insuffisances des politiques d’adaptation. Des demandes spéciales dédiées aux Outre-Mer agrémentent le rapport. Elles fustigent un Plan National d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) qui ne prend pas en compte les spécificités de ces territoires ultramarins. Autant de manquements, que les sinistrés et les associations espèrent dénoncer dans ce recours.

« Le fait que le PNACC-3 ne cible pas assez les territoires ultramarins est un vrai problème à la fois pour la disponibilité de la ressource en eau, mais aussi pour d’autres risques, comme les cyclones. Par exemple à Mayotte seulement un tiers du territoire était couvert par un document unique de prévention des risques cycloniques », relève à titre d’exemple Cléo Moreno, coordinatrice juridique de l’Affaire du Siècle.
Du côté du recours, celui-ci sera préalablement adressé à l’État, ce 8 avril. L’objectif est de réviser le 3ème Plan national d’adaptation au changement climatique et d’adopter tout un ensemble de mesures destinées à assurer, ou renforcer, l’adaptation de la France au changement climatique. Néanmoins, les sinistrés et les associations estiment que l’État ne va pas donner suite à cette demande et à l’expiration du délai légal de deux mois. Ils pourraient saisir le Conseil d’Etat. Affaire à suivre.
Victor Diwisch