Le Conseil constitutionnel a censuré partiellement ou totalement 32 articles de la loi Immigration qui en comportait 86, au motif qu’ils n’avaient pas de rapport avec la loi. Vous aviez permis en 2018 ce que nous avions qualifié d’ « une brèche dans le droit du sol », en conditionnant la nationalité d’un enfant à la présence régulière d’un parent dans les 3 mois avant sa naissance. Son élargissement à 12 mois introduit par un article de la loi Immigration, vient d’être retoqué. Quelle est votre analyse ?
Thani Mohamed Soilihi : C’était couru d’avance car il s’agissait d’ajouts au texte initial du gouvernement, qui avaient été présentés par la droite et l’extrême droite. Ces 32 articles étaient des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire décorrélés du texte initial. Il s’agit avant tout une sanction sur la forme, sur la procédure, rien n’empêche qu’une proposition de loi intègre ces propositions censurées et soit présentée au Parlement.
En ce qui concerne l’élargissement de la période de présence d’un des parents avant la naissance d’un enfant, je m’y suis toujours opposé sans qu’une étude d’impact ne soit menée. Car si on applique vraiment les dispositions existantes sur les 3 mois, c’est suffisant. Le message commence à passer, et beaucoup d’étrangers maudissent ces dispositions qui empêchent leurs enfants d’acquérir la nationalité et m’en veulent, me rapportent plusieurs élus. On peut donc avoir espoir, car en se fiant aux chiffres de l’INSEE qui disent que 45% des enfants sont nés de deux personnes en situation irrégulière, et en rajoutant 10% de reconnaissances frauduleuses de paternité, on va limiter l’acquisition de la nationalité française d’autant, et ça se sait déjà. C’est un vrai frein au flux migratoire.
Les services de l’Etat civil sont-ils mis à jour sur cette mention de situation régulière et continue d’un des parents ?
Thani Mohamed Soilihi : Si la déclaration de naissance est obligatoire pour tout enfant né en France, les parents qui ne mentionnent pas leur présence en situation régulière condamnent leur enfant à ne pas pouvoir obtenir plus tard la nationalité française.
laurent fabius cite l’amendement thani en exemple
Vous évoquez des « cavaliers législatifs » pour expliquer leur rejet partiel ou total par le Conseil constitutionnel. Mais ce procédé est très utilisé pour faire passer des amendements notamment, et ils n’ont pas été retoqués pour autant par le passé. C’est parce que le Conseil constitutionnel n’avait pas été saisi ?
Thani Mohamed Soilihi : Tout d’abord, en effet, il n’est pas toujours saisi, car quand c’est le cas, il a obligation d’étudier l’entièreté du texte. En ensuite, cette fois, c’était une véritable « cavalerie » car cela concernait 30% du texte. Lorsque j’avais déposé mes dispositions pour modifier l’accès à la nationalité en 2018, elles avaient été pointées comme cavalier législatif, mais elles étaient rédigées de telle façon qu’elles ont échappé à ça. Et l’intitulé de la loi était plus vaste.
D’ailleurs, c’est l’exemple de mon amendement de 2018 qu’a cité le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, invité ce vendredi dans l’émission « C à vous » pour s’expliquer sur les censures de l’institution (Extrait en cliquant ci-dessus). Il a indiqué qu’il n’avait pas été jugé comme étant un cavalier, en le justifiant, « le texte initial faisait référence au régime spécifique de Mayotte. Il y avait donc un lien, et nous l’avons examiné au fond ». Et il avait été retenu.
Pour qu’une nouvelle mesure soit rattachée au texte, il faut qu’elle soit proportionnée et adaptée, sinon elle est censurée. Le passage à 12 mois de présence d’un des parents est disproportionnée, mais encore une fois, seule une étude d’impact peut nous le dire.
On peut donc dire que le président Macron a fait passer le texte initial de sa loi Immigration grâce au Conseil constitutionnel ?…
Thani Mohamed Soilihi (rires) : Emmanuel Macron avait saisi le Conseil constitutionnel, comme plusieurs parlementaires. Mais sans majorité absolue à l’Assemblée nationale, le gouvernement est obligé d’entendre les revendications des autres groupes politiques, c’est la démocratie. La Commission Mixte Paritaire a été conclusive avec les éléments apportés par l’opposition. Quand j’entends les critiques contre le Conseil constitutionnel, les bras m’en tombent, les règles sont suivies par tous parce qu’écrites par les juges. Les opposants peuvent aussi déposer une Question Prioritaire de Constitutionnalité. Nous sommes dans un État de droit, l’unanimité est impossible à trouver.
Ici, des élus évoquent la loi Mayotte comme session de rattrapage sur les mesures de lutte contre l’immigration, mais le même problème va se poser…
Thani Mohamed Soilihi : Oui, je ferai la même réponse pour la restriction à la nationalité, il faut évaluer l’impact de l’existant. Les députés Mansour Kamardine et Estelle Youssouffa ont présenté des mesures sur la proposition de loi arrivée en 1ère lecture à l’Assemblée nationale après qu’elle soit passée au Sénat, je les ai votées en 2ème lecture chez nous, mais je soupçonnais déjà une censure du Conseil constitutionnel.
« La sécurité, c’est une obligation de résultats, pas une obligation de moyens »
Sur le contexte de Mayotte, et l’insécurité qui a provoqué la colère d’une partie de la population, quelle est votre position ?
Thani Mohamed Soilihi : La situation d’insécurité, générée en partie par le contexte migratoire, est devenue intenable à Mayotte, les gens sont désespérés, et je comprends qu’on en vienne à cette protestation. Nous avons alerté, mon collègue Saïd Omar Oili a interpellé le premier ministre lors des questions au gouvernement, la population, elle, se défend comme elle peut.
Sur un territoire où 77% de la population est pauvre, où il n’y a pas d’égalité des droits, et même pas assez d’eau pour ceux qui y vivent, comment peut-on penser qu’on peut accepter des nouveaux arrivants en masse ? C’est comme si on demandait à un enfant en train de grandir de faire les mêmes efforts qu’un adulte. Tant que nous n’aurons pas une réponse à la hauteur pour sécuriser le territoire, je soutiendrai la population.
Ce qui se dégage de l’ensemble des interventions de la classe politique, c’est l’incompréhension. Comment l’Etat n’arrive-t-il pas à protéger ses citoyens ?
Thani Mohamed Soilihi : Des exemples sont frappants, comme le criminel qui a tiré un coup de fusil et qui a été relâché sur le doute qu’il ait été l’auteur du coup. Mais rien que le fait de s’afficher en photo avec une arme prohibée devrait suffire ! Et parmi les demandeurs d’asile, un incident avait éclaté au cours duquel une lutte au couteau s’était engagée, l’un d’entre eux est un criminel dans son pays et vient chercher refuge ici. Dans les villages, les gens sont apeurés, la préoccupation majeure des salariés c’est de rentrer tôt chez soi pour éviter le pire. La situation n’est plus tenable. Beaucoup a été fait, notamment l’opération Wuambushu qui a pacifié l’île un moment, et l’intervention du RAID a été efficace, mais cela n’a duré qu’un moment. Or, la sécurité, c’est une obligation de résultat, pas une obligation de moyens, ce n’est pas négociable.
Des propos sans équivoque d’un sénateur habituellement plutôt modéré dans son expression. A chacun ses armes en quelque sorte. Les parlementaires continuent d’interpeller le gouvernement, et de relayer la colère de la rue qui, il faut l’espérer, atteindra les oreilles élyséennes ou matignonnaises.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond