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Violences scolaires : la FCPE demande une concertation interministérielle

La Fédération de parents d’élèves interpelle recteur, préfet et procureur sur la problématique de la scolarisation des jeunes délinquants. Dans la réalité, rien n’est aussi simple, et on retombe sur un modèle de société qui ne sait comment se sortir de la violence juvénile. Le recteur apporte son éclairage.

Comme c’est régulièrement le cas, les veilles et avant-veilles de vacances scolaires sont mouvementées à Mayotte, avec des déchainements de violence qui vont jusqu’à contraindre la fermeture des établissements scolaires. C’était la tentative d’intrusion le 12 octobre à la cité du Nord, idem au lycée de Sada, les violences dans et aux abords du lycée Bamana, etc. Sans parler du collège K1 où la principale a été molestée, cette fois des parents d’élèves sont suspectés. Partout, il semble que les faits de violences passent par vagues et par oubli. Après la nuit de violences à Sada la semaine dernière, on en a entendu beaucoup prendre la parole dans les médias pour s’étonner d’actes perpétrés « dans une commune habituellement si calme ». C’est oublier qu’en septembre 2019, un jeune a été tué à coups de pierres devant le lycée de la commune, c’est faire l’impasse de sa tentative d’intrusion par une vingtaine d’individus cagoulés en décembre 2022, etc.

En réponse à ce nouveau regain de violences, la FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Élèves) se mobilise de nouveau et demande une réunion interministérielle sur « la problématique de la violence et la scolarisation des jeunes délinquants en milieu ordinaire » : « La FCPE Mayotte est choquée par des actes de délinquance que nous qualifions d’actes de terrorisme qui se produisent aux abords et à l’intérieur de nos établissements scolaires », est-il mentionné dans leur communiqué qui évoque le « traumatisme des enfants ».

Un contexte à Mayotte qui fait écho au national, jugent les 17 signataires, en rappelant les morts devant le lycée Bamana en 2011 et 2021, le lycée de Sada en 2019, et le lycée de Mtsangadoua en 2021, et déplorent qu’aucun « plan Vigipirate » ne soit déclenché.

Un problème national accentué sur une île peuplée pour moitié de mineurs

Zalifa Assani avait notamment participé à l’Observatoire des violences

Si le parallèle est impossible au regard de l’idéologie qui anime les terroristes auteurs des actes meurtriers envers les deux enseignants Samuel Paty et Dominique Bernard à Arras, on ne peut rester insensible à la peur qui touche les scolaires qui ne se sentent pas en sécurité, même au sein des établissements scolaires qui doivent pourtant être sanctuarisés, comme nous le rapporte Zalifa Assani, administratrice de la FCPE : « Lorsqu’elles se rendent au toilettes du lycée, ma fille et ses copines sont obligées de cacher leurs téléphones portables dans leurs chaussures. Elles se sentent en danger. »

D’ailleurs, pour reprendre le contexte national, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal annonçait ce lundi 183 élèves en voie d’exclusion pour avoir perturbés les hommages aux enseignants assassinés.

La loi sur la délinquance juvénile a récemment évoluée, mais en renforçant les axes fort de celle de 1945. Le ministère de la Justice notait pourtant que « l’augmentation de la part des mineurs, de plus en plus jeunes, dans la délinquance notamment par des faits de violence physique et dans la criminalité est aujourd’hui un constat que l’on ne peut plus ignorer », en s’appuyant les statistiques des forces de l’ordre qui soulignent l’augmentation du pourcentage de mineurs mis en cause « de 20,4% entre 1972 et 1992 et de 79% entre 1992 et 2001. Entre 1993 et 1994, ce chiffre augmente de 17,7% », rapporte le site vie-publique.fr. En conséquence, la loi du 26 février 2021 réformait l’ordonnance du 2 février 1945 en introduisant le code de justice pénale des mineurs. Il instaure notamment une présomption simple de non‑discernement en dessous de 13 ans.

La surpopulation scolaire n’aide pas à une ambiance apaisée, « à Sada, ils sont 2.400 élèves pour un établissement qui doit en accueillir trois fois moins », rapporte encore Zalifa Assani. « Nous demandons que chaque ministère prenne ses responsabilités, que l’Éducation nationale arrête d’accepter une telle surpopulation scolaire, et que le ministère de la Justice prenne en charge les mineurs délinquants. »

Caillaseurs d’un jour, caillasseurs toujours ?

Mayotte, recteur, CASNAV,
Jacques Mikulovic nous avait expliqué centrer le projet académique autour de la maitrise du français et des valeurs

Beaucoup de problèmes se télescopent à Mayotte. A la parentalité déficiente, s’ajoute une insuffisance du nombre d’adultes, surveillants, parents, par rapport à une jeunesse qui compose plus de la moitié de la population et dont une grande partie peut basculer de manière ponctuelle dans des actes de violences comme des caillassages de bus. On a vu des élèves transportés se muer en caillasseurs. « Les jeunes agissent par réseau, commente encore la maman d’élèves, si aucun d’entre eux à l’intérieur de l’établissement ne fait le relais, rien ne se passera ». Ces jeunes côtoient des meneurs mais aussi des élèves qui ne viennent que pour étudier. Et tout ce petit monde se retrouve sur les bancs de l’école.

Une réponse avait été apportée par le ministre Blanquer qui, lorsqu’il était à la tête de l’Éducation nationale avait mis en place 298 classes relais « pour les élèves hautement perturbateurs ». Expérience qui fut tentée à Mayotte. Nous avons contacté le recteur Jacques Mikulovic pour faire le point.

« La FCPE m’a en effet sollicité pour une rencontre avec le préfet et le procureur afin que nous étudiions la question de la scolarisation des jeunes auteurs d’actes violents. Nous n’avons pas de classe relais au sens de prise en charge d’élève délinquants, mais plutôt pour les élèves décrocheurs dans le cadre de la réforme du collège. A Mayotte, nous avons avant tout un problème culturel à résoudre, ce n’est pas normal que des jeunes prennent le pouvoir sur les routes. Lorsque nous avons visionné les vidéos de l’attaque de la cité du Nord à Mtsangadoua, certains parents qui appelaient à un tour de vis se sont rendus compte que leurs enfants faisaient partie des auteurs. Il faut résoudre ce problème de société. »

« Le modèle ne fait plus sens »

Prière devant le lycée de Sada le 2 sept 2019 à la suite de l’assassinat d’un jeune

La FCPE demande des gendarmes mobiles devant les établissements avant l’ouverture, « dès 5h du matin, quand les premiers élèves arrivent ». Nous avons interrogé Jacques Mikulovic sur l’encadrement, il se dit « favorable à en accroitre le nombre », mais revient au problème de fond : « L’Éducation nationale doit faire son bilan, il y a un problème d’autorité et de rigueur, d’exigence dans les contenus pédagogique, qui met à mal, y compris en métropole, la notion d’enseignement. La notion de bienveillance qui a été développée a été mal interprétée. Comme à chaque fois que quelque chose va mal, il faut revenir à la finalité de l’institution : la maitrise des savoirs fondamentaux, des valeurs à transmettre, nous ne sommes plus assez exigeants dans ces rendus. Quand la performance scolaire n’est pas bonne, l’élève doit reprendre son travail. Le modèle ne fait plus sens. »

Ce qui a découlé selon lui sur « une perte d’autorité symbolique », et le recteur parle des enseignants, mais on peut dupliquer le problème, « il y a un problème d’éducation au sens sociétal ».

Le temps que le modèle soit repensé dans son ensemble par les ministères concernés, il va bien falloir trouver des solutions momentanées pour avancer : « Nous travaillons avec les parents de Sada sur un appel commun et la mise en place de journées thématiques sur la manière de lutter contre la délinquance, notamment des Assises de la jeunesse pour interroger ces jeunes sur leurs motivations. »

Anne Perzo-Lafond

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