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Mamoudzou

Tribune – « Le rond-point de la discorde », ou la guerre des quartiers

C’est le cri de rage et de désespoir d’un enfant de Mayotte qui voit impuissant les élèves se muer en terroristes dès la sonnerie de fin des cours. C’est au titre de parent d’élèves que Mohamed Moindjié livre une tribune pour appeler la population à ne plus rester passif mais à réagir en recréant de l’unité.

Ces moments d’insouciance nous manquent vraiment. Une jeunesse qui s’éclate au tour d’une pirogue, au bord d’une plage. C’était à Passamainty ce dimanche après-midi.

Pendant ce temps, tous les jours, du lundi au vendredi, nos enfants partent au collège de Mgombani et au lycée de Mamoudzou la boule au ventre. Qu’ils viennent de Doujani, de M’tsapéré ou de Cavani (une seule et même entité). Tous les jours, des agressions, le matin à 6h45, le midi et l’après-midi à 17h05 exactement du côté du rond-point du Baobab. Une à trois bastons par jour. Le square papaye est devenue une zone de guerre. Un sentier de tous les dangers. Un jeune garçon de M’tsapéré agressé violemment, s’en sort avec quatre points de suture à la tête.

Nos enfants appréhendent d’aller à l’école tous les matins. Qu’est-ce qui va encore m’arriver ce matin, au Baobab, se demandent -ils. Une fois en classe, ils appréhendent de quitter l’établissement. Ils ne se sentent en sécurité qu’à l’intérieur de l’établissement scolaire. Un jeune, seul, dehors, n’est pas à l’abri d’une agression gratuite. Ceux de M’tsapéré traitent ceux de Doujani de Watoro, et ceux de Doujani traitent ceux de M’tsapéré de terroristes. Et alors ? Est-ce que cela mérite de terroriser toute une population qui n’a rien demandé ? C’est toujours l’autre le fautif.

Nous, parents, allons vivre cette situation jusqu’à quand ? Jusqu’aux prochaines vacances d’octobre ? Jusqu’aux vacances de décembre ? Jusqu’à la fin de l’année ?

Mohamed Moindjie : « Jusqu’à quand ? »

Les autorités publiques cherchent des solutions. Elles ont essayé de réunir tout le monde au lycée Bamana, un vendredi après-midi, afin de comprendre, de faciliter le dialogue, de faciliter l’expression des jeunes, d’impliquer les parents, dans l’apaisement. Étaient présents : la commune de Mamoudzou, le rectorat, la principale du collège de Doujani, le proviseur du lycée Bamana, quelques parents d’élèves, des dirigeants associatifs, la police nationale, la police municipale et les jeunes des quartiers. Le même jour, à 17h, comme un bras d’honneur aux adultes, les mêmes jeunes qui débattaient, qui partagent le même lycée, qui fréquentent les mêmes bancs, se battaient à coup de cailloux, souvent à quelques mètres d’intervalle. Une scène de guerre des cailloux sous le regard des jeunes filles qui attendaient la fin du spectacle. Une baston qui durera juste 5 minutes, le temps pour chaque camp d’attaquer, ou de se faire attaquer. Des mouvements de va-et-vient comme des vagues. Les choses reprenant ensuite leur cours normal. Comme si de rien n’était. Les motards et les automobilistes s’arrêtent, assistent passivement au spectacle et poursuivent ensuite leur chemin. Du déjà-vu. Hallucinant.

Que faire ? Surtout quand on entend l’explication de malade donnée par les jeunes :

A la question, pourquoi vous vous battez, réponse « c’est une question de respect, de grade, et d’honneur ». Ah bon. Plus précisément « si Doujani passe à M’tsapéré et que nous ne réagissons pas, ils vont nous filmer et tout publier sur Instagram et nous traiter de poiyo* ». Donc, « nous devons réagir, question d’honneur ».

Tout ce bordel tous les jours juste pour une question d’honneur, de respect et de grade. Et quel honneur, quel respect ??? Nous sommes donc condamnés à subir, tous les jours, des représailles, des uns ou des autres, question d’honneur. Désormais les jeunes se déplacent en groupe pour se protéger. Tous selon leur quartier font la même chose. Bientôt, ils porteront les mêmes couleurs, les mêmes signes, comme dans le Bronx, pour mieux s’identifier. Moi j’appartiens au gang des scorpions. Tv et réseaux sociaux quand vous nous tenez.

Une tentative de dialogue avait été proposée dans l’enceinte du lycée Bamana

Ils ne comptent plus sur la police pour les protéger. Ils n’ont même plus peur des gaz lacrymogènes. Un jeune agressé, c’est tout le groupe qui réagit pour le défendre ou pour contre-attaquer. Un système d’autodéfense.

Le parent que je suis est très inquiet, même si l’agent du rectorat que je suis également, cherche des solutions en lien avec la ville de Mamoudzou, les parents relais et les autorités de police et de justice. Tous les matins, je dépose mon fils à Mgombani la peur au ventre. Il me dit qu’il a fini par s’y habituer. Il n’a que 13 ans. Quels dégâts dans sa tête ? Je le saurais quelques années plus tard peut-être. Mais moi, à chaque alerte de baston, je flippe pour lui. Un parcours de quelques centaines de mètre entre Cavani, Baobab et le collège me rend malade. Surtout que nous donnons l’impression d’accepter ces bastons qui se banalisent, qui deviennent la norme, acceptés par toutes et tous. J’ai déjà connu ça avec les grands, aujourd’hui bacheliers à Paris, sous une autre forme de violence. Nous voulons tellement accélérer le temps pour voir nos enfants partir loin d’ici. Est-ce vraiment la solution ? qu’ils aient le bac et qu’ils s’en aillent, loin, très loin d’ici. Quel aveu d’échec. La fuite n’a jamais été une solution. Elle l’est individuellement mais pas collectivement.

J’espère que nous trouverons, ensemble, une solution avant qu’il ne soit trop tard. Beaucoup de ces jeunes veulent juste se rendre à l’école. Veulent étudier, et réussir dans une vie qui ne leur fera pas de cadeau. Ils sont en danger parce qu’ils appartiennent à tel ou tel quartier. Ils risquent leur vie tous les jours en se rendant à l’école parce qu’ils sont de Cavani, de M’tsapéré ou de Doujani. Arrêtons avec ça. Moi je suis d’où, né à M’tsapéré, habitant à Cavani depuis 23 ans et ayant passé une partie de ma jeunesse à Doujani.

Respect, honneur sont des mots très fort, qui ont un sens. J’espère que ces gamins qui nous pourrissent la vie connaissent vraiment l’histoire de ce glorieux village qu’est M’tsapéré, avec ses illustres personnages, avec ses quartiers qui ont fait son histoire, de Doujani jusqu’à Cavani, en passant par Mbalamanga, M’tsapéré M’tsangani, Maivantana, Zazavéri, Mandzarisoa, Barakani, Zardéni et j’en passe. M’tsapéré, une seule entité. J’en doute très fort. Nous sommes alors tous dans l’échec. En échec de n’avoir pas su transmettre cette histoire. Un peu de culture et de mémoire.

Nous n’avons pas choisi l’unité, entre Espoir et Eclair**, pour nous diviser aujourd’hui. Marre de ces bastons inutiles qui nous pourrissent la vie. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
#ça suffit.
#réagir ensemble

 

* Lâche

**Espoir et éclair, deux anciens clubs de Mtsapéré devenu FCM (Football club de Mtsapéré). D’abord formation culturelle de M’tsapéré, puis football club de M’tsapéré. Réunir les deux meilleurs clubs de M’tsapéré pour tendre vers l’unité du village. Éclair était plutôt de Maivantana, avant le pont, et Espoir, plutôt de Mbalamanga, après le pont. Les M’tsapérois ont voulu casser cette image de cloisonnement, de division et lutte fratricides entre les quartiers, pour parler d’une même voix, un village, une équipe, FCM et une voix. Tout un symbole. Revoir ces divisions ressurgir, des affrontements entre Doujani, Cavani et M’tsapéré est vécu comme un échec pour ceux qui ont tout œuvré pour l’unité. Said Houssene Abdourraquib par exemple pour ne citer que lui….

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