C’est une interview exclusive dans le Figaro du ministre de l’Intérieur qui révèle pour la première fois l’opération qu’il ne nomme pas, mais révélée par le Canard Enchaîné en février sous le nom de Wuambushu, et auparavant sur l’arrivée massive de force de l’ordre par notre confrère local LNDM. Le nom mahorais n’a pas été cité par Gérald Darmanin, sans doute que sa traduction en swahili (tue-les) a quelque peu tétanisé les langues.
Les fuites sur l’objectif de l’opération étaient fondées, Gérald Darmanin parle d’une « opération d’ordre public », qui « vise à démolir des bidonvilles et à expulser massivement les personnes en situation irrégulière ». Si l’accent était mis jusqu’à présent sur la lutte contre l’immigration clandestine, c’est le démantèlement des bandes qui est visé en premier lieu lorsque le ministre est interviewé vendredi 21 avril sur le plateau de France info : « Nous avons deux objectifs, l’arrestation de 60 criminels qui seront condamnés, je l’espère, à des peines les plus lourdes possibles, et s’il y a des étrangers en situation irrégulière, ils seront expulsés, et la destruction de 1.000 bangas autour de Mamoudzou. »
Dans le Figaro, le ministre revient sur le quotidien rythmé à Mayotte par des flambées de violence ça et là : « Les enfants ne peuvent plus aller à l’école sans risquer d’être agressés. Les barrages dressés sur les routes font fuir le personnel médical, qui retourne en métropole (…) Les femmes enceintes sont parfois empêchées de se rendre à l’hôpital pour accoucher à cause des bandes ».
Une situation de « délinquance aggravée » selon ses mots, qui a des répercussions sur l’attractivité de l’île et les recrutements, « cela aggrave l’offre de soin ».
Plus de 1.700 cases détruites en 2 ans
Et c’est toujours de délinquance dont il est question lorsque Gérald Darmanin évoque les derniers envois de forces de l’ordre, « 440 policiers et gendarmes supplémentaires depuis 2017, soit 50% d’effectifs en plus », pour un résultat peu probant, « nous constatons que l’archipel connaît encore 16% d’homicides en plus en 2022 et 30% de hausse des vols avec violence. » Des renforts conséquents sont arrivés ces derniers jours pour l’opération spéciale : « quatre escadrons de gendarmes mobiles, des policiers de la CRS-8, spécialistes de la lutte contre les violences urbaines, au total 510 membres des forces de l’ordre (…) C’est une situation de délinquance aggravée à laquelle nous devons répondre avec une grande fermeté », avec une estimation d’une « quarantaine de bandes criminelles organisées ». Il y a inflation depuis la ministre Ericka Bareigts qui avait révélé une quinzaine de bandes à démembrer. Il annonçait l’arrestation de « douze criminels ces derniers jours ». Nous n’avons pas de précisions sur ces interpellations, en dehors du bilan effectué la semaine dernière par la gendarmerie.
En matière de lutte contre l’immigration clandestine, comme nous l’avons déjà souligné, il s’agit surtout de prolonger les actions initiées il y a plusieurs mois voire années, de démolition de l’habitat indigne soit par les opération de RHI (Résorption de l’Habitat Insalubre), soit de loi Elan par le préfet, soit de flagrance par les maires.
L’annonce de démolition d’un millier de cases en tôle peut impressionner à Paris, mais il s’agit de multiplier sur un laps de temps court, quelques semaines, et en concernant simultanément l’ensemble des communes, des opérations qui étaient habituellement étalées dans le temps. Souvenons nous que 160 cases insalubres ont été démolies en janvier dernier à Doujani, pour construire sur la zone 1.000 logements en dur et reloger ceux qui peuvent y prétendre, même opération à Carobole (Koungou) où ce sont 350 cases qui sont passées sous la pelleteuse en octobre 2021, dans le quartier rasé de Jamaïque (Koungou), ce sont 234 cases détruites en mars 2021, 120 cases dans la commune de Bandrélé en mai 2022, 122 le mois suivant à Combani et Mirereni, 165 à Chirongui en mai 2021, 120 en février 2021 à Dzoumogne, 350 cases à Tanafou 2 (Mamoudzou) en juin 2016, 60 en flagrance à Tsoundzou en février 2022, 48 à Boueni en 2021, etc. Nous ne pouvons toutes les citer. En un peu plus de deux ans, ce sont plus de 1.700 cases qui ont été démolies.
Optimiser les moyens exceptionnellement déployés
Des opérations qui ont évolué dans le temps, partant d’un gros déficit de proposition de relogement pour les premières, ce qui avait provoqué des émeutes notamment à Koungou avec l’incendie partiel de la mairie, pour assister à des constructions de villages relais à proximité des zones détruites pour éviter d’accentuer les perturbations, notamment pour les enfants scolarisés. Il s’agit d’y héberger les habitants en attendant la construction de logements en dur.
L’opération actuelle va donc permettre une simultanéité de ces démolitions de cases insalubres, sur l’ensemble du territoire. Cela suppose que les maires en amont aient identifié leurs priorités d’aménagement, ce qui n’est pas le cas de tous, qu’une enquête sociale soit menée pour chaque opération, que les relogements des habitants en situation régulière aient été prévus, et que les arrêtés préfectoraux soient pris. Le préfet Thierry Suquet s’est exprimé sur ce dernier point sur le plateau de nos confrères de Mayotte la 1ère : « Sur les 15 périmètres définis avec les maires, nous avons pu avancer sur 12 d’entre eux, et plusieurs arrêtés préfectoraux ont été pris », ce qui reste insuffisant selon lui alors que les moyens sont là, « je demande aux maires, donnez-nous des lieux à décaser et nous lancerons les enquêtes sociales dans les jours qui suivent. »
Car sur le volet social, il est impératif que la prise en charge des personnes délogées soit opérationnelle dans toutes les communes, sans quoi l’action de « démolition-reconstruction » sera annulée par le tribunal administratif, nous en avons de nombreux exemples dans les opérations citées ci-dessus. Les nombreux recours ont permis d’humaniser ce qui se bornait qu’à une démolition-expulsion d’habitats insalubres et illégaux.
Le président Azali à la recherche de « perspectives nouvelles »
Pour exemple, et puisque c’est une des premières opérations menées cette semaine, le Talus 2 à Koungou avait été présentée à la présidente de l’ANRU puis au ministre Olivier Klein, avec ses relogements temporaires dans des Algeco et des maisons en dur sur les hauteurs. Elle avait néanmoins été suspendue par la justice. Depuis, le conseil d’Etat a validé les opérations menées en cas de risques graves pour la salubrité, la sécurité et la tranquillité publique, sous réserve d’une prise en charge des habitants « en garantissant, lors de la démolition, un relogement ou un hébergement d’urgence à chaque occupant ».
Le ministre Darmanin indique dans la même interview que sur le plan judiciaire, « six magistrats et sept greffiers, ainsi que quinze agents de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), et des agents de la sécurité civiles pour les problème d’eau », ont été dépêchés.
Après la déclaration du porte-parole du gouvernement comorien qui « entend ne pas accueillir les refoulés de Mayotte », le président Azali Assoumani est revenu sur une position plus modérée ce samedi, « la voie choisie est celle du dialogue », a-t-il déclaré, rajoutant privilégier « la recherche de perspectives nouvelles pour trouver une solution à ce contentieux désagréable ». Une recherche qui a très souvent abouti par un accord financier par le passé. La garantie de développement des trois îles des Comores en contrepartie avait été mentionnée lors de la précédente signature des 150 millions d’euros sur trois ans, mais aucun chantier d’envergure n’est annoncé que ce soit sur la scolarité ou les hôpitaux.
Faute de résultat donc, Gérald Darmanin propose de durcir le droit du sol à Mayotte. Le sénateur Thani Mohamed Soilihi avait obtenu qu’un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne pourrait obtenir la nationalité française que si au moins l’un des parents est en situation régulière sur le territoire dans les 3 mois précédents sa naissance. Le ministre veut l’élargir à 9 mois et aux deux parents, indiquait-il à France Info.
Pas de délai annoncé pour cette opération, indique le ministre.
Anne Perzo-Lafond
La « menace islamiste » s’invite à l’opération
Alors que les luttes contre la délinquance et l’immigration clandestine font partie de notre logiciel à Mayotte, s’invite un nouvel élément de langage, « la menace islamiste », brandie par le ministre Darmanin toujours dans Le Figaro : « N’oublions pas que nous sommes à Mayotte, près de l’Afrique des Grands Lacs, qui est menacée par l’islamisme radical. Les notes de renseignement nous évoquent la volonté d’expansion de l’islamisme radical, notamment vers Mayotte, une terre d’islam modéré. Clairement, nous devons éviter l’attentat islamiste de demain et couper court au développement des bandes et à leur organisation criminelle ».
Un argumentaire étonnant quand on sait que la population se défend plutôt bien contre les intrusions extrémistes étrangères, la mosquée de Mtsangamouji en avait fait les frais…