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jeudi 25 avril 2024
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Faut-il prioriser les fonctionnaires ultramarins pour des affectations dans leur DOM d’origine ?

C’est à 9h ce mercredi, sur le fuseau horaire métropolitain, qu’était introduit, par la députée réunionnaise Emeline K/Bidi, le tant médiatisé examen de proposition de loi « visant à promouvoir l’emploi et le retour des fonctionnaires d’État ultramarins dans les territoires d’Outre-mer ».

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les échanges et débats auront été des plus passionnés au 1ère étage, bureau 6, du Palais Bourbon. Dans les grandes lignes qui s’affrontent : faut-il voir en cette proposition de loi l’intérêt public, à proprement parler, du Service public ou bien l’intérêt personnel de l’agent et le renforcement d’un chauvinisme identitaire local priorisé ? En somme, un vrai scénario Shakespearien où il fut tout de même, et quasi unanimement, pointé du doigt les difficultés et inégalités notoires qui perdurent entre la politique nationale et les spécificités et besoins (souvent urgents) propres aux territoires ultramarins. Des inégalités rendues publiques encore très récemment par le biais d’un rapport sénatorial parlant de « discontinuité territoriale ». Du point de vue psychologique, vivre loin de sa famille et de ses racines n’est chose aisée pour personne. Cette problématique qui a été énoncée, ce jour, en introduction de la Commission des lois de manière tout à fait transparente, n’attribue aucunement l’exclusivité de ce potentiel mal-être aux seuls territoires ultramarins. Malgré cela, il ne peut être exclu que la grande distance accentue ce ressentiment.

Retransmission en direct depuis l’Assemblée Nationale, aussi connue sous le nom de Palais Bourbon; édifice dont la construction achevée en 1728 a été initialement ordonnée par Louise-Francoise, Duchesse de Bourbon, fille reconnue de Louis XIV et de Françoise de Rochechouart de Mortemart (alors maitresse du précité)

Ce sujet n’est pas nouveau et avait déjà été abordé antérieurement à plusieurs reprises, voire même voté en 2017 par la loi EROM*. Pourtant, dans les faits, il n’en est cas; du moins pas suffisamment.

Emeline K/Bidi

Un nouvel examen de proposition de loi donc, visant à mettre en avant, selon des propos de la Rapporteure Gauche démocrate et républicaine NUPES, E. K/Bidi, une discrimination existante entre le nombre d’affectations et mutations pourvues dans les DROM-COM**, par des cadres issus du territoire hexagonal et celui des cadres locaux ultramarins imputant un fataliste sentiment d’injustice et de carrière « cantonnée à un aspect de subalterne sur leur propre territoire ou bien d’être forcés à l’exil pour réussir ». Une politique nationale de favoritisme métropolitain qui engendrerait aussi, du point de vue des ressources humaines, deux problématiques majeures énoncées par le député écologiste Jérémie Lordanoff.

Jérémie Lordanoff

D’une part, « la fuite des cerveaux accentuant par la même occasion la crise sociale dans ces territoires » et, d’autre part, cette perspective de l’exil forcé serait aussi pour les jeunes diplômés concernés, un moyen de dissuasion de passer un concours national et d’accéder à un emploi stable. « C’est d’autant plus problématique que le recrutement public représente dans ces territoires, l’une des solutions les plus robustes face aux tensions rencontrées sur le marché ultramarin ».***

Un sujet éminemment « politique et humain » au vu de ces divers enjeux, selon le député socialiste réunionnais, Philippe Naillet, rappelant les 37% de la population réunionnaise vivant sous le seuil de pauvreté avec des services publics affaiblis. « Ce que nous demandons c’est justement de renforcer ces services publics… Et cela passe d’abord par l’encadrement de ces services. Nous ne demandons pas toutes les places. En comparant le Service public à un avion, nous demandons à être moins nombreux en Classe économique et un peu plus nombreux dans la cabine de pilotage ».

Philippe Naillet

Harmoniser uniformément les critères CIMM

Le droit prioritaire des fonctionnaires ultramarins pour une affectation retour au sein de leur territoire d’origine est donc un droit national déjà acté par la loi EROM depuis près de 6 ans. Il se base bien évidemment sur les compétences de l’intéressé au regard des besoins du poste et s’introduit lors de la formulation des vœux de mutation, par le décompte du Centre des intérêts matériels et Moraux (CIMM) se présentant sous forme de points relevant de différents critères d’appréciations retenues****. Domicile avant l’entrée dans l’administration, lieu des comptes bancaires détenus par l’agent, lieu de vote enregistré, domicile du père et de la mère, commune de naissance, etc. Une liste non exhaustive, basée sur une vieille circulaire datant du 3 janvier 2007, et surtout appliquée de manière disparate, libre et non égalitaire d’un ministère à l’autre, comme le souligne l’étude terrain***** de la Députée Rapporteure ayant aspiration à faire intervenir le Législateur sur cette question.

Selon l’Insee, à la Réunion, 11% des poste cadres sont occupés par des réunionnais et 50% par des métropolitains.

Une mise en application donc, non sécuritaire pour l’agent fonctionnaire concerné qui le laisse souvent face à une incompréhension lorsque sa demande de mutation est refusée. Cette proposition de loi vise à établir clairement les modalités sélectives CIMM et ce, de la même manière pour toutes les administrations ministérielles. Pour information, en 2019, sous l’égide de la loi EROM, seuls 28% des demandes de mutations formulées au titre du CIMM ont trouvé issue favorable. Et bien qu’une contestation du fonctionnaire soit possible, par le bais d’un recours au Tribunal Administratif, cette procédure n’est que très peu souvent entamée pour raisons de coût et d’effet préjudiciable craint pour la suite de la carrière de ce dernier. Ce qui explique aussi les faibles remontées juridiques qui pourraient venir contre-argumenter la problématique soulevée et la contestation de la création de cette nouvelle loi, selon E. K/Bidi.

Dénoncer les problématiques logistiques ET morales

Bénéficier d’un service public comprenant aussi la culture locale, c’est présenter un lien humain plus efficace, par exemple, entre les anciennes générations qui ne parlent que leur langue maternelle (Créole, Shimaoré, Shibushi…) ou bien un soutien pour les personnes illettrées sachant le fort taux d’illettrisme qui touche les territoires ultramarins. Une problématique sociale notoire, dans ce souci de renforcer l’efficacité même des services publiques ultramarins, à laquelle se joint une problématique plus économico-logistique touchant directement les jeunes DROM-COMiens.

Le coût trop élevé des billets d’avion entre les DROM-COM et la Métropole est aussi une problématique pour les fonctionnaires ultramarins et leur famille

En effet, lorsque les personnes obtiennent la validation de leur concours de fonctionnaire, ils doivent en un laps de temps souvent restreint, trouver un lieu de stage initial — situé quasi systématiquement en Métropole — engendrant achat d’un billet d’avion en date proche (plusieurs s’il est question d’une famille) gérer la déscolarisation/re-scolarisation des enfants, trouver une solution professionnelle pour le potentiel conjoint etc. Sachant le coût exorbitant d’une vie ultramarine, le niveau de vie local relevant bien souvent du SMIC, le prix unitaire d’un billet d’avion… Soit il est demandé une année report pour trouver cette année de stage, soit (dans de rares cas) l’abandon pur et simple de cette orientation professionnelle. La Rapporteure souhaite donc appuyer cette nouvelle orientation de loi sur un critère principalement moral appuyant également son article 4 sur le fait que la première année de stage puisse s’exercer sur le sol d’origine et de domiciliation des nouveaux lauréats.

Un observatoire local

Selon l’article 1 de cette même proposition de loi, il est souhaité la création d’un observatoire des emplois locaux en Outre-mer « doté d’un pouvoir de sanction ». Une autorité administrative efficiente pour contrecarrer les dispositifs déjà existants et jusqu’alors pas vraiment appliqués au regard de la loi. Afin d’avoir un recul nécessaire en lien avec ces mise en place et appropriation de ce nouvel outil, une durée expérimentale de 15 ans, ramenée à 10 ans par amendement, a également été introduite par la députée. 

Un rejet majoritairement exprimé 

Du côté des orateurs des différents groupes politiques en présence, il a clairement été question, pour le camp favorable, de mettre en avant les nombreuses difficultés marquées des territoires ultramarins, en plus du sentiment d’abandon et de scission Hexagone/DROM-COM qui prédomine déjà depuis bien des annuités fonctionnaires (et à travers le calendrier civil), soutenant ce projet d’examen de loi tel un message de détresse pleinement entendu par les députés de l’Assemblée Nationale face à une politique nationale pas suffisamment à la hauteur en ces lieux Outre-mer reculés. Un soutien d’élus métropolitains mais également insulaires qui ne fait pourtant l’unanimité acquise, notamment du côté du député Renaissance néo-calédonnien, Nicolas Metzdorf qui voit en cette procédure, une problématique humiliante, avant tout de « victimisation » , de venir quémander des emplois par l’utilisation de la loi face aux collègues hexagonaux qui ne sont pas la cause de cet embarras dans la pratique. Selon la difficile réalité ultramarine, aussi rencontrée en Nouvelle-Calédonie, le problème de fond réside, avant tout, toujours selon lui, dans le niveau d’éducation trop bas ainsi que le manque d’ambition ambiant.

Nicolas Metzdorf

Cette proposition de loi en l’état viserait un aspect néfaste, déjà existant en territoires ultramarins, de renforcement de l’identitarisme au profit d’un recrutement exclusivement pro-local appelé selon ses propres termes «  l’emploi local-localisé » qui se réduit à échelle départementale et même communal. L’identité devenant de fait, une compétence, ce qui n’est pas acceptable renforçant ce schisme avec la Métropole au regard d’un paradoxe qui vise toujours les populations ultramarines à réclamer leur pleine identité et appartenance française. Du côté des autres membres pluripartisme du camp défavorable, la notion de priorité égalitaire des chances au regard d’un poste à pourvoir a été évoquée; fondement même de la République.

Stéphane Rambaud

La crainte d’une mise en avant de la nativité de la personne au détriment du besoin réel du poste a là encore été soulignée. Une proposition de loi louable et nourrie « de bon sentiments mais critiquable » comme l’évoque Stéphane Rambaud, député RN du Var, notamment au regard de la création d’un observatoire qui ajouterait des coûts supplémentaires à une loi et des dispositifs déjà existants, favorisant justement les territoires ultramarins dans leur ensemble depuis ces dernières années.

Une demi matinée qui fut donc des plus mouvementées, à l’image de notre Nation; chaque parti défendant, parfois même avec virulente passion, ses idées et opinions. Même si le Président de la Commission des lois, Sacha Houlié, a acté le vote de rejet de cette proposition rédigée en l’état, la Rapporteure et députée réunionnaise Emeline K/Bidi a tenu à féliciter l’active participation de tout un chacun mettant en lumière qu’elle préférait  « la passion à l’indifférence » que suscite depuis bien trop d’années les territoires Outre-Mer, relevant qu’unanimement les mêmes problématiques ont été soulevées, bien que les solutions à l’arrivée ne soient pas les mêmes. Ce texte initialement présenté, par l’impulsion d’une vingtaine de députés — principalement ultramarins — est donc déjà en travail de remaniement juridico-rédactionnel afin de recueillir un vote favorable pour son prochain examen. 

MLG

Sacha Houlié, président de la Commission des lois

*  La loi pour l’égalité réelle en Outre-mer a été adoptée à l’unanimité mardi 14 février 2017. Elle s’inscrit dans la continuité des engagements pris et menés par le Gouvernement pour réduire les inégalités entre l’Hexagone et l’Outre-mer, renforcer le soutien à l’économie locale et les droits des citoyens ultra-marins.

** Selon l’Insee, à la Réunion, 11% des poste cadres sont occupés par des réunionnais et 50% par des métropolitains. Ce ratio est de 6% contre 25% pour le guyanais et de 10% contre 40% pour les martiniquais. 

*** À Mayotte, une étude récente établie la part du marché du travail public et des administrations s’élevant à 50%. 

**** Exemples de critères d’appréciations retenues par le CIMM :

  • le domicile avant l’entrée dans l’administration ;
  • le lieu de naissance de l’agent ;
  • le bénéfice antérieur d’un congé bonifié ;
  • le lieu où l’agent est titulaire de compte bancaires, d’épargne ou postaux ;
  • le domicile des père et mère ou à défaut des parents les plus proches de l’agent (leur lien de parenté avec
  • l’agent, leur âge, leur activité et, le cas échéant, leur état de santé seront précisés) ;
  • les biens fonciers situés sur le lieu de résidence habituelle déclarée dont l’agent est propriétaire ou locataire ;
  • les affectations professionnelles ou administratives qui ont précédé son affectation actuelle ;
  • le lieu d’inscription de l’agent sur les listes électorales ;
  • les études effectuées sur le territoire par l’agent et/ou ses enfants ;
  • la fréquence des demandes de mutation vers le territoire considéré…

***** Sur 7 ministères étudiés par la Direction générale de la Fonction Publique en Juillet 2021, dans le cadre de demandes de mutations relevant des critères CIMM, il s’avère que le minimum de critères retenus diffère d’une administration à une autre passant de 5 critères pour un ministère à 2 pour un autre voire même une demande de critères précis imposés pour encore un autre.

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