Paris s’éclaire aux lumières des réverbères, le quartier de Château Rouge, populaire et subsaharien, laisse vivre le monde de la nuit parisienne. Dans la rue Léon, nichée dans le Lavoir Moderne, la troupe de Kazyadance, se produit devant un public de curieux, mais aussi d’amis et de vieilles connaissances. Si loin de nos journées tropicales, de notre océan indien, nous plongeons malgré tout dans le Mayotte traditionnel, à travers un spectacle de danse, de lumières et de textes d’une grande vérité. La vibrante création de Djodjo Kazadi nous fait monter l’émotion, tout en pudeur et sobriété. Et pourtant, tout est là.
Paris devient L’île aux parfums
Dès les premières secondes, le ton se pose, Mayotte, son histoire et celle qu’elle a avec la France. Les destins croisés d’inconnus, les souvenirs enfuis ressortis, le passé incertain, le présent en attente.
Le premier projecteur éclaire côté jardin, les quatre interprètes, danseurs et acteurs, vibrant au rythme des sonorités de notre territoire. Le rideau n’existe pas, mais le mur est couvert de ses pagnes aux couleurs tropicales, nous rappelant nos marchés et nos grandes esplanades traditionnelles. La scène du lavoir moderne devient Mayotte, le quartier des décasés, petite terre, une île pourtant à huit mille kilomètres de la France hexagonale.
La musique change au fil des récits racontés ou dansés. Nos quatre héros portent avec corps et âmes la beauté, mais aussi la souffrance et l’insuffisance. Comme une alerte, quand il sera trop tard, ils vous auront prévenus. Mayotte facine, évolue, grandit, mais faiblit aussi de sa position de département-île, où notre récif a longtemps fait rempart, et que la France regarde si souvent de loin.
Dans son spectacle, Djodjo nous rappelle que Mayotte ne fait que tendre la main depuis des années. Une main tellement tendue, que beaucoup ont déjà laissé tomber. Il nous montre aussi que c’est malgré tout l’espoir qui fait vivre et perdurer le lien si fort qui lie la France à l’histoire de Mayotte.
Représenter Mayotte à Paris avec les acteurs culturels
Il était évidemment impossible d’imaginer ces représentations sans l’équipe originale qui la porte depuis le début. Derrière Djodjo Kazadi et Marie Sawiat (la coordinatrice), évidemment, le narrateur central : El Badawi Charif et les autres comédiens danseurs : Rayanti Sai?d Baco, Aboul Anziz Mohamed Bacar et Alifeyini Mohamed. Mais aussi le créateur lumière, Samir Houmadi, dont le talent est à souligner. Proposant ainsi un éclairage organique, au service du récit dans les moindres recoins, Samir laisse place à une création assez originale, mêlée à des jeux d’ombres.
Du Royaume des fleurs, la scène de Kazyadance, au Lavoir Moderne, il n’y a finalement qu’un pas. L’équipe a su utiliser la scène dans un espace clos, conçu avec des poutrelles en bois et des murs de pierre.
« J’ai voulu intégrer l’espace comme il était. Nous avons juste mis tous les tissus sur le mur gauche, au lieu du centre, comme dans la représentation originale », raconte Djodjo Kazadi, à la sortie de la représentation. Il semble soulagé de voir un public convaincu et bienveillant. Même s’il évoque toujours les petits détails qu’il souhaite encore corriger. Nous n’y voyons que du feu, mais le chorégraphe tient à sa rigueur.
« On s’habitue assez vite à l’espace. Je suis si heureux d’être là », exprime Alifeyini Mohamed. On lit dans ses yeux, une grande émotion. Et c’est tout à son honneur, de porter encore cette œuvre, si loin de son île, mais si près des uns et des autres qui la découvre par le spectacle.
Paris s’endormira, en se remémorant ces temps-ci forts dans l’Histoire de notre île. Et peut-être aussi « la voix de Mayotte » portée, comme un appel du comédien El Badawi Charif : « Padala ! Padala ! Padala ! »
Il ne faut jamais oublier le souvenir des ancêtres, de ceux qui ont fait de l’île de Mayotte, une terre de culture et de traditions.
Les prochains rendez vous
Kazyadance revient sur notre île, pour une ultime représentation le 27 Mai au Pôle culturel de Chirongui, avant de retrouver l’hexagone en juillet. Pendant un mois, le public pourra découvrir ou redécouvrir Murmures des Décasés au très prestigieux Festival d’Avignon. Encore une nouvelle expérience intense, qui ne sera qu’alimenter la connaissance de notre département riche en créativité.
Ce n’est que le début, Mayotte prend la place qu’on lui offre, mais s’impose peu à peu par son invitation culturelle.
Germain Le Carpentier