« L’âge de la folie », deux « jeunes délinquants » pris dans la spirale de la violence

Dans la nuit du 9 au 10 juillet 2021, à Labattoir, des violences, des vols, des tentatives de vol et des dégradations de biens ont été commis par une "bande de jeunes". Deux d’entre eux comparaissaient ce mardi 27 mai devant le tribunal judiciaire de Mamoudzou. Déjà connus de la justice pour des faits remontant à 2019, leurs parcours illustrent la spirale de violence dans laquelle certains jeunes s’enfoncent, mais aussi l'inefficacité des sanctions censées leur faire prendre conscience de leurs actes.

Vêtu d’un tee-shirt et d’un pantalon rouge vif, trois dreadlocks nouées sur la tête, D., attend qu’on lui retire ses menottes pour s’asseoir sur le banc des prévenus. Au même moment, la télévision du tribunal judiciaire s’allume et O., le second prévenu, apparaît à l’écran. Habillé d’un polo rayé noir et blanc, il assiste à l’audience depuis la prison du Port de La Réunion. Les deux jeunes hommes, la vingtaine, sont détenus respectivement depuis 2024 (à Majicavo) et 2022, suite à des condamnations dans d’autres affaires, et sont entendus ce mardi 27 mai pour violences, vols, tentatives de vols et dégradation du bien d’autrui, des faits qui se sont produits dans la nuit du 9 et 10 juillet 2021 à Labattoir.

Les deux garçons connaissent la prison et la procédure, et les juges ne les impressionnent en aucun cas. Derrière l’écran, O. semble s’ennuyer et garde le silence la plupart de l’audience, D. est lui plus coopérant.

Une nuit de violence à Labattoir

violences
Une dizaine de jeunes ont commis violences, vols, tentatives de vols et dégradations de biens (photo d’illustration)

Le 9 juillet 2021, à Labattoir en Petite-Terre, les deux prévenus passent la soirée avec d’autres amis. Imbibés d’alcool, les jeunes décident de voler une voiture, « pour faire un tour ». Tandis que D. et d’autres grimpent à bord du véhicule, certains caillassent les riverains alertés par la situation, ainsi que les gendarmes arrivés sur les lieux. Plusieurs maisons subissent des dommages.

Les jeunes arrivent à s’enfuir, ceux dans la voiture, l’alcool dans le sang, provoquent un accident avec un véhicule sur le bas-côté. La poursuite continue du côté du marché, où, le gardien de nuit, en voyant une trentaine de jeunes, « armés de barres de fer, de machettes et de couteaux », selon son témoignage, prend la fuite. Effrayé, il en oublie son téléphone et une enceinte qui seront volés par le groupe. Les « dakous«  s’en prennent ensuite à une bijouterie adjacente, qu’ils cambriolent sans hésiter. Lorsque les gendarmes arrivent, ils utilisent leurs lanceurs de balles de défense, mais les jeunes répliquent avec des pierres. Déjà interrogés le 3 mars 2022 par le juge d’instruction, les deux prévenus reconnaissent toujours leur participation aux faits.

Mais pour D., les infractions ne s’arrêtent pas là. Le 11 juillet, dans la rue, il agresse à la machette et avec des pierres, deux personnes qui ont refusé de lui donner une cigarette. Deux jours plus tard, avec une dizaine d’autres jeunes, il tente de voler un scooter, mais le groupe se décide finalement à voler la pizza que portait l’un des conducteurs.

Après ces épisodes de violences, la gendarmerie interroge les riverains qui désignent les jeunes sur des planches photographiques. Petit à petit, les membres de la bande sont démasqués. Des prélèvements biologiques sur la porte d’une maison endommagée permettront aux enquêteurs de connaître précisément les jeunes, qui, comme mentionné précédemment, sont déjà connus des services de la gendarmerie, et les interpellations débutent.

« L’âge de la folie il dure combien de temps ? »

« Comment expliquez-vous que vous avez recommencé, vous étiez déjà accompagné par le juge des enfants depuis 2019 ? », demande la procureure Clélia Marbouty, à D., qui précise qu’au moment des faits le jeune homme a déjà été condamné, incarcéré et placé sous contrôle judiciaire.

Surpopulation carcérale à la prison de Majicavo
La prison n’a pas empêché les deux prévenus de retomber dans la délinquance

« La vie était difficile, à cette époque j’avais des amis enfermés et après être arrivés sur des kwassas, on ne faisait que boire », raconte D. « Je pensais qu’à la sortie de la prison j’arrêterai les bêtises, mais je suis retourné voir ceux que je n’aurais pas dû revoir. Je n’arrivais plus à vivre avec eux, je me voyais boire sans arrêt », regrette le prévenu devant les juges. « C’est l’âge de la folie, on fait des choses dont on n’a pas conscience », continue D., père de deux enfants.

« L’âge de la folie, il dure combien de temps ? Dès que vous êtes dehors ça recommence, il y a une absence totale de prise de conscience, alors on doit attendre combien de temps ? », interpelle la procureure, sans réponses. Dans ses réquisitions, elle demande la condamnation de D. à 30 mois de prison et de O. à 24 mois d’emprisonnement, avec mandats de dépôt. Le tout assorti d’une interdiction de port d’armes pendant 3 ans.

L’avocat qui défend O., indique qu’il suit une formation de carreleur, insistant sur le fait qu’un jour il va sortir et devoir travailler. « Même si son dossier n’est pas fameux, il n’est pas méchant lorsqu’il ne boit pas. C’était un jeune scolarisé, il avait fait une demande de titre de séjour qu’il n’a pu récupérer car il était en détention. Ce n’est pas un grand délinquant », ajoute l’avocat, préconisant une peine de sursis pour ne pas empirer la situation du prévenu.

La nécessité de provoquer une prise de conscience

« J’ai une famille qui m’attend dehors, dont un enfant que je n’ai pas encore pu voir. En prison quand on ne peut pas être avec nos proches, c’est là qu’on comprend », confie D. qui avait pour projet de suivre une formation maritime, « depuis que je suis incarcéré j’ai arrêté de fumer et de boire. J’ai déjà d’autres dossiers, 3 ans c’est beaucoup, c’est difficile ».

Après délibération, les juges ont suivi les réquisitions du ministère public. Soit 30 mois de prison pour D., et 24 mois pour O. Les deux condamnés ont 10 jours pour faire appel.

Dembéni, Iloni, affrontements, jeunes, peur, violences
Des voitures calcinées suite aux affrontements entres bandes rivales à Iloni (photo d’illustration)

Si D. semble avoir pris conscience de la gravité de ces actes, O. est moins explicite. Et si ces deux jeunes peuvent désormais y réfléchir en prison les prochaines années, la justice doit également tirer les conséquences de ces témoignages pour éviter de tomber dans la « banalisation » des violences. Au-delà de se demander à partir de quand ces jeunes se rendent compte de leurs actes, la question est surtout de savoir que faut-il faire en amont pour provoquer plus efficacement cette prise de conscience ? L’enjeux étant de prévenir les infractions, cela ne peut être laissé au seul hasard de l’évolution personnelle de chacun, qu’il soit déjà incarcéré ou non.

Victor Diwisch

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