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INTERREG : l’impossible fonds européen à fort relent diplomatique

Aux difficultés que nous connaissions pour consommer les fonds européens, se sont rajoutées les complications diplomatiques régionales pour consommer efficacement les programmes transfrontaliers de l’INTERREG sur l’enveloppe 2016-2021. Avec comme conséquence, des dégagements d’office. Deux spécialistes européens de ce fonds étaient présents lors de ce comité de suivi, lui conférant un petit air d’examen de passage.

Il ne viendrait à l’idée de personne de demander à un nouveau-né de résoudre un système de deux équations à deux inconnues. C’est pourtant ce qui s’est passé pour Mayotte. A peine élue RUP (Région ultrapériphérique de l’Europe) en 2014, elle devait gérer le programme européen INTERREG dans la région. Les deux équations, c’étaient les coopérations transfrontalières à mener avec Madagascar et l’Union des Comores, et les deux inconnues, les réactions de ces pays.

Cette mission, Mayotte l’a acceptée, et comme dans tout bon épisode joué par Peter Graves puis Tom Cruise, une partie de la bande s’est autodétruite avec des dégagements d’office de 300.000 euros au minimum, et sans doute 2 millions d’euros supplémentaires dans un mois.

Dès le début, les bonnes fées ne se sont pas penchées sur le berceau de l’INTERREG V Mayotte. Les tensions autour des îles Eparses avaient refroidi Madagascar, qui avait rejoint le programme en 2017, le préfet Frédéric Veau avait même mouillé sa chemise en 2017 en se rendant à Tananarive. Quant aux Comores, pas besoin de faire un dessin de la dentelle diplomatique qu’il fallait broder pour parvenir à boucler un projet. Parfaite illustration de la surdité à surmonter, la connexion en visio avec Madagascar et les Comores était impossible à établir ce vendredi pour le comité de suivi à la mairie de Mamoudzou. Alors qu’il ne reste que ce moyen, les liaisons aériennes n’étant toujours pas rétablies avec Madagascar, « en dépit de nos démarches incessantes », soulignait le préfet.

Résultat, aucun dossier n’était programmé en 2017 et 2018, et à peine six l’étaient en 2019, un début d’essor stoppé net par la pandémie de Covid, et avec elle la fermeture des frontières. Un contexte dont a tenu compte la Commission européenne, invoquant pour ces programmes de l’ensemble des 6 RUP français, le « cas de force majeur ».

Seul 1,3 million d’euros est certifié pour l’instant sur 11 millions

Priorité à la résorption des difficultés interne à Mayotte

Le programme FEDER CTE – INTERREG V Mayotte est doté de 11 millions d’euros et répond à trois priorités : la coopération économique avec les échanges commerciaux (4 M€), la coopération en matière de santé (5M€), la coopération en matière de formation avec l’enseignement en mobilité (1,5M€). Le taux de programmation de l’ensemble du fonds est de 60% (7,1 M€), « ce n’est pas optimal, glissait Maxime Ahrweiler, sous-préfète à la relance, d’autant que très peu est certifié », c’est à dire validé par un expert comptable. Soulignons la meilleure transparence qui prévaut désormais en matière de communication sur les fonds européens.

Le premier axe sur les échanges commerciaux est « surconsommé », indiquait-elle, « mais le 2ème sur la santé n’est programmé qu’à 50% et aucune dépense n’est certifiée faute d’aboutissement des projets de la PIROI (Croix Rouge océan Indien) de prévention des risques naturels et du CHM en matière d’évacuation sécurisées ». Pourtant, le projet de la PIROI a été annoncé il y a trois ans.

Mayotte doit aussi balayer devant sa porte en matière de capacité à mener les projets, « sur le plan de la sécurisation de la distribution de l’eau, le SMEAM n’est pas en état de porter le programme INTERREG, ils ont déjà beaucoup à faire à Mayotte, nous essayons donc de trouver un autre acteur. Et sur la coopération en matière de gestion des déchets, le syndicat SIDEVAM aussi a du retard, même si ces deux structures se remettent dans une bonne dynamique », constatait la sous-préfète. Se rajoutent les difficultés techniques que devra résoudre le GIP L’Europe à Mayotte, des difficultés technique des porteurs de projet, en plus de la capacité de préfinancement.

On est donc bien loin de l’idée sous-jacente du programme que Mayotte pourrait faire bénéficier ses partenaires de son expérience dans un concept « gagnant-gagnant ».

La prochaine enveloppe lorgne vers la côte Est-africaine

Les représentants de la commission européenne félicitaient les acteurs, nombreux à se mobiliser

Deux spécialistes européens de la gestion de ce fonds étaient présents au comité de suivi. Le premier, Jean-Pierre Halkin, Chef d’Unité à la coopération transnationale à la DG Regio, encourageait les efforts dans un contexte international compliqué, « je suis satisfait de la création de votre GIP ‘L’Europe à Mayotte’ et nous sommes là pour vous accompagner, d’ailleurs appuyez vous sur les conseils de La Réunion qui a réussi le sien », alors que le second, Pierre-Emmanuel Leclerc, se faisait père fouettard, « le programme se termine au 31 décembre 2023, vous avez donc deux ans, et il y a un écart considérable entre ce qui programmé et ce qui est certifié, soit 1 million d’euros, c’est le cas de l’axe 2 sur la santé où aucune dépense ne l’est. Dans un mois, on saura si vous perdez 2 millions d’euros ou pas ». Il faut dire qu’il est responsable de programmes des RUP, DG-REGIO, on comprend qu’il se fasse des cheveux blancs !

Les projets n’étant pas engagés, ce retour à l’envoyeur de 2 millions d’euros, s’il était confirmé, ne sera pas une perte sèche sur le moment, mais une crainte de voir s’amoindrir la prochaine enveloppe. Ce serait dommage, car comme nous l’apprenait Bibi Chanfi, la 5ème vice-présidente au développement économique et à la coopération centralisée, « le programme 2021-2027 s’intitulera INTERREG Canal du Mozambique », pour s’élargir à trois autres pays, les Seychelles, la Tanzanie et le Mozambique. Il sera géré par le conseil départemental, qui fera ainsi ses débuts d’autorité de gestion. Il va donc falloir une enveloppe à la hauteur d’une coopération qui va monter en puissance, pour ne pas faire du saupoudrage, et « rester concentré sur le résultat à atteindre », comme l’y incitait Jean-Pierre Halki.

Et pourquoi ne pas solliciter le conseil européen qui sait se mêler de politique internationale, on l’a vu pour la crise Ukrainienne, qui pourrait aussi jouer les conseillers diplomatiques de charme pour aider à relancer les projets de coopération dans des régions compliquées.

Anne Perzo-Lafond

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