Le spectacle qui s’offrait à la vue d’Olivier Noblecourt, Délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, sur les hauteurs de Mangatélé à Kawéni, dépassait tout ce qu’on peut imaginer. Même les acteurs du quartier, les responsables d’associations n’en revenaient pas, « tout cet ensemble de cases en tôles n’existaient pas il y a un an ! ».
Autour de nous, et après avoir escaladé un chemin escarpé, on pourrait croire une vraie zone artisanale : ça scie, ça coupe, à proximité d’un grand feu permettant de forger de larges bassines, qui vont servir à la cuisine en communauté. Mais on est entouré de tas de déchets qui dégoulinent vers une maigre rivière, « elle était utilisée autrefois par la société Cananga qui avait construit un barrage ». Une vie à part, « ce sont les décasés de Batrolo qui sont venus se réfugier ici », nous explique un responsable d’association, « dès que j’ai vu qu’ils arrivaient, j’ai prévenu les polices municipale et nationale, mais rien n’a été fait. Maintenant, je ne sais pas comment on va faire. » Du côté de l’Etat, on rappelle que des propositions de relogement ont été faites aux délogés, que peu ont acceptées.
La plupart des terrains appartiennent à Cananga, nous indique-t-on à la mairie de Mamoudzou. Difficile d’admettre que des taxes d’habitation soient payées avec de tels locataires implantés illégalement.
Devant ce tableau, le ministre a eu quelques difficultés à conserver le visage détendu qu’il avait en contrebas, lors des discussions à bâtons rompus avec les habitants. Il veut bien nous livrer ses premières impressions : « J’ai déjà visité des bidonvilles, mais jamais de cette ampleur, et avec autant d’enfants. Ici, tout est exceptionnel. Il va falloir du temps, mais nous mettrons les moyens. Heureusement, il y a une grande vitalité du tissu associatif. »
« Non scolarisés depuis 3 ans »
Sa priorité reposera sur la scolarisation, l’accompagnement des parents, et l’alimentation, « il faut mettre notre énergie sur le droit à l’avenir de ces jeunes ». Mais il n’a pu s’empêcher de pousser un cri d’étonnement lors de la visite des locaux de l’USPK, face aux enfants qui tenaient des pancartes « Nous voulons aller à l’école », « Nous sommes des enfants de la République ». Son président Ali Nokowa, explique : « Nous avons environ 50 enfants, par tranche de 15 chaque jour. Certains ne sont pas scolarisés depuis 3 ans. » « 3 ans ?! », répétait interloqué Olivier Noblecourt. L’association a déposé 160 dossiers en mairie, « aucun n’a été pris ».
Sidi Nadjayedine, adjoint au maire à la politique de la ville, s’expliquait : « Nous avons un bassin de 10.000 élèves sur la commune répartis en 37 groupes scolaires, avec des classes surchargées. On entend parler de classes à 12 élèves en CP, quand on a du mal à en dégager avec des effectifs de 20. Les autres sont plus de 30, et quasiment toutes en rotation. C’est une vraie usine à gaz la scolarisation ici. »
Le sous préfet à la Cohésion sociale, Dominique Fossat parlait chiffres lui aussi : « L’observatoire des mineurs isolés estime à 2.300 le nombre d’enfants non scolarisés. » C’est à dire privés d’avenir.
Partout sur notre trajet, petits et grands saluent cette délégation cravatée qui traverse pour quelques minutes leur lieu de vie. La chemise d’Olivier Noblecourt vire au bicolore, signe de la chaleur suffocante qui sévit encore à 18 heures.
« Quand tout le monde a été en panique face à l’insécurité… »
De retour à la maison du projet de la Nouvelle Politique de Rénovation Urbaine (NPRU), en contrebas, le « monsieur pauvreté » du gouvernement, écoute l’intervention de deux associations qui prennent en charge les jeunes. Dhoirfia Saindou, Responsable projet de Coup de pouce, et Omar Saïd, Wenka Culture, ont en commun d’avoir commencé seuls.
La première explique : « Quand tout le monde a été en panique face à l’insécurité, nous avons dépassé notre peur pour prendre les jeunes les plus en marge de la société, ceux qui dormaient la nuit dans la rue, et qui volaient des portables le jour, pour les intégrer dans un projet de couture et d’artisanat. Nous revendions avec eux les objets fabriqués, et nous les nourrissions. Résultat, nous avons cassé leur logique de groupe. Depuis, certains sont partis au RSMA, et nous allons solliciter Insertion sans frontière pour ceux qui n’ont pas de papier. Il y en a même deux qui se sont mariés ! », sourit-elle.
Entretemps Dhoirfia a obtenu le soutien de la DJSCS, de la Politique de la ville et du conseil départemental. Peu de « Garantie jeune », « la mesure est encore toute récente à Mayotte », indiquait le sous-préfet.
Omar Saïd expliquait sa démarche d’implantation d’un Atelier chantier d’insertion, « nous avons intégré 16 jeunes sur les 30 dossier reçus ». Une action de ramassage des déchets sur les hauteurs inaccessibles aux engins à Mangatélé se montait avec eux.
Un dispositif qui pourrait bénéficier d’une programmation nationale, « nous allons créer 100.000 places supplémentaires par an d’insertion par l’activité économique, nous allons donc pourvoir Mayotte, car cela colle à vos besoins. »
Olivier Noblecourt nous indique qu’il ne compte pas uniquement décliner des mesures nationales, « avec le préfet, nous comptons partir des réalités de Mayotte en écoutant en priorités les besoins des acteurs de terrain. »
Anne Perzo-Lafond