Fâché de n’avoir pas été convié à la rencontre, l’eurodéputé Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne, Younous Omarjee s’est même fendu d’un courrier* adressé à Manuel Valls, s’étonnant qu’il ne l’ait pas associé, « cela aurait eu du sens tant la crise actuelle impacte sur la bonne mise en œuvre des fonds européens. »
Depuis que Mayotte est devenue Région ultrapériphérique européenne, le député européen apparenté communiste, n’aura eu de cesse de dénoncer le désengagement de l’Etat français, sur sa piètre défense de l’enveloppe européenne pour Mayotte tout d’abord, et sur son déficit d’investissement ensuite, pénalisant notre territoire déstructuré sur l’utilisation des fonds européens qui demande une solide épine dorsale : « J’ai de fortes craintes de dégagements d’office », nous lâche-t-il au téléphone. Surtout que nous n’avons toujours pas de SGAR…
Justement, la rencontre de mardi portait sur les dotations du gouvernement à Mayotte, qui seront révisées à la hausse avec un alignement sur la métropole et une « meilleure prise en compte du dynamisme démographique des communes », annonce Manuel Valls dans son communiqué (Communiqué de presse de Manuel VALLS, Premier ministre – Le Gouvernement s’engage pour Mayotte(1). Que ce ne soit « qu’un simple rattrapage », comme le souligne Younous Omarjee, c’est une vérité partagée par l’ensemble des élus, et le sénateur socialiste Thani Mohamed Soilihi préfère y voir « un traitement totalement différent de Mayotte par rapport aux précédents gouvernements. »
« Il faudrait 2 milliards d’euros »
Même chose pourrait-on dire sur l’octroi de mer, « ce n’est qu’une mise aux normes sur les autres DOM », ne se prive d’ailleurs pas de rappeler Younous Omarjee, qui rappelle que les mairies n’en bénéficieront totalement « que dans trois ans. » Il revient sur ce « hold-up » décidé par le gouvernement Sarkozy, puisque la part de recettes de l’octroi de mer basculée au conseil départemental, évitait de sortir cette somme des poches de l’Etat. Et alors même que l’octroi de mer est payé par les mahorais…
A ce sujet, le président de l’association des maires, Saïd Omar Oili, nous informe que la Guyane va effectuer la même démarche pour que l’intégralité de l’octroi de mer soit allouée aux communes, « notre document de travail va servir de base. »
L’insécurité ou « la faiblesse des services publics » à Mayotte sont deux autres reproches que formule le député, avec celle de la fiscalité : « Par rapport aux attentes des contribuables aux taxes foncières, George Pau-Langevin dit qu’elle attend de voir, mais je lui réponds qu’on attend avec elle, car il va bien falloir les payer ! »
La coopération régionale avec les Comores a évidemment été abordée par le premier ministre qui a indiqué vouloir prendre contact avec le président de l’Union dès qu’il serait officiellement connu. Le flux migratoire impacte sur l’ensemble des politiques de santé et sociale à Mayotte, « on pourra mettre tous les escadrons qu’on veut, il faut une politique de visas avec les Comores, et des moyens financiers considérables sur l’accompagnement social et éducatif à Mayotte. D’après mes évaluations, il faudrait 2 milliards d’euros ! »
Les PMI non budgétisées
Il a bien sûr raison, mais Thani Mohamed le rappelle, « les besoins sont tels, qu’il est difficile de tout traiter d’un coup », et préfère considérer que c’est un début, « une vraie bouffée d’oxygène », puisque le département va résorber son déficit et pouvoir investir.
Il en est un qui évolue entre deux eaux du verre, c’est Issa Issa Abdou, le 4ème vice-président. Il reconnaît comme le sénateur mahorais « un vrai discours d’intention du gouvernement, mais je reste sur ma faim ». Il faut dire qu’il est en charge de l’action sociale et de la santé, et que c’est sur ses épaules que va reposer le financement de ce qui reste la compétence principale du département.
« Je suis heureux que les besoins de l’Aide sociale à l’enfance aient été identifiés, bien que non rétroactifs alors que le manquement est dénoncé par l’IGAS, mais je regrette que ce ne fut pas le cas pour les Protections maternelles infantiles pour lesquelles il faudrait 55 millions d’euros. Le compte n’y est pas pour programmer tout ça dans le projet de loi de finances », déplore l’élu qui avait suivi la veille une réunion de travail sur ce sujet à l’Outre-mer.
« Un pour tous »
La ministre a également indiqué qu’elle allait étudier la question de la mise en place de l’Aide médicale d’Etat, éternel serpent de mer qui se glisse entre Anjouan et Mayotte.
De la même manière, si le gouvernement s’engage à reprendre en main le RSA, c’est en se basant sur l’année 2014, « alors que depuis le nombre de bénéficiaires s’est accru, ainsi que son montant. »
Comme le soulignent Issa Issa Abdou et Said Omar Oili, la première réussite des élus mahorais est d’être parvenus à parler d’une seule voix, alors que les intérêts des maires et du conseil départemental étaient divergents. Il faut s’en féliciter, et elle est sans doute liée à la méthode de travail impulsée par Manuel Valls, sur le mode « pas de bras, pas de chocolat », quoique plus en rondeur.
Un Plan sécurité
Les maires de Mayotte reprennent dans un sobre communiqué de l’AMM, leur association, la liste des avancées, et disent prendre « acte de l’engagement du Premier Ministre de mettre en œuvre rapidement un plan global de sécurité dont le détail sera annoncé avant la fin du mois de mai. » Ils s’engagent à poursuivre le travail engagé en commun avec les services de l’Etat « pour traduire de façon optimale dans les faits et dans les textes les perspectives tracées lors de cette réunion. » Saïd Omar Oili remercie notamment les DGS des mairies pour leur implication.
C’est donc une première, Mayotte a récolté une partie de ce qu’elle méritait, pas plus. Doit-on s’en féliciter ? Sans doute, surtout que d’autres annonces sont à venir notamment avec l’évocation d’un Plan sécurité pour Mayotte. Les élus ne doivent pas pour autant s’endormir, de peur de cauchemarder, notamment dans la bataille qui s’annonce pour ne pas perdre les fonds européens.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte