Au milieu de la forêt, à la sortie de Tsoundzou II, un véritable petit village est en train de sortir de terre. Entre les arbres, le long d’un ruisseau, quelques bâtiments, plus ou moins grands, en bois et en bambous ont été construits. A l’intérieur s’y reposent en grande majorité des jeunes hommes mais aussi quelques femmes. Ils sont plus d’une centaine à vivre ici depuis le vendredi 28 février dernier. « On est arrivés en bus avec la préfecture, le terrain était vide et on nous a dit qu’on pouvait y rester », raconte Gabriel, un demandeur d’asile venu du Congo.

Lui comme la majorité des personnes installées sur le site, étaient logées dans le collège de Kwalé, avant leur expulsion il y a un peu plus d’un mois, le 4 février dernier. Ils se sont ensuite retrouvés plusieurs jours sous des abris de fortune le long de la nationale 2, à côté du lotissement de Coallia, avant d’être amenés dans cette forêt.
Des structures en bambous en pleine construction
En cette fin de matinée, ce jeudi 6 mars, Ange, un demandeur d’asile venu d’Ouganda, s’attèle à la construction d’une nouvelle structure en bambous. L’homme en a déjà construit près d’une dizaine sur le site, avec des troncs épais qu’il a récupérés dans les alentours. « Il me faut à peu près un jour pour en construire une », dit-il avec le sourire, « j’aime aider les autres à se loger, c’est toute ma vie, ma mère m’a éduqué comme cela ».

Le terrain où ils s’installent a été délimité, et les constructions ne peuvent pas s’étendre au-delà du petit ruisseau, sur la propriété d’un agriculteur. Mais le campement s’étend de l’autre côté, vers la nationale et des hommes brûlent déjà la végétation sur le sol pour préparer le terrain à de nouvelles structures. Si la plupart des personnes se connaissent déjà, depuis l’épisode du collège de Kwalé mais aussi depuis celui du lycée Bamana, certaines viennent tout juste de rejoindre le site, et il faut construire de nouveaux logements.
C’est le cas de quatres femmes, arrivées à Mayotte le lundi 3 mars depuis la Tanzanie et la République Démocratique du Congo. En se rendant à l’association Solidarité, elles ont entendu parler de ce campement auprès des autres exilés, venus déposer leur demande d’asile. « D’où on vient les gens sont tués et violés sans raison, ici c’est compliqué sans toilettes et avec les tensions mais c’est mieux et on s’adapte« , remarque Kashinde, venue de Tanzanie. A l’ombre de leur abri fraîchement construit, les quatres femmes se reposent et en ce mois de ramadan, elles vont aider à préparer le repas pour ce soir. Un moyen pour elles de créer des liens et de retrouver un semblant de normalité.
« Il faut les laisser tranquille »
Depuis le 28 février, des associations sont venues pour apporter de l’eau et de la nourriture, mais aussi des tentes supplémentaires. Quelques personnes leur viennent également en aide par leur propre initiative. C’est le cas de Goss, assistant d’éducation au collège de Kwalé. « J’ai créé un lien avec la plupart d’entre eux au collège en jouant au foot et j’essaye de les aider comme je peux », raconte-t-il. « C’est mieux ici que nulle part, mais ils sont loin de tout et il y a des jeunes des alentours qui viennent les agresser », continue Goss, « j’essaye de faire comprendre aux collégiens que ces gens ils ont pas voulu être là et qu’il faut les laisser tranquille ».

Ces violences sont désormais la principale menace qui pèsent sur le campement. “Certains jeunes ne veulent pas qu’on soit sur le terrain qu’ils considèrent comme le leur”, explique Gabriel. “On est obligés de se défendre face à leurs machettes, alors on prend des morceaux de lits pliables”. Un jeune homme s’est blessé au pied dans sa fuite il y a quelques jours et marche désormais avec des béquilles, un autre s’est fait voler son téléphone portable.
Pour la plupart des exilés, ces affrontements ne sont pas aussi violents que la guerre ou la situation difficile qu’ils ont connue dans leur pays, mais ils ont du mal à en comprendre les raisons. « Nous on veut juste la paix », insiste d’ailleurs quelques-uns d’entre eux, principalement venus de Somalie.

Dans le campement, certains se lavent dans la rivière, d’autres se font coiffer les cheveux, certains dorment ou bien participent à la taille des bambous. Ils sont nombreux à faire le Ramadan et en fin d’après-midi ils se rendront ensemble à la mosquée de Tsoundzou, à quelques minutes à pied, avant de revenir pour rompre le jeûne. « Ce soir on va faire du riz avec de la sauce tomate », indique Gabriel, « on va essayer de partager entre nous le peu qu’on a ».
Victor Diwisch