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vendredi 7 mars 2025

Nouvelle loi Lurel contre la vie chère en Outre-mer : l’étau se resserre sur les abus

Le Sénat a adopté ce mercredi en première lecture la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en Outre-mer, déposée par Victorin Lurel. Abus de position dominante, manque de transparence, marges arrière… presque tout y est écrit noir sur blanc. Reste la volonté politique pour les appliquer.

On peut dire que Victorin Lurel a fait de la vie chère en Outre-mer le combat de sa vie. Le Bouclier Qualité Prix, ça vous dit quelque chose ? C’était déjà lui en 2012. La loi relative à la régulation économique Outre-mer qui porte le nom du sénateur guadeloupéen le 20 novembre de cette année-là, impose le dispositif destiné à protéger un panier de produits contre toute hausse des prix. A Mayotte, 25 établissements d’une surface de vente supérieure à 200 m2 sont concernés, du groupe Sodifram à BDM (Bourbon Distribution passé Bernard Hayot, GBH, depuis), en passant par Somaco.

Douze ans après, les manifestations contre la vie chère en Martinique tournent à l’émeute. Le problème n’est donc pas réglé. Jouant son rôle de représentant des collectivités, le Sénat, par l’intermédiaire de sa délégation Outre-mer menée par Micheline Jacques, ouvre une série de consultations sur le sujet. Y est notamment entendu Christophe Girardier, président du cabinet de conseil Bolonyocte Consulting, et auteur de nombreux rapports sur les pratiques anticoncurrentielles de la grande distribution en Outre-mer. Il lançait, un brin provocateur, « la République a libéré les esclaves, mais pas le pouvoir économique ».

Au cours de deux heures d’audition, il avançait en face des sénatrices et sénateurs que l’insularité ne pesait que pour 5 à 7% de la formation des prix, alors que le différentiel d’un panier moyen de produits avec la métropole est de 37% à La Réunion, de 40% en Martinique, et de 30% à Mayotte. Et invoquait notamment les marges arrière, ces rétrocommissions qui échappent à tout contrôle et qui font flamber les prix.

Avant lui, le président général de l’IEDOM (Institut d’Emission des départements d’Outre-mer), Yvan Odonnat, lâchait également plusieurs vérités bien senties lors de son passage à Mayotte : les grosses entreprises qui font leur bénéfice outre-mer ne les y réinvestissent pas, « elles les orientent vers des opérations de croissance externe », le BQP est détourné avec un taux de rupture important sur les produits au prix encadré, « l’intérêt des distributeurs, ce n’est pas forcément de se réapprovisionner sur ces produits pas chers », et les incontournables dessertes maritimes pour approvisionner les îles méritent « des ports plus compétitifs ».

Stopper les contournements

Taux de rupture important des produits peu chers du BQP et recommandés par l’ARS

Il ressort de ces constats un contournement des dispositifs comme le Bouclier Qualité Prix et un déficit de contrôles, que veut combler la nouvelle loi Lurel contre la vie chère adoptée ce mercredi au Sénat, « l’opacité et les rentes demeurent », déclarait d’ailleurs le sénateur PS guadeloupéen ce mercredi en séance au palais du Luxembourg. Il expliquait ses objectifs : « Renforcer la transparence des prix et des marges, mieux contrôler et réguler les acteurs, véritablement sanctionner les pratiques d’étouffement et les abus de position dominante, lutter contre les tromperies et les contournements du droit pour, in fine, permettre aux peuples des Outre-mer de consommer au juste prix. »

Il se réjouit notamment que des sanctions renforcées permettront de lutter contre « l’opacité entretenue qui permet aux groupes d’importateurs-distributeurs de dissimuler leurs comptes », que de nouveaux dispositifs ciblent « les phénomènes de concentration manifestement anticoncurrentiels », avec la possibilité pour les présidents des départements de saisir l’Autorité de la concurrence ou  pour les membres de l’OPMR (Observatoire des Prix, des Marges et des Revenus) de saisir directement les agents de la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) sur les contrôles et les enquêtes…

D’autres avancées ont été obtenues en séance ce mercredi. Dont une expérimentation de plafonnement à 10% des marges arrière injustifiées sur 5 ans, également une protection des fournisseurs locaux en cas de rupture brutale du contrat commercial, ou l’application des conditions générales de vente établies entre un fournisseur, un distributeur ou un prestataire de services, de façon transparente et non discriminatoire en Outre-mer.

Les failles des autorités de contrôle

INSEE, Mayotte
L’addition reste salée à la caisse pour les habitants d’Outre-mer

Si le sénateur se réjouit de ces petits pas qui « sont souvent de grandes avancées », il espère une nouvelle grande loi contre la vie chère soutenue par le Gouvernement.

En effet, ces mesures ne valent rien si les contrôles ne sont pas menés. Or, Mayotte a connu par le passé un gap de plusieurs années sans réunion de l’OPMR. Christophe Girardier estime que « les Observatoires des Prix n’ont pas la latitude de diligenter les enquêtes. Leurs présidents sont des magistrats de la Cour des Comptes, mais ce sont les préfets qui décident de leurs budgets et de leurs actions », il préconise de les affranchir de l’autorité préfectorale et de leur octroyer un budget indépendant.

Idem, il appelle à statuer aussi sur l’efficacité de l’Autorité de la concurrence, qui, lors du rachat de Vindemia par le Groupe Bernard Hayot a toléré que ce dernier lâche les 4 hypermarchés les plus exposés à la concurrence, ce qui avait provoqué leur fermeture et donc des licenciements.

C’est pourquoi Victorin Lurel avait également adressé un courrier fourni à l’ancien Premier ministre, Michel Barnier, repris par Manuel Valls, dans lequel il émet plusieurs propositions. On peut y lire une indispensable négociation avec les compagnies maritimes « afin de mieux anticiper et réguler les évolutions des taux de fret multipliés par 4,3 entre 2018 et 2022 », l’ouverture à la concurrence de la vente de pièces détachées pour les automobiles en mettant fin au monopole des constructeurs, l’élargissement de la liste des produits éligibles aux Boucliers Qualité Prix aux offres d’équipement et d’abonnements téléphoniques et internet, à de petits équipements électroménagers ou informatiques, ou à des pièces automobiles, une nouvelle obligation aux opérateurs de télécommunication de fournir un service universel des télécommunications outre-mer pour une offre groupée d’accès à internet abordable, des incitations budgétaires ou fiscales à la mise en place de centrales régionales d’approvisionnement et de stockage, etc.

Mais il y appelle surtout à une « véritable volonté politique » pour une meilleure mobilisation de l’ensemble des services administratifs et judiciaires afin de « faire appliquer les lois existantes », en les dotant de « moyens matériels et humains suffisants ».

C’est le nerf de la guerre, sans quoi, on continuera à superposer des mesures inappliquées, assurant une longue vie aux mouvements sociaux contre la vie chère.

Le texte doit maintenant être examiné par les députés.

Anne Perzo-Lafond

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