A peine sorti, un article du projet de loi Programme pour Mayotte suscitait nombre de commentaires. Initialement prévue à la loi Urgence, puis rayé des cartes, la facilitation d’utilisation de la Déclaration d’utilité Publique (DUP) pour libérer du foncier en vue de construction d’infrastructures indispensables à Mayotte fait de nouveau son apparition à l’article 20 du projet de loi à venir. Il invite à appliquer la procédure prévue aux articles L. 522-1 à L. 522-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Ces derniers portent sur le cas où l’exécution de travaux déclarés d’utilité publique, comme des oléoducs ou des réseaux ferrés, « risque d’être retardée par des difficultés tenant à la prise de possession d’un ou de plusieurs terrains non bâtis, situés dans les emprises de l’ouvrage, un décret pris sur l’avis conforme du Conseil d’Etat peut, à titre exceptionnel, en autoriser la prise de possession. » Idem sur la prise exceptionnelle d’un décret en cas d’Opération d’intérêt national, et on sait que le projet de loi la mentionne.
Une procédure qui vise donc à exproprier moyennant indemnisation, pour que puissent être menées les opérations conduites par l’établissement public créé par la loi d’urgence pour Mayotte, concernant « les infrastructures essentielles pour le développement, le désenclavement et le bon fonctionnement des services publics de Mayotte ainsi qu’aux opérations de construction de logement ».
Un signe qu’en matière de foncier à Mayotte, il faut encore éclaircir le terrain. Les similitudes avec la Corse sur les indivisions successorales non réglées avaient été soulignées, et la Commission d’Urgence Foncière (CUF) créée pour les démêler. Plusieurs héritiers se retrouvent propriétaires d’un même bien, accroissant la difficulté d’obtenir un consensus sur la vente ou sur le prix.
Faute de titrement, le bâton de la DUP

Plusieurs textes nationaux ont tenté d’améliorer la visibilité dans ce domaine. La loi Letchimy du 27 décembre 2018, casse la logique d’unanimité des héritiers, puisque pour toute succession ouverte depuis plus de dix ans, il suffit que 51% d’entre eux soient d’accord pour que la vente soit effective. On a tous à l’esprit le blocage de la 3ème retenue collinaire d’Ouroveni qui aurait permis d’accroitre les réserves d’eau à Mayotte, mais dont le foncier a fait l’objet de spéculation et d’annonces avortées, retardant la réalisation du projet. Ou les blocages dans la commune de Chiconi où les deux tiers du foncier relèvent de seulement deux titres de propriété, multipliant les indivisions.
Mais les difficultés n’étaient pas levées pour autant, avaient souligné les notaires, notamment en raison de l’obligation qui leur est faite d’informer l’ensemble des héritiers de la décision de la moitié d’entre eux.
Autre évolution, la prescription acquisitive avec rétroactivité avait été adoptée, qui permet de se voir attribuer un titre lors d’une occupation paisible d’un terrain depuis 30 ans ou dans certains cas, depuis 10 ans. L’identification des propriétaires d’un bien et sa titrisation sont donc en marche depuis quelques années, mais à un rythme insuffisant, nous avait fait remarquer Berteline Monteil, ancienne présidente de la CUF. La structure avait mis du temps à être opérationnelle, et son passage en GIP ne s’est pas accompagnée d’un apport de moyens humains.
A Mayotte, près de la moitié du foncier appartient au conseil départemental qui a donc son rôle à jouer dans la facilitation des aménagements. Mais la sous-dotation en infrastructures publiques persiste, incitant l’Établissement Public Foncier et d’Aménagement de Mayotte (EPFAM) à manier le bâton de la DUP, (Déclaration d’Utilité Publique), une expropriation moyennant une indemnisation que les propriétaires concernés jugent insuffisante. Ils sont nombreux à vouloir faire la culbute, et en utilisant parfois des méthodes hors des clous. C’est le cas d’une ancienne élue qui a renégocié avec la mairie dont elle était proche, les modalités de la vente d’un terrain survenue quelques années plus tôt, la municipalité ayant dû lui recéder le bien, avant de le lui racheter au prix fort alors qu’une construction de logement venait d’être décidée !
Une « CUF mobile »

En maniant la DUP pour accélérer le processus, l’EPFAM n’a donc pas toujours bonne presse auprès de la population. Pourtant, c’est à lui qu’on doit la finalisation du foncier pour le 2ème hôpital à Tsingoni, pour la 3ème retenue collinaire, des logements de la ZAC de Tsararano, de la cité judiciaire de Kawéni, du Lycée des Métiers du Bâtiment, etc.
L’article 20 du projet de loi qui réintroduit la facilitation de libération du foncier fait écho à la prise de parole de Manuel Valls que nous avions rapportée en janvier dernier, « la maitrise foncière est indispensable à la reconstruction du territoire. Or le désordre foncier bloque les opérations à mener sur le département », avant de rajouter, « je comprends la portée affective du sujet, et j’essaie de dépassionner le débat. »
Affective et financière, certains propriétaires étant peu pressés d’être identifiés, avec à la clé, les taxes foncières à payer.
La députée Anchya Bamana se saisit donc immédiatement du sujet, en tentant d’anticiper : « Je demande au gouvernement de mettre les moyens à la CUF pour permettre aux mahorais d’avoir leurs titres fonciers ». L’enjeu c’est d’identifier vite pour éviter l’expropriation, quitte à payer son dû à l’Etat : « Ainsi, toute personne qui aura son titre foncier sera libre de vendre à qui de droit pour la construction des projets du département. Par ailleurs, les collectivités pourront prélever l’impôt foncier et élargir leur assiette fiscale sur toutes les propriétés ainsi identifiées », écrit-elle au ministre des Outre-mer. Entre la taxe foncière à acquitter, et l’espoir de revendre aux prix du marché, le calcul semble fait.
Les communes vont sortir gagnantes, avec des recettes supplémentaires et des infrastructures, sanitaires, scolaires, etc., sur leur territoire. « Cela leur permettra aussi de baisser les taux d’imposition votés en vue d’une justice fiscale auprès des contribuables », souligne la députée.
Mais pour accélérer le process, la CUF demande de mettre les moyens, rapportait le directeur par interim à la députée mahoraise. Qui demande donc à Manuel Valls d’y faire droit, notamment dans la dotation d’un véhicule itinérant : « un bureau mobile permettant à la CUF d’aller au plus près de la population ». Un investissement de 210.000 euros pour tenir des permanences mensuelles dans chaque commune du département. » A commencer par Chiconi ?
Anne Perzo-Lafond