Le bilan des destructions est éloquent : 1.105 bâtiments dont des bureaux de poste, des commissariats, des commerces, des cinémas, ont été attaqués, dont certains incendiés, plus de 240 écoles dégradées dont certaines n’ont pas pu ouvrir à la rentrée scolaire de septembre…
C’est face aux maires dont une partie doivent encore réparer les dégâts que la Première ministre a tenu son discours ce jeudi. Une loi d’urgence a été votée « en un temps record », pour « reconstruire plus vite », permettant à « 60% des bâtiments publics d’avoir été remis en état ». On reste songeur sur une mesure qu’on espère adaptable aux incendies de la mairie de Koungou et de la halle de pêche, cette dernière conditionnant le développement de la filière.
Première analyse intéressante, celle du profil des émeutiers, révélé par Elisabeth Borne : « les trois quarts des auteurs sont nés en France » – il n’est pas précisé s’ils sont issus de l’immigration ce qui aurait permis de poser la question de notre modèle déficient d’intégration – « un tiers n’a pas de diplôme, les jeunes issus de familles monoparentales sont fortement sur-représentés. » Avec une particularité, « la jeunesse des émeutiers : un quart à peine des auteurs avait plus de 25 ans ; un sur cinq était encore lycéen ». Et de s’interroger sur « la force de notre pacte républicain ». « Ils illustrent l’inquiétante banalisation de la violence, le manque de cadre et de repères et sans doute, plus largement, une crise de l’autorité. » C’est surtout la mollesse avec laquelle nous transmettons nos valeurs républicaines qui est à interroger.
Réparer financièrement ou physiquement
La chef du gouvernement appelle à agir « collectivement », c’est-à-dire Etat, collectivités, parents et responsables associatifs… le profil de ce qui est tissé à Mayotte.
La première des attentes exprimée par les maires auprès du président de la République lors des rencontres de juillet porte sans surprise sur la sécurité. En dehors de tout ce qui a déjà été déployé, il était rappelé les 238 brigades de gendarmerie supplémentaires, et, cœur de la LOPMI, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, « le doublement de la présence des forces de l’ordre sur la voie publique, d’ici 2030 ». En proximité, pour les maires qui le souhaitent, les polices municipales pourront accomplir certains actes de police judiciaire, « sous le contrôle des parquets ».
La lutte contre le facteur aggravant des violences que sont les stupéfiants va donner lieu à un nouveau plan, et met en évidence une faille du système judiciaire : le paiement réel des amendes infligées, le gouvernement finalise actuellement un dispositif « pour assurer l’effectivité et la rapidité de la sanction ».
Deuxième grand volet, l’effectivité de la réponse pénale, notamment en cas de délinquance juvénile et plus particulièrement, des primodélinquants : « Lors de ces émeutes, nous avons constaté qu’une grande partie des auteurs mineurs n’avaient jamais eu affaire à la Justice. Il faut donc que nous élargissions notre palette de sanctions, afin qu’aucun acte ne reste impuni. Il s’agit d’assurer une réponse ferme, effective et adaptée dès la première infraction. »
Nous sommes donc en attente de savoir ce que va nous concocter le ministre Dupond-Moretti après sa grande réforme de l’ordonnance de 45 sur la délinquance juvénile, qui n’était pas à la hauteur de la montée de cette forme de délinquance, ceci expliquant cela. Sur les axes développé par Elisabeth Borne, nous commentons l’énorme déficit de moyens à Mayotte : « placement des jeunes délinquants dans des unités éducatives de la Protection Judiciaire de la Jeunesse », une PJJ sous-dotée sur notre territoire avait-il été remonté au Grade des Sceaux, « encadrement de jeunes délinquants par des militaires, qui pourront notamment transmettre des valeurs de discipline et de dépassement de soi », il faudrait alors une antenne du SMA par commune vu la jeunesse de notre population, « davantage responsabiliser les parents (…) Nous proposerons au Parlement que des stages de responsabilité parentale ou des peines de travaux d’intérêt général (TIG) puissent être prononcés à l’encontre des parents qui se soustraient à leurs devoirs éducatifs », là encore, nous manquons de structures offrant des TIG et d’encadrement de ces jeunes qui sont là pour réparer, instaurer une « contribution financière citoyenne et familiale » que « les mineurs et leurs parents devront payer à des associations de victimes », quand un mineur a causé des dégradations, « nous allons nous assurer que les deux parents, qu’ils soient séparés ou non, qu’ils vivent avec leur enfant ou non, soient responsables financièrement des dommages causés. Personne ne doit pouvoir se dédouaner », or, localiser les parents ici ressemble à la quête du Graal.
Comment faire passer les valeurs morales
Plus globalement, en prévention de la délinquance, est envisagé « un accompagnement renforcé des familles et des jeunes ». Les dispositifs sur la parentalité existants seront rendus « plus visibles », et les dispositifs d’adultes « référents » mis en place qui nous rappellent furieusement nos « adultes relais-gilets jaunes ». L’Éducation nationale est aussi visée, « nous devons tout mettre en œuvre pour éviter le décrochage scolaire », Elisabeth Borne annonce « doubler le nombre d’heures d’enseignement moral et civique au collège », et vise l’internat, « qui peut être une solution pour donner un autre cadre aux jeunes et leur permettre de suivre au mieux leur scolarité (…) mais aussi une solution pour les mères seules qui ont parfois des difficultés avec leurs enfants ». Une démarche également engagée à Mayotte mais qui doit être largement renforcée. La montée en puissance du Service National universel et la création de nouveaux EPIDE (Établissement pour l’insertion dans l’emploi) dans les territoires où le taux de chômage est particulièrement élevé.
Les réseaux sociaux sont aussi dans le viseur de la Première ministre qui évoque leur « rôle clé pour encourager les violences et créer l’escalade » : « Avec le règlement européen DSA (la Digital Service Act, ndlr), nous disposons désormais d’outils puissants pour faire retirer les contenus violents en ligne », avec un possible « bannissement numérique ».
Pour mettre en musique cela, le gouvernement proposera « des solutions à la carte et adaptées aux territoires. »
Un beau programme qui ne portera ses fruits qu’à une condition : arrêter de saupoudrer les moyens de prévention, et réellement doter la PJJ, les TIG, en impliquant chaque jeune dans la réparation de son méfait et pourquoi pas, en présence des victimes qui y consentent, s’appuyer sur les associations de quartier, et être cohérent sur la répression, avec une effectivité des peines, notamment d’amende, en concertation au cas par cas avec les parents. Tout cela demande des moyens que personne n’a pour l’instant.
Mayotte doit en tout cas ne pas laisser passer ce train.
Anne Perzo-Lafond