Bien que le vieil adage sous-entende que l’argent ne pousse pas dans les arbres, il n’est guère réalité pour notre longue tige aux supers pouvoirs. Véritable or vert, comme nous l’avions qualifié au sortir du colloque qui lui était dédié en mars dernier , notre bambou mahorais ne cesse d’aguicher, de susciter légitime convoitise et de finalement trouver, voire retrouver, ses lettres de noblesse bien méritée. Au regard des nombreux et divers enjeux climatiques et des matériaux de construction ô combien énergivores et de plus en plus décriés, cette fibre naturelle, autrefois bien plus valorisée, incarne le futur proche du déjà demain. Résistant, robuste, absorbeur de chocs, flexible et léger, il se veut également écologique et recyclable. Des données qui ne relèvent guère du moindre, sachant les aspirations et enjeux environnementaux vers lesquels les politiques internationales souhaitent respectivement, et de plus en plus, diriger ce Monde, notamment en matière de constructions durables à faible impact, priorisant les matériaux naturels et locaux.
Quoi de mieux que l’apprentissage par le concret
Pré amorce d’un grand tout plus conséquent, ce chantier école s’est découpé en 4 sessions durant le calendrier estival. En gros pour chaque session, 8 stagiaires lycéens, auxquels pouvaient se greffer 2 professeurs ou professionnels d’un secteur extérieur et/ou associatif, ont eu pour mission conjointe d’appendre et de construire de A à Z un faré principalement en bambou, notamment pensé et conçu, tant sur le papier que dans le concret, par Sébastien Shchalck, ébéniste de formation, enseignant en génie bois au sein de l’établissement scolaire précité et chef de projet pour le cabinet Endemik Mayotte Architecture :
« Après diverses réflexions quant à l’emplacement et au type de structures que nous souhaitions construire, en un laps de temps plutôt restreint, et par l’approche participative et interactive des élèves, cette idée de création de zones d’ombrages nous est venue. C’était aussi une demande des parents d’élèves. Nous avons fait appel à la participation d’un foundi bambou mahorais, ainsi que la société BambooNeem, centre de formation basé à la Réunion, spécialisé dans l’usage structurel du bambou. Cette double casquette permettait de garantir une approche complète et plurilatérale au regard de notre projet ». Et pari pratico-esthétique plutôt réussi, pour une budgétisation globale inférieure à 100 00 euros, suscitant l’engouement sincère de tous les convives présents à cette occasion, pour une officielle inauguration en bonne et due forme par le recteur en personne :
« Nous vivons sur un véritable territoire d’opportunité. Trop souvent dans la bouche des élus, c’est : donnez nous la même chose qu’en Métropole et puis on pourra progresser. Je pense que c’est l’inverse, il faut innover avec les spécificités locales et être un modèle pour l’Hexagone (…) Aujourd’hui nous vivons sur une planète saturée d’organes artificiels transformés; il faut pouvoir revenir à des éléments plus naturels, durables, biodégradables et qui respectent la civilisation géographique dans laquelle ils sont inscrits. Le progrès, ça n’est pas que la technologie, c’est aussi pouvoir retrouver la maitrise des savoir-faire ancestraux qu’il ne faut pas perdre. On a signé en mai dernier une convention sur le développement de programmes pédagogiques autour de matériaux biosourcés, notamment le bambou, donc on continue dans cette dynamique en n’omettant pas que l’Homme doit savoir s’adapter à son propre environnement. Ces farés sont sincèrement magnifiques ».
Le futur lycée Tani Malandi
Ayant vocation à pouvoir facilement être déplacés, montés et démontés, nos 4 petits farés — composés majoritairement de bambous de type Vulgaris et aisément évolutifs au besoin — viendront prendre leur définitive place en la nouvelle configuration du prochain et nouveau visage du LPO de Tani Malandi dont le chantier devrait officiellement débuter, dès ce mois de janvier 2024 prochain. Un chantier qui n’est pas des moindres, évalué à près de 50 millions d’euros et qui, surtout, comporte une grande extension qui se table sur une parcelle estimée à plus de 45 000 m², pour une exploitation pratique des infrastructures d’une superficie de 23 300 m² . À la baguette de cette spectaculaire transformation mêlant modernité, culture, patrimoine et valorisation de matériaux de traditions, 3 cabinets que sont Endemik Mayotte, Fabienne Bulle Architecte & Associés et Dietrich | Untertrifaller Architectes. La force de ce projet qui aura pour disposition finale d’accueillir 2 500 élèves à horizon fin 2027 ? Un ensemble pensé intelligemment, respectueux et cohérent au regard des besoins et défis environnementaux en valorisant les matériaux locaux et biosourcés tels que le basalte, les terres blanche et crue, le bois et le bambou donc.
« Dans le processus pédagogique actuel, il faut conscientiser les politiques et populations pour arrêter de croire que les matériaux énergivores actuels sont les bons et meilleurs matériaux. Il faut donc accompagner les gens à ré-apprendre à apprécier les matériaux traditionnels car nous courons à la catastrophe, surtout pour les générations futures. Il ne faut pas exclure un matériau au profit d’un autre mais plutôt harmoniser intelligemment tout cela et partir du principe de se dire : le bon matériau au bon endroit » nous souligne Hicham Hamza Khaddaj, architecte rattaché au cabinet Fabienne Bulle & Co. qui vient notamment de terminer le chantier de la nouvelle ambassade de France à Libreville, au Gabon. Au programme donc, ventilations naturelles dynamiques traversantes, effet cheminé et aspiration des fumées inclus en cas d’incendie, parc photovoltaïque de 4 000 m² disposés sur toitures ou encore système de récupération des eaux de pluies pour alimentation des sanitaires. « Comme tout projet pensé et conçu dans une approche environnementale, certains frais initiaux peuvent être plus importants mais les économies se tablent pourtant sur du long terme. Au final, nous avons là une configuration très économe, tant par l’aspect hydrique qu’électrique avec, de surcroît, une auto production et un fort restant qui retournera à la gestion du réseau EDM justement » nous explique la cheffe de projet, architecte ingénieure structure, Claire Leroy, rattachée au cabinet Dietrich | Untertrifaller.
Célébrons le Bambou
Cet officiel protocole, dans une atmosphère des plus sainement familiales et détendues, s’inscrivait donc conjointement dans le cadre de la Fête du Bambou à Chirongui. Mis internationalement à l’honneur le 18 septembre sous l’intitulé World Bamboo Day (WBD), nos festivités mahoraises, décalées de quelques jours, ont permis de mettre en lumière différents acteurs plus ou moins connus sur notre territoire, gravitant justement autour de cette merveilleuse plante.
De l’ustensile de cuisine artisanal, en passant par la construction ou encore par l’industrie, le bambou fait des bénéfiques ravages et parvient à conquérir les coeurs, notamment auprès des jeunes générations comme nous le confie Babali, figure emblématique et Monsieur Bambou par excellence sur notre île : « Les jeunes sont très demandeurs et bien qu’il soit au final question de quelque chose de très nouveau pour eux, ils comprennent l’approche utile et valorisante du point de vue traditionnel et local. Cette filière se doit d’évoluer et de se professionnaliser localement justement. Il nous faut l’implantation d’un laboratoire de test et de traitement pour éviter que cela se fasse soit à Madagascar, soit à la Réunion. Il faut réaliser que plusieurs corps de métiers gravitent autour du bambou et ce, de l’exploitation des pieds, à la tête et que cela générerait indiscutablement de l’emploi. Beaucoup de pays en ont fait leur business, nous pouvons tout autant y prétendre à notre échelle ». En effet, cette plante à la croissance la plus rapide au Monde représentait déjà, selon les études des Nations-Unies en 2016, un marché international évalué à 60 milliards de dollars. Du gros oeuvre à la petite exploitation, ce savoir n’est fort heureusement pas totalement perdu aussi auprès de nos presque juvéniles générations comme nous en témoigne Camille Hiolin, architecte et chargée de développement au sein de l’association d’insertion professionnelle Kaja Kaona : « Notre structure propose une mixité d’apprentissages répartie en 7 activités. Maréchage, artisanat, cuisine ou encore menuiserie, le but est de développer l’appétence de nos 15 à 30 ans mais là où c’est fort, c’est que le savoir part et se transmet de génération en génération. Ce travail du bambou, ce sont certains de nos jeunes qui l’avaient justement appris par leur ainés et qui ont souhaité le restituer à d’autres. Notre filière se développe en ce sens mêlant aussi l’intervention technique de fundi en la matière pour proposer une plus grande diversité cadrée lors de nos chantiers justement pour lesquels nos jeunes sont sollicités ».
Dans cette dynamique de chantiers d’insertion et/ou école de plus en plus porteurs, notamment par l’emploi du bambou, la célèbre association Likoli Dago sera en charge de porter d’ici fin octobre un nouveau chantier de réhabilitation — estampillé Cadema en qualité de Maitre d’ouvrage — au niveau de l’ancien tribunal de Mamoudzou.
Une concrète approche supplémentaire visant à valoriser les matériaux locaux et notamment ce géant vert, tout en mutualisant par la même occasion les petites mains participatives, volontaires et motivées du quartier concerné mais également d’autres établissements et communes comme les élèves du LPO de Chirongui. Le bambou s’ouvre et le bambou rassemble, de quoi donner pleine inspiration pour valoriser plus qu’il se doit et encadrer professionnellement parlant cette manne à la fois financière et culturelle. Istawi c’est la Bamboula ! Pourvu que ça dure et on y croit.
MLG