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La Cour des comptes pointe le surfinancement des cultures de rente au détriment de Mayotte et la Guyane

En Outre-mer, des mécanismes bien ancrés dévoient les aides européennes et nationales, empêchant d'atteindre les objectifs de diversification des cultures, d’autosuffisance alimentaire et d'agriculture durable. Dans son enquête, la Cour des Comptes revient également sur la complexité des dossiers, aboutissant à une faible consommation.

Un défaut de pertinence de l’octroi des aides à la fois européennes et nationales, c’est ce qui se dégage des 74 pages du rapport de la Cour des Comptes portant sur « Les subventions à l’agriculture et à la pêche* en Outre-mer de 2015 à 2022 », plus précisément sur les départements d’Outre-mer, Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion et Mayotte. Chacun a ses propres caractéristiques.

Héritées de l’histoire et de la géographie, les filières d’exportation que sont les bananes et la canne à sucre, ont structuré l’agriculture des Antilles et de La Réunion. Mais avec la fin des quotas sucriers qui leur garantissaient l’écoulement des productions et une exposition croissante à la concurrence internationale, ces cultures de rente dédiées à l’exportation, ont périclité. « Le secteur agricole emploie moins de 2 % de la population active dans les trois principaux DROM (La Réunion et les Antilles), davantage en Guyane 6,5 %, et à Mayotte. »

Complexité d’un modèle de financement qui aboutit sur une faible consommation des fonds

Malgré cela, la canne et la banane captent l’essentiel des aides publiques. En face, à Mayotte et en Guyane, un secteur informel et vivrier plutôt important « ne bénéficie d’aucune subvention », alors qu’il « permet d’améliorer l’autonomie alimentaire », car il ne parvient pas à se structurer en filières et en groupement de producteurs suffisamment organisé et puissant. Il faudrait pour cela garantir la sécurité d’approvisionnement, ce que demandent les industries de transformation. Pour y arriver, des accompagnements existent, mais qui n’ont pas la puissance de feu allouée à la banane, au sucre ou au rhum comme nous allons le voir.

En déclin, la banane et le sucre majoritairement arrosés

Seule la filière poulet de chair est structurée à Mayotte

Entre 2015 et 2021, les subventions versées à l’agriculture ultramarine représentent 538,6 millions d’euros par an, financés en majeure partie par l’Union européenne, à travers trois programmes de la PAC (Politique agricole commune) : le POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité), dédié aux régions ultrapériphériques (RUP), 316,9 M€ par an en moyenne, qui vont « pour les trois quarts aux filières banane et canne », le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural), 94,2 millions d’euros par an, et l’Organisation commune des marchés (OCM), 1,1 million d’euro par an.

À ces programmes européens, s’ajoutent des dispositifs nationaux de subventions spécifiques aux outre-mer à hauteur de 126,5 millions d’euros par an entre 2015 et 2021, dont 109,9 millions d’euros par an en faveur de la filière canne-sucre-rhum.

Donc près de 90% de l’aide de l’État et 75% des fonds européens partent sur des filières en déclin. Et il s’agit plus qu’un simple appui, puisque « les soutiens publics aux filières canne et banane sont désormais supérieurs à la valeur de ces productions et de plus en plus déconnectés de celles-ci. » L’État est donc quasiment à la tête des productions de banane et de canne à sucre.

Conséquence nous dit la Cour, les aides à l’agriculture sont inégalement réparties entre les territoires : La Réunion reçoit 45 % des subventions à l’agriculture aux outre-mer entre 2015 et 2021 et 64 % des aides nationales, « notamment du fait du poids important des aides à la filière canne-sucre-rhum », la Martinique et la Guadeloupe perçoivent chacune environ un quart des subventions « compte tenu de l’importance des productions de bananes et de canne à sucre », alors que, « territoires peu spécialisés, la Guyane et Mayotte ne représentent respectivement que 3 % et 1,5 % des aides. » Bien qu’ils produisent deux fois moins de fruits et légumes que la Guyane et Mayotte, soulignent toujours les magistrats, « les territoires de Guadeloupe et de Martinique perçoivent dix fois plus de soutiens. Or justement, cette absence de spécialisation, cette diversification, ce sont les axes des Programmes opérationnels européens et voulu par le gouvernement qui annonce même des subventions pour tendre vers l’autosuffisance alimentaire.

Les outre-mer proies faciles du « dégagement »

Et cela ne va pas s’arranger critique la Cour des Comptes :  dans un courrier adressé aux

Mayotte n’a réellement consommé que 12% du FEAMP sur la période, pourtant mieux que la Guadeloupe

Préfets ultramarins le 11 janvier 2023, les ministres signataires** ont maintenu « des objectifs de production élevés au regard des volumes produits ces dernières années et des difficultés techniques auxquelles les filières doivent désormais faire face ». On entretien la culture de rente.

Mais ce n’est pas le pire, qui se cache dans un rapport du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) niché dans un petit astérisque en bas de page 39.

Il décrit des outre-mer « pris dans un cercle vicieux » : « Les transferts financiers publics visant, depuis la fin de la guerre, à rattraper la métropole ont permis d’augmenter les revenus, la consommation et de financer les importations mais, ce faisant, ils ont dégradé la compétitivité-prix des productions locales ». Seuls ont bénéficié de soutiens massifs les produits d’exportation comme la banane, le sucre, ou le rhum, mais pas les produits destinés au marché local, « en compétition avec des importations parfois beaucoup moins chères », qui sont parfois composés « de produits bradés, dits de ‘dégagement’ ». Ce terme peu valorisant est décrit : « Plutôt que de stocker ces produits invendus (en métropole, ndlr) ou de les écouler sur leurs marchés habituels à des prix très bas, certains opérateurs préfèrent les dégager vers l’outre-mer, où ils sont commercialisés à des prix inférieurs à ceux pratiqués en France métropolitaine, alors même qu’ils supportent des coûts de transport. C’est en particulier le cas de la viande de volaille congelée importée de métropole et vendue à moins de 2 euros/kg dans les DROM, en concurrence directe avec la production locale ».

Mayotte mise beaucoup sur sa filière vanille

Une multitude de pratiques qui nuisent au développement de l’agriculture ultramarine, dont on ne voit pas très bien comment elle pourrait un jour devenir autosuffisante.

De nombreux autres points sont évoqués, dont la complexité de l’accès aux aides. La CC effeuille, non pas la marguerite, mais le nombre de pages des documents : Le soutien aux productions dites de « diversification » fait l’objet d’une décision technique de 83 pages, à cela s’ajoute une mise en œuvre différenciée selon les territoires, une documentation technique complémentaire de 24 pages, ou encore les aides à la structuration de l’élevage conduisent « à 44 régimes d’aides explicités par une documentation de 140 pages » ! Une « multiplicité » qui conduit à de « faibles montants individuels d’aide » : « pour l’ensemble des mesures d’aide à l’élevage du POSEI, sur la période 2016-2021, 63 % des aides versées sont d’un montant inférieur à 500 € ».

Un manque de cohérence entre les objectifs et la méthode ubuesque utilisée qui conduit la Cour à émettre 2 recommandations : Introduire une dégressivité des aides à l’agriculture ultra-marine par exploitation et les conditionner à un effort de diversification et au respect d’une démarche agroécologique, et Favoriser l’organisation des producteurs engagés dans une démarche de diversification en vue d’accroitre l’autonomie alimentaire des régions et départements d’outre-mer.

Anne Perzo-Lafond

* Nous reviendrons sur la pêche et l’aquaculture, les soutiens publics étant « moindres », 22% du FEAMP, 128,8 millions d’euros sur sept ans

**Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, Jean-François Carenco, ministre délégué aux outre-mer, Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, et Hervé Berville, secrétaire d’État à la Mer

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