Etant donné le passif des fonds européens, il est légitime de s’interroger sur l’évolution des dépenses du milliard six du Contrat de convergence et de Transformation 2019-2022 de Mayotte, un des mieux doté de France.
Signé en juillet 2019 entre la préfecture et les présidents du conseil départemental et des communautés de communes, le 1,6 milliard d’euros était décliné en 500 projets, financés à 66% par l’Etat, à 25% par les collectivités citées, 8% par les fonds européens, et 2% par d’autres partenaires.
Principal moteur de la structuration du territoire, il est issu de la combinaison du Contrat de Projet Etat-Région (CPER) et du Plan Avenir de Mayotte, il ciblait 7 priorités de développement.
Quelques mois après sa signature « tardive », selon Thierry Suquet, en juillet 2019, la crise Covid fondait sur l’activité du département, « mais qui n’a pas réussi à entamer la dynamique des dépenses », jugeait le préfet ce jeudi matin au conseil départemental. Il s’agissait à la fois de faire un point sur les dépenses engagées, et à la fois de réorienter certaines dépenses : « Cette révision s’avère aujourd’hui nécessaire afin de prendre en compte les évolutions des programmes opérationnels des fonds européens pour la prochaine période, mais aussi les perturbations liées à la crise sanitaire, la réalité de l’avancement des programmes prévus, la réévaluation des coûts et, le cas échéant, la réaffectation de crédits vers les actions les plus avancées. »
Des dépenses supérieures à l’engagement du Département
L’occasion de faire un point sur les projets qui ont avancé, et sur d’autres qui nécessitent de réorienter les crédits.
De son côté, la préfecture a engagé 576 millions d’euros, « soit 53% du total ». « Engagé, c’est à dire que les financements sont bloqués pour mener ces investissements, mais qu’ils peuvent prendre plusieurs mois avant d’être réalisés, et donc payés. Les gros chantiers ne seront bouclés qu’après le 31 décembre 2022, date butoir pour avoir engagés les projets. (Voir en annexe les consommations par la préfecture* et le CD**).
Du côté du Conseil départemental, c’est plus compliqué. La délibération sur cet avenant n’a d’ailleurs pas été votée cette semaine par les conseillères départementales Hélène Pollozec et Maymounati Moussa Ahamadi, la première, leader de l’opposition, nous l’expliquant par « un manque de transparence, nous sommes obligée de venir à cette présentation pour obtenir des informations chiffrées. » Sur le papier, l’engagement du CD porte sur 302 millions d’euros, « c’est la partie contractualisé, mais en réalité, il se monte à 533 millions d’euros », nous explique Soulaimana Mansour, Chef de mission Evaluation et contrôle de gestion au CD, « car nous avons eu des dépenses non prévues, comme un fort soutien aux communes, 80 M€ pour la piste longue, et 15 millions d’euros de subventions versées au Syndicat des Eaux. Il fallait donc régulariser des dépenses.
Mais trois postes, et pas des moindres, sont sous-consommés dans ce contrat de convergence. C’est notamment le cas pour la santé, à hauteur de 200 millions d’euros, l’ANRU (rénovation urbaine), 87M€, « les trois opérations ont pris des retards importants », notait le préfet, et le contrat de progrès sur l’eau et l’assainissement, « sur les 120 millions d’euros prévus, peu ont été mobilisé, cela se relance doucement, 80% des 9M€ engagées l’ont été par la nouvelle équipe en 2021, c’est encourageant ». Mais c’est encore trop peu.
Blocage autour du 2ème hôpital
Nous avons demandé des comptes à l’ARS sur la panne sèche qui a laissé de côté 200 millions d’euros. Stéphanie Fréchet, qui fut quelques mois directrice par interim de l’ARS, après avoir secondé Dominique Voynet, rapporte plusieurs causes. « Nous avions deux fiches action sur ce contrat de convergence. La première portait sur les travaux d’urgence à mener au CHM, dont le pôle mère-enfant, la psychiatrie, etc. et la deuxième, sur l’extension du CHM. Sa directrice ne voulant pas d’un 2ème site, qui avait pourtant été annoncé par le président de la République, et que voulait décliner Dominique Voynet, les études n’ont pas pu être lancées. » Il y a eu en effet divergence sur une longue période entre les deux femmes. Catherine Barbezieux privilégiant un renforcement des forces vives et des compétences au sein d’un unique CHM qu’elle voulait étendre, et Dominique Voynet suivant la directive d’Emmanuel Macron sur l’emplacement d’un 2ème hôpital, et n’engageant pas d’étude pour des travaux d’extension du CHM. « D’autre part, il n’y avait pas de projet médical d’établissement au CHM, ce qu’a mis en place un médecin dépêché pour cela, qui a été validé à l’été 2021 », l’ancienne adjointe de Dominique Voynet enfonce le clou. La crise Covid et la durée contrainte de ce Contrat de convergence qui ne cadre pas avec la programmation de gros travaux, auront fini de peindre le tableau.
Depuis, des études ont été menées pour un second site, « elles ont été rendues en septembre dernier », et pour mener les grands travaux au sein du CHM, il faut anticiper la fermeture des services pour les rediriger ailleurs, « c’est compliqué. C’est ce que nous avons initié pour Jacaranda qui va déménager là ».
Il reste encore un an pour engager les 200 millions d’euros du volet santé du Contrat de convergence, « ils ne sont pas perdus, et depuis, le Ségur de la Santé nous a octroyé des finances supplémentaires. Nous sommes un des plus gros dossiers. » Le nouveau directeur général de l’ARS Mayotte s’est rendu ce lundi au Conseil scientifique, « il a obtenu une validation pour lancer les travaux urgents au CHM ». Le Fonds européen REACT-EU octroie également des fonds pour l’hôpital. Les travaux se montent à 120 millions d’euros, « nous visons beaucoup plus haut que les 20 millions affichés au départ », financés pour 59 millions par le Ségur de l’Investissement, 20 millions du Contrat de convergence, 20 millions du Feder. L’investissement pour le second site, lui, se monte à 172 millions d’euros.
Le contournement de Dzoumogne… en attendant celui de Mamoudzou
Revenons à notre contrat de convergence et à ses réaffectations. L’Etat revoie ses attributions en dédiant 5 millions d’euros à Caribus, 3,5 millions d’euros aux eaux pluviales, 14 millions d’euros au contournement de Dzoumogné, « initialement pensé pour le contournement de Mamoudzou, mais qui n’a pas avancé contrairement à celui de Dzoumogne », rapporte Thierry Suquet, 11 millions d’euros aux services de proximité, 6 millions d’euros de rénovation d’équipements sportifs, 1,1 million d’euros d’études sur la piste longue, 3 millions d’euros sur les Pôle d’échange multimodaux et les points d’arrêt interurbain (transport interurbain), 5 millions d’euros d’aménagement touristique, 59 millions d’euros de restructuration du CHM donc, et vers le second site.
Une petite partie des fonds européens est aussi redirigée, vers le reboisement (3M€), les projets agricoles (3,7M€), Caribus (25M€), le port de Longoni (14M€) et la restructuration du CHM (17,5M€). Car l’Europe octroie des crédits supplémentaires avec les 135 millions d’euros du REACT-EU jusqu’en 2022 qui abonde en partie le Contrat de convergence.
Cet avenant au contrat de projet voit son montant gonfler, « en comptant le Fonds d’investissement exceptionnel du ministère des outre-mer et celui du Ségur de la Santé, le contrat de convergence est porté à 1,8 milliard d’euros », se félicite le représentant de l’Etat, qui nous indiquait être confiant sur le rythme de consommation.
Anne Perzo-Lafond
* Les 576 millions d’euros de l’Etat sont engagés en : logements (127 M€, 100% des prévisions), Ingénierie et soutien aux projets dans les collectivités (2,4M€, 75%), Equipements sportifs (15M€, 75%), Constructions scolaires des premier degré (97M€) et second degré (210M€, 62%), Equipements de proximité (11M€ contre 3,5M€ prévus),Routes (16M€), Caribus (14M€), Eau et Assainissement (9M€, dont 7M€ sur la seule année 2021), Technopole 1M€ (100%), CUFR (6,5M€, 100%), Filières de production, (4,5M€, dont 706.000 euros pour l’abattoir, 665.000 euros pour le conditionnement de fruit, 3 M€ pour les pontons de pêche, 100%).
**Les projets du CD portent sur les constructions et rénovations de PMI (30 M€), les infrastructures sportives (61M€), les infrastructures administratives (11,7M€), les investissements portuaires, notamment sur la réparation du quai n°1 (16,2M€), l’électrification rurale (36,7M€), les aides aux investissement des entreprises (34M€), le laboratoire d’analyse départemental (5M€) et les investissements dans les compétences, PUIC (30,5M€).