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Coupures d’eau : pas de plan d’envergure pour irriguer les robinets

Entre un plan d’urgence qui nous a mis l’eau à la bouche mais pas aux robinets en 2017, et le pacte sur l’eau 2021 qualifié de « mesurettes » par le président du SMEAM, à Mayotte, l’approvisionnement ne coule pas de source. Impuissants, les habitants ont appris à se méfier des mirages. Pour le vice-président des « Assoiffés », il faut repenser les usages de l’eau.

Cela ressemble à une fatalité. Un soir par semaine, nos robinets sont condamnés. Les habitants se trouvent pris en otage dans un cycle de l’eau des privations qui devient annuel. A cette différence prés que cette fois, de la ressource, on en a. Les retenues dans lesquelles on a commencé à puiser en cette fin de saison sèche, sont remplies à 70% pour Dzoumogne et 63% pour Combani. Ce sont les capacités de production qui pêchent, comme l’avait d’ailleurs annoncé le Syndicat de l’Eau et de l’Assainissement de Mayotte (SMEAM). Les nouveaux arrivants s’y plient, les autres enragent, connaissent les dérives de la précédentes équipe du SMEAM, s’interrogent sur l’incapacité de l’Etat à les avoir contrôlées, après que la ministre Ericka Bareigts ait annoncé en 2017 un Plan urgence eau. Il engageait la Caisse des Dépôts et Consignations, l’Agence Française de Développement et le Syndicat de l’Eau autour d’un prêt de 46 millions d’euros. « On se demande si nos décideurs ont la même notion de l’urgence que nous », commente ironiquement Soufiane Malide, que nous avons contacté en tant qu’ancien membre de l’association les Assoiffés du sud.

Car les 46 millions ne coulent pas à flot quand on ouvre les robinets. Outre la rehausse de la retenue collinaire de Combani qui nous permet de gagner 10% de capacité en plus et les forages supplémentaires, il reste à augmenter considérablement les capacités de production, c’est à dire de la potabilisation de l’eau, pour que cessent les coupures.

PLan urgence eau, Ericka Bareigts
Ericka Bareigts au SMEAM en 2017 avec l’ex-pt du syndicat à sa droite, et l’ex-pt de l’Association des maires

Le ministre des Outre-mer a communiqué il y a deux semaines sur le sujet, évoquant le Pacte sur l’eau pour Mayotte de 13 millions d’euros avec en premier point, l’augmentation de la production d’eau potable « de plus de 3.000m3 d’eau/jour » d’ici décembre 2021. Ce qui arrangerait nos affaires puisque cela couvrirait la consommation de prés de 38.000m3/j quand la production n’est que de 36.000m3/j. Mais ces 3.000 m3 de rab, le président du SMEAM ne voit pas comment les sortir du chapeau en raison d’un sous-investissement dans les unités de production et dans les forages.

Les fuites coulent toujours

Mais alors, à quoi sont utilisés les 13 millions d’euros si ce n’est pas pour accroitre la production ? Fahardine Ahamada nous répond, en qualifiant de « mesurettes » les objectifs définis : « Une partie, prés de 8 millions d’euros, est allouée au réseau de Koungou, et à l’assainissement, et 5 millions d’euros à boucler le financement des forages de Kawéni et Kwale déjà en activité. » Aucun gain supplémentaire de production donc. Notamment en nouveaux forages, surtout que la saison est peu propice au pompage dans les nappes aquifères.

Ax'eau
Détection de fuites en mai 2021 par la société Ax’eau qui revient en octobre

L’action la plus rapide serait de booster l’usine de dessalement, dont les travaux faits en urgence et mal finis par Vinci avaient provoqué une obturation des osmoseurs, mais elle est coûteuse, 6 à 10 fois plus que la production par forage. Un cahier des charges est en cours, on ne peut donc miser sur le dessalement à court terme.

La marge selon le président du SMEAM serait à chercher du côté des fuites à résorber, « on pourrait diminuer considérablement la consommation », mais l’entreprise mandatée qui avait déjà effectué une mission ne revient que mi-octobre à Mayotte. Il n’y a pas d’expertise sur place.

Pas de réponse d’augmentation de production à court terme donc. Nous avons interpellé la préfecture qui nous renvoie au communiqué de Sébastien Lecornu, pas satisfaisant donc, puisqu’il faut alourdir l’enveloppe pour mener un « plan Marshall » réclamé par le président du SMEAM. Mais la gouvernance de l’eau est en balance, ce dernier refusant de la confier à l’Etat alors que les dettes viennent d’être sodées grâce aux 15 millions d’euros du conseil départemental.

Le liquide coule pendant la campagne

Il s’agit aussi d’un sujet national. La commission d’enquête de l’Assemblée nationale a en effet lancé une étude sur la mainmise sur les ressources en eau par les intérêts privés et ses conséquences, initiée par le président du groupe La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Trois aspects sont étudiés : La gestion de la distribution de l’eau et de l’assainissement, dès lors qu’elle est déléguée par les communes ou leurs groupements à des acteurs privés, comme ici à Vinci, La mauvaise gestion, les questions d’investissement et d’entretien des réseaux, et Les prélèvements sur la ressource des personnes privées notamment dans le secteur de l’eau en bouteille. Avec une attention particulière portée sur les territoires ultramarins. L’association Les Assoiffés du Sud a notamment été entendue par la commission. Les conclusions ont été rendues le 9 août 2021.

De l’eau potable pour les bananiers

« Il faut arrêter la mainmise sur l’eau par Vinci, car des élus se sont faits acheter pendant les campagnes et ensuite, ils ont les mains liés. Il faut imposer une nouvelle culture politique », lâche Soibahadine Chanfi, multi-casquette que nous interrogeons ici au titre de vice-président des Assoiffés, association en attente de restructuration. Dans la même logique que l’enquête parlementaire au niveau national, il repose la problématique des usages de l’eau : « Nous utilisons 1% de la quantité quotidienne pour boire, qui nécessite donc de potabiliser l’eau. Or, nous utilisons la même eau pour arroser les champs, pour faire du béton, pour laver les sols… Alors que tout le monde s’inquiète de la rareté de l’eau sur le plan mondial, on ne peut pas continuer comme ça, il faut caractériser les usages et adapter la production en fonction. » Lors de la pénurie de 2017, la question s’était posée de défiscaliser les récupérateurs d’eau. Mais les risques sanitaires d’une consommation non potable, notamment soulignés par les ARS, avaient bloqué l’initiative. « On ne fait donc pas confiance à l’intelligence humaine, alors qu’il faut simplement faire de la pédagogie. Parce qu’on peut aussi discuter avec l’ARS de la qualité de l’eau du robinet, j’affirme qu’il y a tromperie, elle n’est pas aussi bonne qu’on le dit. »

Et difficile de se rabattre sur de l’eau en bouteille importée de métropole, en raison d’une protection de celle qui est produite sur place, « du coup, la même palette d’eau qui coute 75 euros en métropole est à 380 euros à Mayotte. L’eau, il y en a beaucoup qui s’engraissent dessus, avec rétro commission et entre-soi. La solution, c’est que le syndicat de l’eau et les intercommunalités travaillent main dans la main dans une logique anti-corruption », conclut Soibahadine Chanfi.

Mettre en place une commission des usagers au SMEAM serait notamment un gage de transparence chère à l’équipe actuelle. Son président doit en tout cas rencontrer le préfet ce lundi, et un comité de suivi de la ressource en eau se tient mardi.

Anne Perzo-Lafond

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